Avant le 14 janvier, le peuple était mal informé, renfermé et enfermé dedans. Au matin du 14 janvier, les révoltés croyaient sortir de l'enfermement, mais ils ont quand même été enfermés à la fin de la journée, dans des appartements de la ville. Après le 14 janvier, la femme, les enfants, les jeunes, les artistes, les médias...sont restés enfermés dehors, exilés chez eux. A chacun sa sentence, sa peine, sa prison et son exil. «Enfermé dehors» est le titre de l'exposition personnelle de l'artiste plasticien, diplômé des Beaux-arts de Tunis, Omar Bey. Elle se tient depuis le 13 avril et jusqu'au 4 mai, à la galerie Millefeuilles de La Marsa. Abritée en 1998, par la galerie Aire Libre d'El Teatro, «Rouge» était sa première exposition personnelle. Elle nous révélait une démarche strictement picturale. Grand et grassouillet, Omar Bey peignait grassement, avec beaucoup de grâce dans la gestuelle, des formes humaines généreuses, aux pieds particulièrement charnus, sans visages et dans des attitudes érotiques, de combat, d'ébats, de jeux du désir et de la séduction. Par la suite, l'artiste décide de couper le cordon avec le pays et fugue vers Paris, à la recherche d'une bouffée d'oxygène intellectuelle et culturelle et en vue d'enrichir et nourrir sa vie intérieure. Le dehors de l'artiste n'éclaire en rien son dedans Paisible, impassible, introverti, insouciant, enfantin, calme, détaché, sans angoisses apparentes, ni émotivité démesurée, il ne versait pas dans l'effusion des sentiments; surtout que sa corpulence et son sang-froid excluent, d'une manière subjective, une éventuelle fragilité et sensibilité. Seulement, à son retour de Paris, une boule de feu jaillit de ses tripes et soude sa rencontre avec la matière. Une passion naît entre l'artiste et différents matériaux à disposition ou de récupération. La peinture laisse d'abord la place à la rouille avec du collage et des incrustations de papiers, dans un expressionnisme psychédélique, cauchemardesque, fantasmagorique, déconcertant techniquement et impressionnant plastiquement. Cela lui a valu, depuis, la reconnaissance du milieu artistique et culturel, ainsi que les sollicitations des galeries marchandes. Le ciment, la brique, la céramique, le verre, le fer, le bois récupéré et autres matières séduisent, après, Omar Bey qui s'éclate, éclate ses sens et valse léger comme une plume, patine sur les pistes de grands formats, avec ses techniques mixtes, ses sculptures, ses installations, ses mosaïques, ses assemblages..., imposants, puissants et saisissants. Par le ciment, l'artiste conforte ses attaches, solidifie ses liens de l'amitié, de l'amour et de la famille. Par le bois embrasé par le feu intérieur qui le ronge, il grille les doutes, les interdits et les croyances figées. Par le fil de fer, s'effilochent les inquiétudes, les frustrations et les tabous. Le tout est prétexte à une extraversion pour ne pas perdre la boule quand il en a assez d'avoir les boules !! Que ce soit par le dessin, la photo, la sculpture, les ciments chargés d'objets messagers ou les installations de fil de fer magiques, dans l'exposition «Enfermé dehors», les messages directs ou indirects sont clairs parce que, généralement, au premier degré, sans concessions ni compromissions. Avec cette transparence de l'âme, Omar Bey va droit au but et ne se perd nullement dans le détail. Les dessins sont minimalistes, voire primitifs et fatalistes, démystifiant la nudité, l'ivresse et le désir. Les ciments portent une charge d'ironie, beaucoup de hardiesse et même d'effronterie, sanctionnant, entre autres, l'autocensure, l'absurde et l'antinomie comportementale. Les sculptures dégagent un flair artistique intense — voire féroce —, une pêche miraculeuse ou utopique par des coups de filets libérateurs, ainsi qu'une fatigue et une démission de l'artiste, léthargique dans le feu de l'action. Et comme l'Art et les libertés donnent, socio-politiquement parlant, du fil à retordre, notre plasticien compose, suit au fil du temps et au fil des jours, le fil de ses idées, avec un fil de fer. Il remplit minutieusement son espace en continu et sans interruption, à l'image d'un storyboard ou d'une bande dessinée. De fil en forme, sans passer par l'aiguille, il propose des formes figuratives libres, légères et vides de l'intérieur. Un vide transcendantal, mystique, avec parfois des ombres et des lumières variables, selon les fantasmes, les conflits et les discordes intérieurs. C'est aussi un foisonnement de pensées absorbant, fertile et amusant, comme le monde et son origine et l'obsession de la femme, toujours jeune, légère et objet. Enfermé dans son rôle et dans son atelier, l'artiste libère ses instincts, sa folie étouffée et sa colère secrète retenue. Sa force et sa créativité sont dans la recherche de la technique, l'utilisation originale et remarquable du matériau banal et usuel, le mariage esthétique de la matière et de l'objet et la patience dans le traitement fastueux des grandes surfaces. Il n'y a ni poésie ni romantisme dans l'œuvre de Omar Bey, mais de la grandeur, de la révolte, de l'érotisme, de l'ironie, de la parodie et beaucoup de sincérité. Omar est un cheval ailé! Suivons-le dans son énième envol.