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«Ansar Echaria allait instaurer un émirat à Kairouan et déclarer une guerre de positions à Ennahdha» Dossier — Jihadisme-Ansar Echaria (1ére partie) - Dr Mazen Chérif, analyste militaire et stratégique
Il y a deux ans, cet analyste militaire et stratégique avertissait les dirigeants et l'opinion sur les conséquences du libre trafic d'armes depuis la frontière libyenne et dévoilait les étapes à venir de la stratégie des salafistes jihadistes. Mazen Chérif revient aujourd'hui sur les évènements de dimanche 19 mai pour y déceler une manœuvre de Ansar Echaria ; une déviation de la pression et de l'attention concentrées sur le mont Châambi et alentours par la création d'autres fronts... Après deux ans d'indulgence et d'impunité, deux congrès sans autorisation, des mosquées occupées et ouvertes aux caches d'armes, aux prêches wahhabites, aux appels à la violence et au jihad. Qu'est-ce qui explique, selon vous, ce revirement brutal du gouvernement envers Ansar Echaria? Ce qui expliquerait cette brusque radicalisation des islamistes au pouvoir, ce sont les échos parvenus au parti Ennahdha selon lesquels les chefs d'Ansar Echaria allaient annoncer dimanche la création d'un émirat à Kairouan et enclencher ainsi une guerre de positions aux islamistes au pouvoir. Consacrer Kairouan capitale salafiste est un nouvel enjeu réel et symbolique de pouvoir qui se profile contre Ennahdha. Ce parti se croyait capable de contenir la mouvance salafiste et son aile jihadiste, mais le voici près d'être dévoré par elle. Il a jusque-là prôné le dialogue avec la grande famille islamiste. Or, y a-t-il un dialogue possible avec ceux qui vous déclarent la guerre ? On le voit bien, Ennahdha est en train de payer cher sa complicité avec les salafistes jihadistes, surtout depuis l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis. L'enfant choyé s'est révélé être un monstre. Une vraie guerre de positions a désormais éclaté entre les islamistes au pouvoir et Ansar Echaria... Une guerre d'existence et des risques réels d'un Etat dans l'Etat... Une autre lecture des évènements de dimanche explique surtout ce retournement par la gravité avérée des évènements de Chaâmbi, le «dévoilement» de la stratégie d'Ansar Echaria et leur relation avec Al Qaïda ... Qu'en pensez-vous ? - Chaâmbi est certainement un moment catalyseur. Ce qui s'est passé est impardonnable. Pour la première fois, la menace, pourtant réelle depuis deux ans se concrétise. Le moment du troisième congrès de Ansar Echaria a été très mal choisi. Alors que l'armée et les forces de l'ordre sont encore mobilisées autour du mont Chaâmbi et ses 260 grottes et des régions frontalières qu'elles continuent à ratisser, alors que certains parmi eux souffrent des graves blessures causées par les mines antipersonnel, le groupe Ansar Echaria a paradoxalement choisi de hausser le ton, d'attaquer le corps des forces de l'ordre dans son intégrité physique et morale, en le provoquant et en le traitant de taghut, tyran à abattre. Ils auraient pu reporter la tenue de leur congrès compte tenu des plaies récentes de Chaâmbi. Mais ils ont choisi l'escalade et le défi à l'Etat, son droit et ses institutions... Pourquoi, selon vous, le groupe Ansar Echaria a-t-il choisi l'escalade, le défi et la provocation en ce moment particulier ? En tant qu'analyste militaire et stratégique, je pense que cet entêtement sur la date du congrès et ce défi lancé à l'Etat relèvent avant tout d'une manœuvre experte de Ansar Echaria. Cette manœuvre a pour objectif premier de créer diversion et de faire dévier la pression sécuritaire et l'opinion concentrées sur le mont Chaâmbi et autres montagnes et régions frontalières objet de ratissage où se cachent ses partisans, d'alléger la tension sur les jihadistes, leur accorder un petit répit en orientant la vigilance et l'opinion vers de nouveaux fronts d'affrontement de Kairouan à Ettadhamen... Au-delà du consensus quasi général contre «le danger terroriste devenu réel en Tunisie», il y a des voix qui montent pour dénoncer une diabolisation délibérée et à outrance des groupes salafistes, une amplification du danger jihadiste par le gouvernement, en raison des fortes pressions étrangères qu'il serait en train de subir du côté des Etats-Unis ... Info ou intox ? Ce qui se passe localement s'inscrit en grande partie dans une conjoncture mondiale. Les évènements de l'ambassade américaine, l'état des lieux en Libye, le renversement de la situation en Syrie, la précarité de la conjoncture en Algérie et autres pays qui redoutent la montée fatale d'Al Qaïda en Tunisie, la guerre autour des positions stratégiques sino-américaines en Méditerrannée... sont objectivement à l'origine des pressions américaines bien réelles sur Ennahdha chargé jusque-là de contenir la mouvance jihadiste et non de laisser développer une aile d'Al Qaïda en Tunisie, comme cela a été le cas... Ils lui signifient clairement que si son gouvernement ne réussit pas à maîtriser les groupes jihadistes terrés dans les montagnes et les villes, ils devront intervenir directement dans la région. L'Algérie fait aussi pression sur le gouvernement. Entre continuer à prôner le dialogue avec la famille islamiste et lutter contre ceux qui ont choisi de lui déclarer la guerre, Ennahdha n'a plus vraiment le choix...