Les régions montagneuses et les quartiers populaires, désormais base arrière des jihadistes Vers la promulgation d'un projet de loi exhortant les citoyens à collaborer avec les services de sécurité, au nom de l'intérêt national Nouvelle paire de manches aux sombres perspectives : le retour des jihadistes tunisiens de Libye, Syrie, Mali et Afghanistan Au moment où se poursuit la formidable offensive lancée récemment par nos forces de sécurité intérieure et de l'armée dans les derniers retranchements des jihadistes signalés un peu partout dans le pays, des questions têtues reviennent sans cesse, tel du chewing-gum, sur les lèvres : jusqu'à quand le bras de fer perdurera-t-il ? L'offensive est-elle sur la bonne voie ? Les groupuscules obscurantistes finiront-ils par abdiquer ? Ce qui se passe, en ce moment, à nos frontières terrestres fera-t-il la différence dans ce qui s'apparente au «défi le plus audacieux dans l'histoire de la sécurité nationale»? Autant d'interrogations embarrassantes que seul un traître ne peut se poser et qui occupent désormais... la une des agendas quotidiens des ministres de l'Intérieur et de la Défense. Sans doute, personne ne souhaite être à la place de ces deux hommes que la triste réalité de la conjoncture actuelle a transformés, du jour au lendemain, en dépositaires de l'espoir de tout un peuple épris de paix. Des points à ne pas négliger Commençons par l'état des lieux pour signaler que ladite offensive a, jusqu'à présent, marqué des points. Des points si précieux que de nouvelles arrestations, «parient» des sources policières concordantes, sont imminentes dans les milieux intégristes, en concrétisation du suivi opéré après la dernière vague d'arrestations et de saisies enregistrées dans plusieurs régions du pays, notamment dans les gouvernorats du Kef, de Jendouba, de Kasserine, de Sfax et tout récemment à Douar Hicher. C'est que les séances d'interrogatoires qu'ont subies les jihadistes mis hors d'état de nuire ont été d'autant plus fructueuses qu'elles ont conduit à l'identification d'autres suspects qui couraient, ainsi qu'à la saisie d'un nouvel «arsenal». Mettant à profit les «bonnes informations» distillées par les services de renseignements algériens et américains, nos enquêteurs s'accordent à conclure que les jihadistes ont fini par transformer les quartiers populaires et les régions montagneuses (Tora-Bora, vous vous en souvenez ?) en base arrière de prédilection où s'entassent armes et munitions à la provenance mystérieuse et où se tiennent des «réunions de crise», question d'éviter les traditionnels rassemblements des mosquées désormais démasquées par les forces de sécurité intérieure. Autre conclusion non moins importante: le recrutement, par les jihadistes recherchés, de jeunes «indics» chargés de la collecte d'informations fiables sur le mouvement des agents de l'ordre et sur le comportement des «voisins», afin de parer à l'effet surprise. Mais, si l'étau ne cesse de se resserrer autour des fiefs des jihadistes, un seul casse-tête continue, cependant, de hanter nos enquêteurs, à savoir la vulnérabilité des frontières terrestres où le plus dur reste à faire, étant donné que l'opération de leur quadrillage entreprise récemment, si elle a sensiblement réduit le nombre d'infiltrés, n'en demeure pas insuffisante. D'où l'unanimité faite par les différents services concernés autour de l'obligation urgente de voir la vigilance monter d'un cran, à travers une collaboration plus étroite avec les parties algérienne et libyenne. Surtout du côté libyen où le «déficit à éponger» reste énorme, comparativement avec le concours précieux et exemplaire des Algériens. Parce qu'Al Qaïda est parmi nous L'on sait que, techniquement, il est communément admis dans le jargon policier que les meilleurs services de sécurité de par le monde ont — et auront — toujours besoin de soutien extérieur, sous la forme de la mobilisation d'indics chargés de la collecte de renseignements susceptibles de... faire mouche. La CIA, le FBI, le Mossad, le KGB et autres agences d'espionnage à la renommée internationale ont réussi à élucider des énigmes des plus troublantes et sensationnelles grâce justement à l'efficacité de taupes et de détectives privés recrutés parmi la population. Cette expérience qui a fait ses preuves dans le monde s'amènera-t-elle dans nos murs ? Tout porte à le croire, quand on sait que l'idée de la promulgation d'un projet de loi exhortant les citoyens à collaborer avec la police au nom de l'intérêt national a déjà fleuri et fait son chemin, en attendant son entérinement. Un honnête citoyen qui en a eu vent nous a confié qu'il applaudirait, les yeux fermés, ce projet qu'il considère comme «un devoir sacré au service de la patrie et dépourvu de tout préjugé défavorable». Pour un policier impliqué dans la chasse aux intégristes, «ce projet serait le bienvenu, tout simplement parce qu'Al Qaïda s'est implantée dans nos murs et pour prétendre la battre, rien ne vaut la contribution de toute la population». Le come-back des combattants La lutte contre le terrorisme s'annonce donc ardue, voire harassante et pleine d'imprévus. Car il va falloir compter, à long, voire à court terme, avec le retour un jour des jihadistes tunisiens impliqués actuellement dans «leurs» guerres saintes en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Mali et en Libye. Selon certaines indiscrétions dignes de foi, ils sont des centaines de Tunisiens à combattre dans ces pays. Les rescapés d'entre eux finiront, tôt ou tard, par rentrer au bercail où rien n'indique qu'ils ne reprendraient pas les armes pour la sacro-sainte «pérennité d'Al Qaïda», en connivence avec le maître à penser de ce mouvement dans la région, le tristement célèbre homme fort d'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) Abdelmalek Droukdal, alias Abou Mossaâb Abdelwadoud. L'avis d'un expert : « Sans une action commune entre les pays du Maghreb et les Etats-Unis, on ne sortirait pas de l'auberge » Professeur en sciences politiques, expert en études stratégiques, M. Brahim Adouani assure d'emblée que «le terrorisme est devenu, pour la Tunisie, une triste réalité qu'il serait suicidaire d'ignorer ou de prendre à la légère. La menace de ce phénomène est, en effet, d'autant plus sérieuse qu'elle se développe de plus en plus, tant dans nos murs qu'à nos frontières, aidée en cela par les visées expansionnistes de la nébuleuse intégriste de par le monde. A mon avis, le problème majeur qui se pose est que nos services de sécurité et de l'armée ont aujourd'hui à composer avec un phénomène auquel ils n'étaient pas habitués et qui constitue, par conséquent, un mystère et une énigme pour eux. D'ailleurs, je reste persuadé que tant qu'on n'a pas tout fait, on n'a rien fait. C'est-à-dire que le résultat réalisé jusqu'à présent, à travers les arrestations, les saisies d'armes et de munitions et le démantèlement de réseaux de jihadistes, s'il est à marquer d'une pierre blanche, n'en demeure pas moins insuffisant. D'abord, parce qu'on déplore encore l'existence de cellules dormantes. Ensuite, parce qu'il a été établi que, stratégiquement, les groupuscules intégristes sont terriblement bien structurés et usent de stratagènes diaboliques pour dérouter leurs poursuivants, outre leur extraordinaire capacité de commettre des attentats meurtriers. Enfin, parce que nos frontières terrestres, faut-il aussi l'avouer, ne sont pas suffisamment bien gardées». Que faudrait-il alors faire pour sortir de l'auberge ? Pour notre interlocuteur, trois solutions sont envisageables, à savoir : 1- Maintenir la pression sur les jihadistes sévissant en Tunisie, et cela par un travail en profondeur en matière de renseignements, tout en faisant preuve d'une vigilance sans relâche. 2- S'inspirer de l'exemple de l'Algérie qui est considérée par les experts comme un symbole de réussite dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. 3- Mettre en place une action commune en bonne et due forme avec nos voisins libyens et algériens, ainsi qu'avec les Etats-Unis, et ce, par la synchronisation des efforts au niveau des échanges de renseignements et des prisonniers et, si c'est possible, par la mobilisation de patrouilles mixtes chargées de la surveillance des frontières entre les trois pays. Des drones US dans l'espace aérien tunisien ? Pour M. Adouani, «le plus dur reste donc à faire. Et quand je vois avec détermination que les Américains sont actuellement en train de gérer l'épineux dossier du terrorisme en Afrique, et plus particulièrement dans le Maghreb, et quand on se rappelle que l'Oncle Sam a été durement secoué par les incidents de Benghazi et de l'ambassade US à Tunis, et quand on ajoute à tout cela la conviction avérée de la Maison-Blanche qu'Al Qaïda est carrément en train de marcher sur notre région, je n'écarterai pas la double hypothèse de voir les GI aux portes de nos frontières et les drones américains survoler notre espace aérien. De toute façon, demain il fera jour». M.Z.