Mohamed Baroudi, membre du comité constitutif de l'Alliance démocratique et membre du comité directeur de Grombalia Sport : «Je suis disposé à démissionner si la loi me l'impose» Je pense qu'il est indispensable de promulguer une loi bien claire pour séparer le sportif du politique et il ne faut laisser, en aucun cas, le choix aux hommes politiques. Ces derniers auraient toujours la tentation de choisir les deux parce qu'ils savent qu'ils ont besoin du sport pour réussir. C'est une réalité que personne ne peut plus ignorer. La situation de confusion et de mélange sport-politique est aujourd'hui pire que sous les deux anciens régimes. Avec la démocratie et la liberté de la presse, rien ne peut plus être caché et toutes les dérives sont mises à nu. Malheureusement après la révolution, le débat n'a pas été ouvert et les instances sportives ne se sont pas mobilisées pour réglementer le secteur et le préserver contre l'ingérence des politiques. Dans les pays démocratiques, les choses sont claires et il est nécessaire de respecter les règles de la Fifa et de les appliquer à la lettre. Moi personnellement, je suis disposé à démissionner de mon poste actuel de membre du comité directeur de Grombalia Sport au cas où la loi interdirait le cumul. Quant aux malheureux événements qui se sont déroulés à Bizerte, je ne peux que les dénoncer et appeler les dirigeants sportifs à assumer pleinement leurs responsabilités et à apaiser les tensions. Brûler le drapeau national est un acte inadmissible et un véritable crime et les auteurs de ce dérapage doivent en payer le prix. Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif d'Ennahdha : Les hommes politiques doivent laisser la place aux sportifs D'emblée, il faudrait souligner que dans l'ensemble des pays du monde moderne, la politique et le sport entretiennent des relations très proches. Ce qui est à reprocher, c'est bien l'attitude de ceux qui essayent d'instrumentaliser le sport à des fins politiques. Et dans les périodes transitoires, tous les dérapages deviennent possibles dans la mesure où l'on accuse toujours ces fameuses forces occultes qu'on tient pour responsables de toutes les violations de la loi et des règlements en vigueur. Pour ce qui est des actes de violence qui se sont déroulés lundi dernier à Bizerte, je pense qu'au vu de la confusion qui règne actuellement sur les esprits des uns et des autres, les régions qui s'estiment lésées se tournent vers le sport pour s'exprimer et faire entendre leur voix. Je suis convaincu, d'autre part, que les politiques doivent avoir le courage de laisser la place aux sportifs. Aujourd'hui, tout le monde sait qu'une association sportive constitue une force de pression et un facteur d'attraction des futurs électeurs. Il faut arrêter de jouer avec les sentiments des gens et mettre un terme à cette culture qui considère une victoire sportive comme un motif de fierté, alors qu'une défaite est vécue comme un affront ou une catastrophe. Une nouvelle culture est à mettre en œuvre en rendant au sport ses titres de noblesse et en dépolitisant les matchs de football qui ne sont enfin de compte qu'une simple compétition dont il faut accepter les règles et surtout les résultats définitifs. La mentalité du complot est à bannir aussi et les dirigeants sportifs se doivent d'éviter les comportements populistes. Les violences commises à Bizerte sont inadmissibles sur tous les plans et elles ont montré que nous avons encore beaucoup à faire pour ancrer chez les Tunisiens la culture du respect de l'autre et de l'acceptation des décisions prononcées par les autorités sportives compétentes. Mehdi Ben Gharbia, président du CAB et membre du comité constitutif de l'Alliance démocratique : «Nous n'avons jamais politisé le CAB» Bref et s'apprêtant de rejoindre une réunion importante qui venait de commencer au moment où nous l'avons contacté, il s'est contenté de préciser: «Nous n'avons jamais politisé le CAB et nous avons tout fait pour apaiser les tensions et tempérer les ardeurs des supporters en colère. D'ailleurs, plusieurs responsables appartenant à divers partis politiques étaient présents lundi dernier à Bizerte et ont contribué, dans une large mesure, à calmer les mécontents et à éviter que la situation ne dégénère. Maintenant, il reste à savoir si l'on instrumentalise le sport à des fins politiques ou non. C'est un débat à lancer sérieusement. Il commande la participation de tous». Slim Riahi, président du CA et président de l'Union patriotique libre : Halte à la manipulation de l'opinion politique sportive Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, je considère qu'un responsable politique qui assume en parallèle une responsabilité sportive est en mesure d'apporter le plus puisque son action est sous les projetcteurs de tout le monde, et en premier les médias. Plus encore, un responsable politique sincère et patriotique ne peut que placer l'intérêt supérieur au-dessus de toute autre considération, y compris les intérêts de sa propre association sportive. Quant aux violences commises à Bizerte, je pense que sans la présence sur le terrain de Mehdi Ben Gharbia, président du CAB, et ses efforts pour calmer les mécontents, la situation aurait dégénéré. Le problème auquel nous devons tous trouver une solution, c'est bien de nous mobiliser pour que les agitateurs et les pseudo-juristes et analystes autoproclamés cessent de jouer avec les sentiments des supporters de clubs et de les induire en erreur avec leurs analyses fallacieuses. Pour moi, l'idée de la primauté de la loi est en danger avec les rumeurs qui circulent un peu partout promettant tout et n'importe quoi aux supporters. Il est grave que ces gens continuent à manipuler l'opinion publique sportive, le plus souvent à des fins purement matérielles. Nous appelons à un dialogue national sur la législation sportive nationale et sur la nécessité de l'adapter aux normes internationales. Et c'est dans cet esprit que nous organiserons au Club Africain prochainement une conférence sur la législation sportive et les communications qui y seront présentées ainsi que les recommandations qui en résulteront seront publiées dans un livre qui sera mis à la disposition de tous les intéressés. Propos recueillis par A. DERMECH Abdelmadjid Abdelli (universitaire et militant Wafa) : La transgression de la loi est devenue légitime Toutes les lois du monde, y compris la loi tunisienne, criminalisent le fait de joindre responsabilité sportive et responsabilité politique. L'article 9 de la loi régissant les associations le stipule clairement : «Les fondateurs ou dirigeants d'associations sont interdits de faire part des structures centrales dirigeant des partis politiques ». Or, chez nous ceux qui le font demeurent encore dans l'impunité totale. Cela est un signe d'anarchie et de vide juridique. Depuis la révolution, la transgression de la loi est devenue légitime. Pire, la rue protège les récalcitrants. Et c'est le pays et ses institutions qui en payent un lourd tribut. Les derniers évènements de Bizerte en témoignent. Cela donne à lire également que l'interférence du sportif et du politique favorise le populisme et fragilise l'Etat. Aujourd'hui, toucher à un président d'un club sportif qui a une certaine popularité n'est pas sans risques majeurs. A Bizerte, par exemple, on a même pillé les archives de la mairie. Le danger est là et il est de plus en plus pesant. L'Etat est appelé à remettre les pendules à l'heure, en agissant à temps et fermement. Néji Jalloul (Al-Joumhouri) : A l'origine, la décadence de l'Etat L'interférence du politique et du sportif remonte à des époques lointaines. Les Romains recouraient jadis à des jeux d'amphithéâtre pour hypnotiser et aliéner la plèbe. L'histoire fait donc sa marche et l'on n'est pas sorti de cette logique. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui n'obéissent pas à la loi chez nous. Le cas s'applique également à ces députés qui joignent les deux bouts : le sportif et le politique. Cela est normal et ne doit en aucun cas surprendre, en l'absence d'un texte constitutionnel organisant l'Etat et la société. Concernant les événements de Bizerte, je ne pense pas qu'il y a des politiques derrière. Toute l'histoire est que les gens n'ont plus confiance en les institutions de l'Etat. Ils ont marre de l'exclusion. De là, à travers le foot, ils extériorisent une colère qui s'est accumulée pendant des années. Dans les pays développés, il y a des leaders et des institutions encadrant les manifestations et les contestataires. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui chez nous. Même l'Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt) qui devait assurer ce rôle a été fragilisée. Tout donne à croire que la décadence de l'Etat va crescendo. Nous avons des ministres qui ne respectent pas la loi. En effet, jusqu'à aujourd'hui personne d'entre eux n'a déclaré ses biens. Comment voulez-vous que le reste des responsables et le peuple le fassent ? Propos recueillis par M.H.A.