Amour, un film qui a valu une deuxième palme d'or à son réalisateur, le généralissime autrichien Michael Haneke au festival de Cannes, trois ans après sa première pour Ruban blanc, revient après un petit passage par les JCC, pour un cycle de deux semaines au cinéma Hannibal à El Manar. Le titre fait penser, au préalable, à une histoire d'amour, mais quand c'est Haneke qui en est l'auteur, l'on ne peut s'attendre à un récit à l'eau de rose, commun et facile à digérer. Aussi, le réalisateur nous propose-t-il un face-à-face déroutant et émouvant à la fois, entre Eros et Thanatos. Il ne s'agit pas uniquement de rendre compte de la dégradation humaine, de son imminente fatalité et de nous la jeter en pleine figure, il s'agit plus de figurer avec peu de mots, mais ô combien d'émotion, la mort affrontée à deux, vécue par un couple de musiciens octogénaires, campés admirablement par les deux saisissants acteurs Jean-Louis Trintignant (George) et Emmanuelle Riva (Anne). Qu'on se le dise : le film est éprouvant et le spectateur, au fil des 127 minutes de la vie de cette fiction, vivra avec beaucoup d'empathie le calvaire du couple George-Anne, dont l'amour prendra un sale coup après l'accident de la femme. Le plan introductif l'annonce d'emblée, montrant des policiers défonçant la porte d'un appartement, puis d'une chambre pour découvrir le cadavre d'une vieille femme alitée, qu'on retrouvera, tout de suite après, à travers un flash-back, paisible et portant à merveille ses 80 ans, accompagnée de son amour, George, attendant le début d'un concert. Cet ordre des choses est chamboulé suite à un accident cérébral dont Anne est victime, après le concert. Dès lors, la caméra de Haneke élira domicile dans l'appartement, suivant avec beaucoup de pudeur la dégradation de l'état de la malade, celle de son mari également qui a décidé de ne plus la quitter. C'est là que Thanatos pointe son nez, rendant la tâche de plus en plus difficile à Eros et c'est la lente agonie de la femme que le spectateur vivra enfermé dans un appartement humide et froid suivant avec beaucoup d'empathie les gestes du vieil homme qui s'occupe avec tant d'amour et de patience de sa moitié qui sombre de plus en plus dans la léthargie. Au fil du métrage, le personnage d'Emmanuelle Riva devient de plus en plus diminué jusqu'à ne plus pouvoir s'exprimer qu'à travers des simulacres de mots et des cris de douleur. Devenant pénible, exprimant avec un désarroi qui filtre beaucoup de dignité le refus de sa situation, elle est vite recueillie par un vieux mari à la démarche boiteuse et aux gestes lents, un mari qui préserve sa pudeur, qui lui parle de l'actualité, qui lui raconte de vieux souvenirs de jeunesse et qui la gifle passionnément, dans un geste désespéré, quand elle rejette sa nourriture. Tout au long du film, Haneke nous plonge dans le quotidien froid et éprouvant du couple, à travers les gestes lents de George que le spectateur doit suivre jusqu'au bout, sans pouvoir y échapper. L'empathie atteint son paroxysme et ce sont les visites de la fille de George et Anne, rôle campé par l'éblouissante Isabelle Huppert, qui viennent nous retirer un tant soit peu de ce huis clos. Sa présence nous rappelle que George n'est pas totalement absorbé par cette descente aux enfers et qu'il garde encore et d'une certaine manière les pieds sur terre. Un constat mis en doute, vers la fin du film, lorsque ce dernier sort de l'appartement pour rejoindre sa défunte épouse. Cet affrontement terrifiant avec la mort, Haneke le peint avec beaucoup de sobriété, d'épuration et de distance, sans jamais tomber dans un pathos, hormis les cris douloureux d'Anne et les petits pleurs de sa fille qui lui rend de temps en temps visite. Le réalisateur évite la facilité des scènes déchirantes et les chaudes larmes, réussissant un récit intense, épuré et émouvant. A voir, absolument.