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Kilani Ben Nasr, ancien colonnel, spécialiste du droit des conflits armés : Les drones tunisiens sont capables d'assurer la tâche Lutte contre le terrorisme dans le Grand Maghreb
Qu'est-ce qu'un drone ? L'actualité sécuritaire et la nature géographique du pays nécessiteront-elles vraiment l'usage de cette arme très sophistiquée ? Mais ne serait-il pas plus valable de compter sur nos propres moyens pour faire face aux menaces qui guettent la sécurité nationale ? Kilani Ben Nasr, colonel retraité, ayant à son actif des décennies de labeur et une grande expérience au sein de l'armée nationale répond courtoisement à ces interrogations que l'on se pose souvent ces derniers temps. Comme il le laisse entendre, un drone est un aéronef inhabité, piloté à distance, semi-autonome ou autonome, susceptible d'emporter différentes charges utiles. Ces charges le rendent capable d'effectuer des tâches spécifiques pendant une durée de vol pouvant varier en fonction de ses capacités. Le nom est déjà donné en 1930 par l'Angleterre et cela désigne un faux-bourdon, c'est-à-dire le mâle de l'abeille. Mais, les Américains le désignent par l'appellation UAV. Engins volants de taille réduite, les drones sont également plus discrets et leur perte n'est pas aussi lourde de conséquences que celle d'un appareil complet ayant à bord un pilote. Le prix d'un drone s'élève à près de 15 millions d'euros et peut être utilisé comme plateforme de désignation de cible ou comme arme capable d'attaquer les convois et les fortifications et de détruire des chars. Il est aussi utilisé comme précurseur d'opérations, souvent à des fins de recueil de renseignements. L'autonomie maximum de cet appareil militaire est de 40 heures de vol, détenue par les Américains qui l'ont utilisé en 2004 dans les opérations militaires contre les groupes d'Al-Qaïda en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. Force est de constater que les Américains sont actuellement sur un grand projet pour fabriquer des drones capables de rester en vol 5 ans. Mais, il ne faut pas perdre de vue que l'utilisation de cette arme a fait des dommages collatéraux, en l'occurrence 891 victimes parmi les civils en 2004 et 2.610 tués depuis 2004 jusqu'à 2012, ajoute le colonel. Tout pour maintenir la sécurité nationale S'attardant sur l'éventuel recours aux drones afin de combattre les terroristes qui présentent une réelle menace pour la sécurité du pays, M.Ben Nasr avance que tous les moyens sont permis, si l'on se réfère aux fermes convictions dont s'arment les militaires tunisiens. De là, une démarche pareille serait motivée aussi bien par l'insécurité qui règne de temps à autre dans le pays que par les potentialités déstabilisatrices découvertes chez les « groupes fanatiques ». Des groupes en mouvement entre certaines zones reculées du pays et l'extérieur, mais qui guettent le moment opportun pour mener des attaques terroristes. D'où la nécessité de prendre toutes les mesures préventives. De ce point de vue, le même interlocuteur fait remarquer que les drones peuvent jouer un rôle efficace dans la localisation des groupes terroristes et la collecte d'informations précises. Une mission qui ne nécessite, selon lui, ni l'intervention des Américains ni l'usage de leurs drones. Car l'institution militaire tunisienne est autonome et capable d'assurer la tâche. Ce, étant donné que les drones «Aoussou» et «Nasna », conçus et produits en Tunisie depuis 1997, sont d'une performance reconnue par le Pentagone. « Nasnas » est, en effet, le plus avancé pour ce qui est du recueil de renseignements. Dans la même perspective, notre interlocuteur fait également observer qu'en ces temps de grande turbulence que vit le pays, l'usage de drones peut-être très utile, compte tenu de leur capacité de résistance : «Ce sont des appareils qui ne se lassent pas et qu'on peut utiliser à outrance afin de surveiller nos frontières. La Tunisie en a fort besoin aujourd'hui». Une ingérence étrangère aura des impacts néfastes Si M.Ben Nasr plaide pour l'usage de drones tunisiens, c'est parce qu'il estime qu'une ingérence étrangère aura sans doute des impacts néfastes. Une intervention américaine en Tunisie ou encore dans le reste de la région maghrébine, loin d'être utile pour le moment, ne fera, selon lui, qu'attiser la haine contre l'Occident. D'autant plus que les groupes terroristes et fanatiques disposeront d'arguments qui peuvent les aider à convaincre les jeunes d'intégrer leurs réseaux et camps d'entraînement. Pis encore, en réaction contre cette ingérence étrangère, les cibles pourront délocaliser le combat pour le concentrer dans les villes et procéder à mettre en avant des boucliers humains. Ce qui peut générer plus de victimes parmi les civils, puis plonger le pays dans le chaos total. L'autre détail à prendre au sérieux, comme le pense le spécialiste du droit des conflits armés, est que les sols tunisien et maghrébin seront infiltrés d'agents de la CIA, dès lors qu'il y aura usage de drones américains : «Ces drones sont gérés par des services relevant de la CIA. Et leur usage nécessite la préparation d'une base pour l'atterrissage et l'entretien. Tout cela donne à lire que tout un beau monde pourra s'installer dans nos mûrs. Et cela peut ouvrir la voie à d'autres types d'infiltration fort dangereux pour la sécurité nationale». Notre vis-à-vis réalise, par ailleurs, la délicatesse de la situation avec l'étendue de montagnes peu accessibles qu'on a dans la région du Nord-Ouest. Toutefois, il opte pour l'autonomie en matière de défense nationale, fort en cela des réalisations de l'armée tunisienne au fil de l'histoire. Une armée qui a réussi à dissuader toutes les tentatives précédentes de terroristes ayant cherché à mener des opérations en Tunisie. Pour lui, quoique les drones soient d'une haute technologie, ils ne peuvent en aucun cas remplacer le travail humain et le travail sur le terrain. «L'efficacité de ces drones dépend, à son tour, de la contribution des humains. C'est grâce aux renseignements que fournissent ces derniers que l'on peut localiser les cibles pour finalement les attaquer. Je pense, au demeurant, que la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme doivent être la cause de tous les Tunisiens et non pas uniquement des forces armées. La conjugaison des efforts est un impératif pour le maintien de l'équilibre et de la stabilité de la patrie». Drones et droit des conflits armés L'usage intensif et abusif des drones pour tuer des personnes au nom de la lutte contre le terrorisme contraste en grande partie avec les principes du droit international et du droit des conflits armés. M. Ben Nasr n'y va pas par quatre chemins, soulignant que Human Rights Watch (HRW), organisation internationale non gouvernementale qui défend les droits humains, dénonce dans ses rapports la pratique des assassinats ciblés au moyen de ces drones. L'Organisation admet que ces armes sont des instruments potentiellement efficaces qui peuvent minimiser des pertes civiles quand ils sont utilisés correctement. Mais, elle déplore le manque de transparence des Etats-Unis sur plusieurs opérations. HRW avance, en effet, qu'il faudrait avoir plus d'éléments pour déterminer leur légalité. Toutefois, le gouvernement américain communique très peu à ce sujet et les opérations dirigées par la CIA sont entourées du plus grand secret. C'est pourquoi le HRW demande que la gestion des opérations menées par les drones passe sous la tutelle des militaires et non des services secrets(CIA). Comme le confirme notre interlocuteur, plusieurs usages de ces drones contreviennent aux principes du droit international. Ce, en réalisant que l'utilisation de la force meurtrière n'est pas légalement admissible, sauf lorsqu'elle est nécessaire pour sauver des vies humaines, et seulement si on n'a pas d'autre possibilité de capturer ou de mettre hors d'état de nuire la personne jugée dangereuse. Tout autant qu'en droit international, une personne ne peut pas être ciblée par la force létale uniquement en raison d'un comportement illégal passé. On doit la capturer et la juger. Ce qui n'était pas le cas dans plusieurs attaques menées par les forces américaines, selon HRW. L'autre inquiétude de la même organisation concerne l'entourage des personnes ciblées, puisque selon des révélations parues dans des organes de presse américains, tous les hommes en âge d'effectuer un service militaire qui entourent la personne ciblée sont considérés comme des combattants. Ce qui constitue une violation du droit international qui impose une distinction entre cibles militaires et non militaires. Même dans le cadre du droit de la guerre, renchérit colonel Ben Nasr, on ne peut pas faire n'importe quoi. En temps de guerre, il n'est pas illégitime de tuer un soldat du camp adverse, compte tenu de deux principes fondamentaux: la distinction entre militaires et populations civiles et le principe de proportionnalité: les dommages aux personnes et biens civils ne doivent pas être disproportionnés par rapport à l'avantage militaire attendu. Or l'usage de drones pose des questions sur ces deux principes. C'est pourquoi il ne cesse de s'attirer les foudres des organisations et institutions internationales des droits de l'Homme.