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Passer d'une police de régime à une police démocratique
Entretien avec : Jamil Sayah, président de l'Observatoire tunisien de sécurité globale
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 09 - 2012

Docteur en droit public et chercheur dans plusieurs instituts français, européens et internationaux dont le Centre d'études et de recherche sur le droit, histoire et administration publique, Jamil Sayah revient en Tunisie avec un projet, celui d'un Observatoire tunisien de la sécurité globale.
Un projet qui arrive à point nommé, dans un contexte particulier, où le doute s'installe quant à l'efficacité du corps sécuritaire dans notre pays et où chacun y va de son avis sur les moyens à mettre en œuvre pour le réformer.
Jamil Sayah, loin des querelles partisanes, propose une démarche scientifique, basée, comme il le dit sur «la recherche, l'expertise, les études, l'organisation de débats et d'échange d'expériences, et la communication».
Dans cet entretien qu'il a accordé au journal La Presse, il nous parle de sa vision relative à la « sécurité globale » et à la réforme de la police
Qu'est-ce qui motive la création de l'Observatoire tunisien de la sécurité globale (Otsg) ?
Les ambitions qui président la création de cette structure inédite dans notre paysage institutionnel est à la fois de décloisonner la perception et le traitement des problèmes de sécurité et de former une nouvelle pensée donnant corps au concept de sécurité globale. Car, une des missions de l'Observatoire est de combler le vide en la matière et de contribuer à dépassionner et à «désidéologiser» le débat public sur le thème de la sécurité. En effet, développer la recherche et la réflexion au sein de ce nouvel espace devrait permettre de mieux cerner les enjeux du concept de sécurité globale afin d'en faire un nouveau référentiel dans l'appréhension des problèmes des mutations de notre appareil sécuritaire. En ce sens, l'Observatoire peut être considéré comme la préfiguration d'un outil opérationnel moderne qui rompt avec une démarche linéaire et hiérarchique, pour fonctionner comme un lieu ouvert transcendant les distinctions classiques entre praticiens et théoriciens, d'une part et entre recherche et expertise d'autre part. C'est par l'articulation entre toutes ses missions que l'Observatoire parviendra à se rendre incontournable non seulement en tant qu'outil d'évaluation et de formation, mais également en tant que producteur de sens. C'est seulement ainsi que les questions de la sécurité cessent d'être le monopole du ministère de l'Intérieur pour devenir une «affaire de tous», c'est-à-dire un objet citoyen.
L'idée de «Sécurité globale» s'inscrit-elle dans une approche sécuritaire au sens strict (policier) ou recèle-t-elle une acception plus large ?
Toute société, et tout particulièrement la nôtre est en permanence confrontée à des mutations auxquelles chacun (individus comme institutions) doit s'adapter. La police ne saurait échapper à cette problématique récurrente. Il est vrai que notre société est devenue plus dangereuse qu'elle n'était avant la Révolution. Pas tant à cause de l'augmentation de la criminalité «ordinaire», que du fait du risque que porte désormais l'instabilité politique du voisinage, de l'émergence du grand banditisme (trafic d'armes...) et de l'irruption d'un jihadisme (religieux) belliqueux. L'onde de choc provoquée par la découverte de caches d'armes puis la bataille guerrière que ces jihadistes ont menée contre les forces de sécurité et les militaires, a fait ressentir ses effets diffus non seulement au sein de la société, mais surtout au sein même des armatures de protection. Le temps de l'insouciance est terminé. La nécessité d'adapter notre appareil de protection à cette nouvelle insécurité s'impose comme une évidence. Elle doit logiquement conduire à l'élaboration de nouveaux référentiels d'action. L'ancienne conception dite de «sécurité intérieure» ne semble plus être en mesure de parer aux risques et aux menaces globalisés. Elle doit céder la place à une nouvelle doctrine d'Etat : «la sécurité globale». Ce concept alternatif s'est construit autour d'une logique de réalisme absolu. La complexité des sociétés et les mutations structurelles qui ont affecté l'intensité et la variété des violences dont elles sont porteuses impliquent d'instituer une autre stratégie d'action. Des troubles graves et même des conflits majeurs (militaires) ne sont plus à exclure. De plus, la distinction entre l'ennemi extérieur et le délinquant intérieur est complètement dépassée. Le tout est désormais dans le tout. Ainsi, la perspective d'une menace permanente conduit à développer une capacité d'anticipation et de connaissance, d'une part, et des capacités d'adaptation et de réaction rapide, d'autre part. Le tout doit se faire au profit d'une réorganisation des forces de sécurité publique qui doivent désormais agir pour prévenir, dissuader, protéger, surveiller et punir. Autrement dit, il faut amener police, garde nationale et armée à gérer en continu l'imprévisibilité politco-sociale. Dans cette démarche solidaire, le but de la «sécurité globale» n'est point de fusionner structurellement les différentes forces engagées, mais de mettre en place un système de couplage permanent afin de mieux assurer la sûreté de l'Etat et de mieux garantir la sécurité des citoyens.
Dans votre approche globale de la sécurité, tenez-vous compte du terrorisme international et de ses ramifications par exemple?
Bien évidemment, le choix de l'appellation «sécurité globale» au détriment de celle de «sécurité intérieure» a été fait dans cette perspective. Le terrorisme est un phénomène complexe et évolutif. Il se modifie peu à peu en fonction de différentes variables. Aucun pays, y compris le nôtre n'est à l'abri d'une telle folie meurtrière, surtout que le terrorisme procède par imitation ou mimétisme, les différents groupes terroristes tendant à «copier» les uns sur les autres. Le terrorisme est une menace contre la sécurité des citoyens et la sûreté de l'Etat. Cependant, comme objet d'étude, le terrorisme ne requiert donc ni angélisme ni machiavélisme. Il appelle une démarche mêlant la rigueur scientifique et l'opérationnalité de l'expertise. Le concept qui est actuellement en vogue dans les études et le discours sur le terrorisme, celui du «terrorisme domestique» ou le «terrorisme intérieur», c'est-à-dire un terrorisme produit par des nationaux que l'on croirait bien intégrés dans la société. Aussi, pour lutter contre ce dangereux fléau, il faut mobiliser tous les moyens. Car aucun système de lutte contre le terrorisme, aussi performant soit-il n'est infaillible, il faut en conséquence recourir à des connaissances nouvelles, à des théories nouvelles et à des pratiques nouvelles. Dans ce cadre, notre rôle sera de baliser le terrain théorique afin que nos praticiens arrivent à mieux décoder les menaces. Donc nous allons tenter de diffuser dans l'institution policière les connaissances nouvelles que produit la recherche étrangère pour que notre appareil de sécurité, dans son action, soit plutôt dans l'anticipation et non dans la réaction, à l'instar de ce qui s'est passé à l'ambassade américaine.
Comment passer selon vous, d'une police aux ordres, servile à un régime à une police républicaine ? Quelles sont les conditions de réussite d'une telle entreprise ?
L'Etat tunisien s'est engagé dans un processus structurel de démocratisation. L'un des symboles et des leviers d'une transformation effective d'un régime autoritaire en un régime démocratique repose sur sa capacité à réformer sa police. L'enjeu d'une telle réforme est alors de faire passer cette dernière d'une culture de «police de régime», caractéristique d'un régime autoritaire, à une culture de «police démocratique», c'est-à-dire une police dont l'activité est orientée vers la lutte contre l'insécurité subie par les citoyens et non vers la lutte contre les ennemis du régime. C'est donc une police perçue par les citoyens comme la source de leur protection et non de leur oppression, ce qui suppose aussi qu'elle soit respectueuse des droits des individus. Cette mutation passe fondamentalement par des actions traditionnelles de redéfinition des modalités de recrutement, une réforme de la formation (initiale et continue), une modification des statuts, une réorganisation des services et des missions, un renforcement de l'éthique professionnelle (élaboration d'un Code de déontologie) et des dispositifs de contrôle de l'activité policière, etc. Si la formation est stratégique dans un projet de changement d'une institution, elle ne joue ce rôle que dans la mesure où elle prend place dans une stratégie de réforme globale qu'elle accompagne et renforce, mais qu'elle ne détermine pas à elle seule. En d'autres termes, si la réforme de la formation ne s'accompagne pas de celle du recrutement, des statuts, de l'organisation des services, de la communication de l'institution, etc, elle ne produira que des effets très limités.
La raison d'Etat est souvent invoquée pour justifier certaines pratiques policières, comment un académicien peut-il concilier rigueur scientifique et impératifs d'Etat ?
D'abord, je tiens à préciser que l'Observatoire est une structure autonome du ministère de l'Intérieur. Justement, c'est pour éviter ce genre de confusion des rôles que nous avons tenu (d'un point de vue organisationnel et fonctionnel) à rester en dehors de la sphère décisionnelle ; lieu où généralement les autonomies, soit par obligation de réserve soit par solidarité gouvernementale, se perdent. Aussi cette distanciation réfléchie va nous permettre d'être nous-mêmes, c'est-à-dire des scientifiques et des chercheurs et des praticiens au service de notre objet d'étude et d'intervention. Car nous défendons l'idée «d'une sécurité pour tous» inhérente au concept de citoyenneté. De ce point de vue, l'Observatoire représentera certainement une véritable aventure institutionnelle et humaine. En dépit du lien qui l'unit à la sphère politique, l'Observatoire sera le lieu d'une nouvelle approche d'aide à la décision publique. Désormais la recherche est appelée à remplir une mission plus dynamique dans un système où l'expertise a longtemps été le monopole du ministère lui-même ou le domaine réservé de la sphère privée par le biais des cabinets d'audit et de conseil. En effet, nous souhaitons jouer un rôle important dans l'émergence d'une attitude apaisée vis-à-vis de « l'objet sécurité » et de ceux qui la pratiquent, c'est-à-dire, les forces de sécurité. Toutefois, autonomie, distanciation ne veulent point dire se positionner contre ou en opposition. Une telle posture ne jouit à nos yeux d'aucun intérêt. Nous voulons être des partenaires et des facilitateurs des réformes. Bref, nous souhaitons occuper une posture qui nous convient le mieux celle du producteur de sens.
Quels sont selon vous les principales menaces à la sécurité de la Tunisie post-révolution ?
Depuis la Révolution, notre pays est aux prises avec un phénomène qui lui était jusque-là étranger : la violence politique. Face à la prolifération de ce phénomène, dont nul ne doute qu'il va redoubler de vigueur, il nous appartient d'analyser avec la plus grande des objectivités ce problème. Il ne faut à cet égard jamais perdre de vue que la violence est une pulsion sans limite. Il faut y mettre fin. Dan le cas contraire, elle va s'incruster dans le corps de la société pour devenir sa deuxième nature. Voilà le pari qu'il faut faire et la position à tenir : extirper ce fléau de notre paysage politico-social. Toutefois, politiquement, rien n'indique qu'on a pris conscience de l'urgence à solutionner ce problème. L'Etat semble se plaire dans un rôle de «diagnostiqueur» du mal. Comme s'il s'agissait évidemment d'une pathologie ordinaire. Mais comment pourrait-on croire à l'efficacité d'une telle posture? N'est-ce pas dans sa capacité à lutter contre la violence et assurer la sécurité de ses citoyens que la légitimité de l'Etat se mesure? Lutter contre la violence ne saurait se résumer à quelque étymologie qui pourrait, sous prétexte qu'ils sont «Tunisiens, nos enfants...», lui conférer une molle contenance. La violence politique n'a précisément rien d'acceptable. La réponse sécuritaire qui se met en place semble procéder avant tout d'une politique de réaction. Or une politique de sécurité efficace à long terme dont la finalité centrale est de restaurer l'autorité de l'Etat peut-elle se résumer à cela ? Et si elle se résume à cela est-elle une politique en adéquation avec les besoins ? Certes, la répression est nécessaire à la sécurité, et l'Etat est un acteur indispensable pour lutter contre les troubles à l'ordre public. Mais en négligeant la prévention et l'anticipation en la matière, l'action gouvernementale semble en total décalage avec la gravité du problème. Pis encore, son action n'est pas toujours en lien direct avec la demande de sécurité des citoyens. Elle relève bien davantage d'une représentation erronée de l'ordre public qui semble plutôt être une caractéristique de l'absence de stratégie de l'Etat. En fait, le centre de cette politique est constitué, d'une part, par la défense du sacré qui reste suspendue sur la tête des citoyens comme une épée de Damoclès, prête à les décapiter à la moindre action, et d'autre part, par l'abandon du traitement de la violence comme symptôme de la fin de l'Etat et de sa souveraineté.
Quel regard portez-vous sur la prolifération des syndicats des forces de l'ordre ?
Les forces de sécurité en Tunisie ne constituent point un ensemble monolithique. Il existe plusieurs polices. Chacune a son chef, sa hiérarchie, ses mécanismes de contrôle et ses problèmes. Le quotidien de ces groupes n'est pas facile. Derrière des difficultés nombreuses, il y a souvent des réalités humaines parfois insupportables. Misère matérielle, misère financière et misère intellectuelle. On ne peut moderniser la police en refoulant cette souffrance. Aussi, il faut approfondir et faciliter le travail syndical. Seul un syndicalisme constructif, ouvert et non corporatiste serait en mesure d'apporter aux fonctionnaires de police sécurité et assurance. Car, comprendre la police conduit à prendre en compte le poids de la profession policière et à identifier les intérêts collectifs qu'elle soutient. Pour ce faire, seul, à mon sens, un syndicat fort et unifié peut le faire. Ce qui est en train de se réaliser dans notre pays. Dans cette perspective, la fusion de deux syndicats va dans le bon sens.
L'exploitation des archives du ministère de l'Intérieur relève t-elle de l'intérêt de l'Observatoire ?
Malheureusement, notre pays ne dispose pas encore de tous les outils modernes qui permettront à notre police de lever définitivement l'hypothèque des années de plomb. Mais les jeux sont loin d'être faits dans ce secteur, et réclament une vertu : le courage. L'affaire des archives en fait partie. Toutefois, il ne faut pas se bercer d'illusion. Un tel problème est fondamentalement politique. Son règlement dépasse de très et de très loin les compétences et les capacités actionnelles de l'Observatoire. Il exige une justice transitionnelle faisant l'unanimité et ne souffrant d'aucun déficit de légitimité. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Si à titre de comparaison, nous prenons le cas du Chili, pays qui a vécu une dictature plus féroce que la nôtre, une police plus redoutable que la nôtre, un nombre de morts qui ne peut être comparé aux nôtres (loin de moi de minimiser la souffrance de nos victimes), ce pays à pu régler ce problème épineux et douloureux qu'en se basant sur trois paramètres cumulatifs. D'abord, ils ont opté pour une temporalité longue, car ils se sont vite aperçus que le temps politique n'est point le temps de la réparation. Le premier obéissant aux agendas politiques des acteurs, il ne pourrait qu'être rapide et en constante accélération. En revanche, le temps de la réparation qui est intimement lié à l'idée de justice et d'équité exige une temporalité plus longue afin d'éviter que le doute ne s'empare du résultat final. Donc ils ont pris leur temps. Ensuite, ils ont choisi de ne pas gérer ce problème par le prisme de la réparation victimaire. La victimisation induit généralement la vengeance, la revanche et non la justice. Et surtout elle impose une différenciation hiérarchisante au sein du corps social entre les victimes et les autres. Une telle dualité culpabilisante est sur le plan éthique insoutenable. Enfin, ils se sont basés sur un principe central dans le règlement de ce type de dossier : le principe de la résilience. La résilience se définit comme la volonté et la capacité d'un pays, de la société, des pouvoirs publics à résister aux conséquences d'une agression (telle qu'une dictature) ou d'une catastrophe majeure, puis rétablir rapidement leur capacité à fonctionner dans un mode politiquement et socialement acceptable. Cela suppose un état d'esprit fortement imprégné par un patriotisme loin des petits calculs partisans ou personnels. Donc pour lever l'hypothèque des archives dans notre pays beaucoup de résilience, énormément de patriotisme (ce qui est bon pour le pays est bon pour moi) et peu ou pas du tout de précipitation. Là encore, l'Observatoire peut ouvrir le débat et comparer les expériences. A cet égard, il peut être un lieu de ressource et une force de proposition, mais point un acteur directement impliqué dans le règlement ou le traitement de ce dossier. Car ce dernier relève de la justice.
La police politique est présente dans la majorité des pays (démocratiques ou non) sous diverses formes, comptez-vous examiner les fichiers de la police politique et proposer une approche crédible pour une « police politique républicaine » ?
Le renseignement existe en Tunisie depuis toujours mais il n'a jamais bonne presse. Les autorités tunisiennes ont toujours considéré ce service comme un corps (de police) au service du régime. La dissolution de la police dite «politique» après la Révolution constitue une étape importante. En effet, à l'heure où le pays s'est engagé dans une réorganisation des pouvoirs régaliens de l'Etat, la normalisation et la réorganisation de ce service seraient certainement un premier pas vers son indispensable adaptation à un système démocratique. Mais l'histoire et la réputation de ce service restent brouillées, peut-être parce qu'il n'avait pas su (ou pu) établir une véritable doctrine d'emploi, distincte de la notion de reconnaissance des «ennemis du régime». Une telle orientation a été accentuée par l'arrivée au pouvoir de Ben Ali dans un contexte de « chasse» aux opposants et n'a pas permis de véritable refondation. Au contraire, le président déchu a accentué cette déviance. Lui-même issu des services de renseignement, il en a fait un appareil de surveillance, de contrôle et de répression de tous les opposants politiques. Paradoxalement, ce service était l'un des plus mal organisés de la police tunisienne. Dépendant directement de la présidence de la République, il surveillait tout le monde y compris les forces de sécurité elles-mêmes. L'absence de contrôle a conduit fréquemment les agents de ce service à commettre des abus qui ont compromis la réputation du pays. Les correspondances recueillies ou envoyées par eux étaient souvent insignifiantes et ne paraissaient pas sincères. En même temps qu'elle déviait ce service de sa vocation initiale, cette mission dans laquelle s'était engluée le renseignement tunisien, a provoqué sa transformation définitive en police politique. Que faire alors pour sortir l'institution de l'impasse?
Là, l'Observatoire jouera entièrement son rôle de producteur des nouvelles idées. Cependant, les recommandations dont il est la source ne doivent pas se focaliser uniquement sur le problème des fichiers. Elles doivent également porter sur une refonte globale de ce service pour que l'avatar cesse de nuire. A l'instar des démocraties apaisées, la réforme doit avoir comme première vocation de créer un cadre politique, institutionnel et législatif qui constitue l'indispensable préalable à une politique de renseignement au service de la nation. En outre, dans le droit fil de cette recommandation, il faut créer un «Conseil national du Renseignement». Il doit être placé sous l'autorité de la présidence de la République et le chef du gouvernement. Ses fonctions peuvent se résumer ainsi : coordonner et orienter l'action des services du renseignement, vérifier la cohérence de leur activité sur le territoire et à l'étranger, et proposer des priorités claires dans leurs missions. En matière de renseignement, les exigences de légitimité et d'efficacité ne sont que les deux facettes d'une même réalité. L'acceptation par le citoyen de la nécessité du renseignement est une condition de son utilité réelle. Elle impose à ses promoteurs comme à ses responsables de lui consacrer toute l'attention nécessaire en cherchant sans relâche à l'adapter aux circonstances et aux défis de la démocratie. Dès lors, nos services de renseignement méritent qu'ils soient à l'abri de toute tentative de personnalisation. A cet égard, à travers sa mission de veille et de surveillance, l'Observatoire fera en sorte que le citoyen ait la possibilité d'accéder à l'information et à la connaissance en la matière.


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