Dix-huit ans après la conclusion, en 1995, de l'accord d'association, dans le cadre du processus de Barcelone, les relations tuniso-européennes n'ont jamais connu une approche aussi réaliste et stratégique comme aujourd'hui. Certes, la chute d'un régime politique totalitaire et l'inversement des tendances socioéconomiques ont pu brouiller toute la carte des intérêts géostratégiques dans la région méditerranéenne. Mais, en fait, la révolution a bel et bien changé la donne, montrant à nos voisins de la rive nord que la Tunisie a tout le mérite de devenir, désormais, un véritable partenaire privilégié. Ce statut avancé attribué dans une nouvelle logique d'un partenariat gagnant-gagnant n'a été signé et reconnu que récemment en novembre dernier à Bruxelles. Toutefois, ce couronnement nécessaire et bénéfique, venu au bout d'un long parcours de négociations ayant démarré depuis 2008, ne semble pas être au goût d'une société civile tunisienne qui s'estime marginalisée des phases préparatoires de cet accord. Elle voudrait avoir son mot à dire dans la perspective de nouveaux rapports d'échange et de voisinage qui commencent à se profiler à l'horizon des relations bilatérales. Sur cette lancée, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme (Remdh), en collaboration avec un collectif diversifié d'ONG et d'associations, a pris l'initiative de tenir, hier matin à Tunis, une conférence sur «le partenariat privilégié Tunisie-U E, opportunités et enjeux pour les droits de l'Homme et les réformes démocratiques». Cette manifestation qui a réuni un panel d'associatifs et de stratèges politiques se veut une pause de réflexions pour mieux s'engager dans la redéfinition des contours futurs de l'intégration de la Tunisie dans son nouvel espace européen qui devrait, désormais, prendre d'autres dimensions solidaires et humanistes. Ugtt, Ltdh, Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), Collectif 95 Maghreb Egalité, Doustourna, Institut arabe des droits de l'Homme (Iadh), Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) et bien d'autres acteurs sociaux sont venus y assister pour revendiquer un partenariat nord-sud d'égal à égal essentiellement basé sur le respect des principes des droits de l'Homme dans leur acception la plus large, la facilité de la mobilité, la libre circulation des biens et des personnes, l'échange des produits et services agricoles et le démantèlement des tarifs douaniers. Et les participants, activistes de la société civile ou autorités tunisiennes et européennes sont là pour plancher sur les engagements en matière de promotion des droits de l'Homme dans les relations entre les deux pays. Trois enjeux clés pour relever les défis futurs pour lesquels le rôle de la société civile s'avère être de mise. Il s'agit de la mise en œuvre des objectifs relatifs aux droits de l'Homme et aux réformes démocratiques, l'institution des mécanismes indépendants de suivi et d'évaluation dans le cadre des relations Tunisie-UE et l'intégration de l'égalité homme-femme dans toutes les politiques des deux pays. Alors, que pourrait apporter ce statut privilégié à une Tunisie en phase de transition, où tout est en gestation ? Au nom du secrétaire général de l'Ugtt, Kacem Afaya, membre du bureau exécutif de la centrale syndicale, a insisté sur l'implication de la société civile tunisienne et européenne dans la prise de décision et la négociation des questions d'intérêt commun. Et d'ajouter que l'accès au statut de partenaire privilégié impose crédibilité et confiance mutuelle, lesquelles supposées avoir le sésame de développement commun et de prospérité partagée. S'adressant aux autorités européennes, le secrétaire adjoint de l'Ugtt n'a pas manqué de souligner l'importance d'ériger les dettes tunisiennes en aides et investissements afin que les régions reculées puissent retrouver leur rythme de croissance. Le président de l'Institut arabe des droits de l'Homme, M. Abdelbasset Ben Hassen, a relevé l'intérêt qu'il y a de faire participer toutes les forces vives de la société dans la conception et la concrétisation des objectifs des partenariats en matière de droits politiques et socioéconomiques. Aussi, la société civile serait-elle en mesure de veiller à ce que soient traduites dans les faits les différentes clauses de la convention régissant le partenariat privilégié ? s'intérroge M. Hassen. Membre du comité exécutif du Remdh, M. Ayachi Hammami s'est rallié à l'avis de ses collègues à propos des problématiques des droits de l'Homme, des réformes démocratiques, de la justice et de la migration quant à l'impératif d'en tenir compte lors de la mise en œuvre du plan d'action pour 2013- 2017, lequel plan représente un engagement politique important pour les deux parties convenues. Un appel est lancé pour que toutes ces questions soient au cœur de ce partenariat avancé, afin de soutenir effectivement le processus de transition démocratique. D'où la nécessité d'adopter une approche participative efficace et transparente. Protestations sociales à n'en plus finir, insécurité, instabilité politique et ralentissement du rythme de rédaction de la Constitution sont autant d'entraves qui font que le partenariat Tunisie-UE ne puisse plus être privilégié. Suite à l'accord politique sur le nouveau plan d'action précité, autant de priorités sont considérées par les autorités européennes comme conditions préalables à remplir. Il est question, en résumé, d'accélérer la création des instances régulatrices des médias, l'Isie, le code électoral et l'indépendance de la justice. Il s'agit également de gagner l'enjeu des réformes démocratiques et de lever les dernières réserves relatives à la convention sur l'élimination de toute forme de discrimination, instituer un cadre législatif pour la protection des réfugiés...Donc, ce statut de partenaire privilégié sera encore en suspens jusqu'à nouvel ordre.