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Maîtriser les dépenses courantes et mieux cibler les subventions Budget économique pour l'année 2013 - Entretien avec M. Antonio Nucifora, économiste en chef à la Banque Mondiale
«Si la Tunisie renoue avec la croissance, les dettes extérieures ne poseront pas de sérieux problèmes. Dans d'autres cas, il faut penser dès maintenant à piloter le niveau d'endettement» «Dans un contexte difficile où les prévisions de croissance en Europe sont révisées à la baisse, il faut être prêt à un plan B qui prévoit une croissance plus faible ou un fléchissement des exportations» «Les subventions sont une bonne chose mais le problème, c'est qu'elles n'arrivent pas aux ayants droit et à ceux qui en ont vraiment besoin» A travers les yeux d'un bailleur de fonds, on pourrait voir une autre version des chiffres et des prévisions. En effet, les annonces des gouvernements ne coïncident que rarement avec les études des experts des institutions financières internationales. Entre les scénarios «ambitieux» et les prévisions «raisonnables», la conjoncture se charge de dresser les niveaux de réalisation. Pour discuter des objectifs et des orientations du budget de l'Etat de 2013, on a contacté M. Antonio Nucifora, économiste en chef à la Banque Mondiale en Tunisie, qui s'est prononcé en tant qu'expert et... banquier. Avant de mener ses analyses, il a tenu à rappeler que la conjoncture économique et sociale difficile qui a suivi la révolution n'a pas laissé beaucoup de choix aux décideurs dont l'objectif est de stimuler l'économie par un mix politique monétaire et politique budgétaire. Et, après l'essoufflement de l'outil monétaire, l'outil budgétaire offre encore des possibilités pour relancer l'économie. L'expansion monétaire, la hausse des prix des céréales et du carburant sur les marchés internationaux et les pressions des salaires ont généré des tensions inflationnistes au cours de l'exercice en cours et pèseront lourd sur le budget de 2013. «Ce qui se traduit par une augmentation de la part consacrée à la consommation», estime l'expert. Et de renchérir : «Ces dépenses n'assurent pas une relance économique et une croissance soutenable.». En effet, les pressions sociales pourraient justifier le fait que les dépenses courantes évoluent plus rapidement que les dépenses d'investissement, mais cette tendance ne doit pas demeurer dans le temps. Pour 2013 et au-delà, «il faut maîtriser les dépenses destinées à la compensation», insiste l'économiste en chef. Il estime que 8% du budget est une enveloppe énorme, voire excessive. «Les subventions sont une bonne chose mais le problème c'est qu'elles n'arrivent pas aux ayants droit et à ceux qui en ont vraiment besoin», rappelle-t-il. A cet égard, les grosses voitures des riches circulent avec du carburant subventionné qui bouffe le gros lot des ressources allouées à la compensation. D'où il convient de mieux cibler les subventions. Pour ce qui est des investissements dans les régions, «jusque-là, au titre de 2012, le gouvernement a opté pour un budget supplémentaire pour investir dans les régions.», remarque-t-il. Et une enveloppe significative de 5,5 milliards de dinars sera allouée pour investir dans les régions en 2013. Mais le faible rythme de réalisation de ses budgets de cette année pose beaucoup de questionnements quant à l'adéquation de ces projets aux régions. D'où, il est vivement conseillé de faire participer les habitants des régions dans la conception des projets de développement qui répondent au mieux à leurs attentes. Un niveau d'endettement gérable Bien que le recours à l'endettement soit de nature à créer plusieurs controverses, dans tous les pays du monde, la Tunisie a toujours gardé des niveaux de dette relativement maîtrisés et acceptables. D'ailleurs, le taux d'endettement public extérieur de la Tunisie n'est que de 47%, de loin inférieur à celui du Japon, ou à d'autres économies avancées, à l'instar des Etats-Unis ou de la France. Sans parler des pays qui souffrent de crises de dettes souveraines. Donc, il y a un espace pour le déficit budgétaire tant qu'il y a la possibilité de s'endetter sans dépasser des niveaux critiques. Dans ce cadre, un travail de projection jusqu'à 2017 a été élaboré pour suivre de près l'évolution de l'endettement. Mais ces projections sont tributaires de plusieurs facteurs dont la croissance, le prix du pétrole, les taux de change... Il convient alors de s'interroger sur les répercussions d'une conjoncture plus difficile que prévue. Par ailleurs, la question centrale, selon l'expert, est : «Quel est le chemin de cet endettement ?». Ces ressources auront des répercussions directes sur les prochains budgets, au niveau des dépenses et des recettes. Quand il s'agit des investissements qui assurent d'importants retours de fonds à moyen terme, l'endettement ne pose pas de problèmes. Au contraire, il est conseillé. Mais si les ressources sont destinées à la consommation, l'endettement est de nature à aggraver les budgets futurs, à l'image des ménages. A ce niveau, il relève : «Si la Tunisie renoue avec la croissance, les dettes extérieures ne poseront pas de problèmes. Dans d'autres cas, il faut penser dès maintenant à piloter le niveau d'endettement». Ainsi le financement du budget demeure une problématique. Du côté du financement, la Tunisie manque de ressources durables. Même pour les ressources exceptionnelles, «pour 2013, il est difficile de prévoir le montant des recettes exceptionnelles qui découleraient de la vente des biens confisqués.», illustre-t-il. D'où, pour maîtriser le déficit budgétaire, il faut maîtriser les points de pression dans le budget, notamment les subventions, les salaires et le système de retraite. De toutes les façons, le niveau de déficit budgétaire projeté de 5,9% est tout à fait acceptable pour un pays en pleine mutation. «Relancer l'activité économique par le déficit budgétaire est recommandé », estime-t-il. L'intention du gouvernement était de relancer l'économie par des investissements dans les régions. Parallèlement, le renchérissement des produits importés et la récession sur le Vieux continent pèseront lourd sur l'économie nationale et sur les budgets futurs. Les tensions de la conjoncture internationale persistent «Dans un contexte difficile où les prévisions de croissance en Europe sont révisées à la baisse, il faut être prêt à un plan B qui prévoit une croissance plus faible ou un fléchissement des exportations.», prévient l'économiste. L'un des chiffres démontre que toute révision à la baisse d'un point de croissance de l'Europe se traduit par une baisse de 0,9% de la croissance de l'économie tunisienne. A ce titre, les prévisions de la BM pour l'année prochaine sont relativement modérées. «On table sur un taux de 3,5% pour 2013 et on reste en dessous des 3% pour cette année.», estime-t-il. Pour les exportations, une partie échappe à la crise européenne, notamment les phosphates et les produits dérivés, dont la demande ne cesse de croître. Mais, pour les produits manufacturiers, le fléchissement de l'activité économique en Europe se traduirait inéluctablement par un fléchissement des exportations. Donc, il serait raisonnable d'adopter des prévisions prudentes en matière d'exportations. Pour ce qui de l'objectif de ramener l'inflation à 4%, la tâche s'avère délicate avec la hausse des prix des produits de base et du pétrole à l'international. De plus, il y a un arbitrage à faire entre l'inflation et la relance. Selon l'économiste, «on pourrait accepter des niveaux d'inflation supérieurs dans l'objectif de relancer l'activité économique.» S'attardant sur la participation de la Banque Mondiale dans le financement du budget, il note que «cette année, dans un contexte de marchés financiers réticents, la banque sera là.». Même si les discussions portant sur le budget de 2013 n'ont pas encore commencé. Toutefois, au-delà de l'économique, l'expert souligne : «Il s'agit d'aider un pays à réussir un changement historique, soit sa transition démocratique». Et d'ajouter: «On n'utilise plus le mot conditionnalité. La banque finance les pays et les gouvernements sur la base des programmes de réformes, ou un programme pour améliorer la croissance et réduire la pauvreté...». En somme, l'année 2013 sera placée sous le signe de la maîtrise des dépenses pour passer à une politique sociale bien ciblée. Pour ce faire, il faut initier un débat national pour trouver les meilleures réponses consensuelles.