Par Hamma Hanachi Semaine riche, colorée, chaleur humaine, fièvre de contestation, militants syndicalistes et modernistes décidés à vilipender le libéralisme meurtrier et exalter la solidarité des peuples. Sur fond de crise mondiale, ni mollesse ni faux semblants, direct au but, nos visiteurs sont durs avec les puissants et tendres avec les faibles. Expressions multiples, le verbe est à l'affrontement, arguments solides, convictions chevillées au corps et rupture avec le grand capital et le néo-libéralisme. On a compris, ils n'ont pas assez de boulets rouges pour qualifier les riches et les sans morale. On est à des années lumière de Davos, capitale des argentiers où les participants sont chaussés de richelieus, Rolleix en main et sac Vuitton pour les femmes. Ici le mot fédérateur est dignité, décliné en plusieurs langues, plaqué sur des affiches, des sacs et gibecières en jute et des tee-shirts. Beaucoup de rencontres, la ville à l'heure du Forum social mondial est belle comme le printemps, cosmopolite, organisations et société civile à l'ouvrage, dans leurs élans contestataires, les restaurants, les gargotes et cafés sont pris d'assaut, des habits de couleurs, casquettes, chaussures ou baskets pour battre le pavé. Pas de frontières entre les hommes, une solidarité et le sens de l'honneur. La marche en guise d'ouverture, départ de la place du 14-Janvier. Des milliers de participants, qui ne sont pas les tueurs, provocateurs qu'on veut présenter, mais des dérangeurs, des dynamiteurs d'idées, libres, militant pour un monde plus juste, des citoyens de la terre qui veulent «repassionner la vie*» Marche ? Plutôt une cadence à la fois sûre et chaloupée comme une équipe de foot brésilienne en contre-attaque : harmonie des mouvements et virtuosité individuelle. Des mots d'ordre qui vont droit au cœur, en vrac cela donne : un autre monde est possible, la récession a atteint tous les pays industrialisés, le capitalisme est fatigué, lequel est responsable de la pauvreté dans le monde, l'économie planétaire est entrée dans la zone rouge. En résumé, un constat qu'on retient, avancé par l'économiste, analyste de la mondialisation, Bernard Maris : «Il n'existe pas de réalité économique. La réalité économique est à la fois construite et négociée. Elle est le produit des luttes, de conflits. Elle aboutit à des conventions économiques». Battements de tambours, fortes délégations étrangères, les partis communistes, ou ce qu'il en reste, d'Espagne, de France et de Grèce unis sous la même bannière, militants âgés, droits dans leurs bottes, affrontant les vents ravageurs du libéralisme, bref , ils sont raides dans leur dignité, les Brésiliens au devant, chants et danse. Arrivée à la Cité olympique d'El Menzah, regroupements, discussions, odeurs de merguez et étals de drapeaux, de tracts et de journaux, une grande scène, figure emblématique du Brésil ex-ministre de la Culture de président Lula, Gilberto Gil, dans ses œuvres et ses rythmes palpitants. ça chante, ça danse, ça crie les slogans contre les pouvoirs et le froid. Samedi 30 mars, clôture du Forum, après-midi nuageux, foule immense dans les grandes artères, parcours : avenue Habib Bourguiba, siège de l'ambassade de Palestine, avenue Alain Savary. Journée de la Terre, marche en rangs dispersés, des mots d'ordre contradictoires, modernistes, islamistes, nationalistes, l'heure est grave, tout le monde y va de sa voix, de son message, quelques échauffourées au passage sans conséquences. Entre les deux dates, du matin au soir, des colloques, des conférences, des séminaires des ateliers. Le campus d'El Manar ne désemplit pas, un marché aux idées, aux journaux, aux livres et à la réflexion. Une exposition qui illustre les Forums depuis leur début à la Bibliothèque nationale. Des clichés des différents défilés, la marche, symbole des altermondialistes, depuis la première manifestation en 2011 à Porto Alegre au Brésil, en passant par Mumbai et Dakar, jusqu'à nos jours, des milliers de piétons, de toutes nationalités, des mollets musclés, de larges et de petites tailles, des pantacourts, collants, des justaucorps, des pulls, des parkas, des marques de chaussures, des peaux mats ou grasses, des chaussettes courtes ou longues, blanches ou en couleurs. La vie en marche. Une tente sur l'avenue Habib Bourguiba, les arts à l'honneur, des citoyens invités à rencontrer et discuter des expressions d'aujourd'hui, au quotidien, des plasticiens marocains, égyptiens, brésiliens, américains du nord travaillent sur place, des contacts, des questions, des réponses. Un atelier sur les nomadismes, physique, intellectuel, artistique. Le nomadisme contre les idées arrêtées. Des expositions à la salle du ministère de la Femme, à la Maison de la culture Ibn Khaldoun : l'art sous ses aspects altermondialistes et sans clichés. Cinq jours durant, les Tunisois ont vécu au rythme hallucinant de l'alter mondialisme et, au passage, ils ont testé et apprécié les vertus du cosmopolitisme. H.H *Guy Debord