Une nouvelle polémique autour de la position de la Tunisie sur la destitution de Mohamed Morsi en Egypte par l'armée. Certains y voient une ingérence dans les affaires intérieures égyptiennes. D'autres considèrent que la Troïka ne pouvait que soutenir la légitimité bafouée par l'armée égyptienne Il semble que la diplomatie tunisienne est condamnée à commettre les gaffes cycliques. Aussi, la dernière déclaration diffusée par le ministère des Affaires étrangères à propos des événements se déroulant en Egypte est-elle considérée comme une nouvelle bourde. Plusieurs acteurs du paysage politique national ainsi que des experts en relations internationales vont jusqu'à considérer le contenu de cette même déclaration comme une forme d'ingérence inacceptable dans les affaires intérieures égyptiennes, d'où la réponse conséquente du gouvernement égyptien qui n'a pas manqué d'exprimer à l'ambassadeur tunisien au Caire son refus de la position tunisienne. Le gouvernement tunisien pouvait-il garder le silence face à ce qui se passe en Egypte ? La peur de la contagion et de voir la rue tunisienne emboîter le pas à la rue égyptienne a-t-elle poussé le gouvernement tunisien à enfreindre les règles de la réserve diplomatique pour prendre une position qui pourrait entacher les relations d'amitié et de coopération entre l'Egypte et la Tunisie? Ces interrogations conjuguées à la constatation faite par plusieurs analystes selon laquelle la position tunisienne apparaît plutôt comme une position partisane (celle d'Ennahdha et du CPR pour être plus clair) ont suscité un vif débat au sein de la classe politique et parmi la société civile ou les experts. Non à l'ingérence dans les affaires des autres Ainsi, Abdelwaheb Al Héni, président du parti Al-Majd, considère-t-il que «la position tunisienne est calquée sur celle d'Ennahdha. Le Premier ministère puis le ministère des Affaires étrangères n'ont fait que reproduire le communiqué d'Ennahdha comme si ce parti parlait au nom de la Tunisie». Al Héni ajoute : «Il aurait fallu une consultation avec les partis politiques nationaux afin de dégager une position commune. Il y a eu des divergences et des contradictions qui cachaient une absence totale de toute culture diplomatique. «Quant aux déclarations de la présidence de la République, elles ont oscillé entre des positions extrémistes appelant d'une part à condamner l'intervention militaire et à se désengager, d'autre part, de la décision de l'Union africaine de suspendre l'adhésion de l'Egypte». Le président d'Al-Majd précise encore: «Nous considérons que la diplomatie tunisienne ne doit pas s'ingérer dans les affaires internes des pays frères ou amis et doit respecter la souveraineté des peuples. Pour nous, la solution en Egypte n'est ni les militaires ni le retour de Morsi mais l'organisation d'élections démocratiques dans les plus brefs délais». Les bourdes se suivent et se ressemblent De son côté, Issam Chebbi, porte-parole du Parti Al Joumhouri, estime qu'il «est normal que le gouvernement de la Troïka exprime son soutien à celui de Morsi qui vient d'être écarté du pouvoir par l'armée. Malheureusement, notre gouvernement a oublié qu'il parle au nom d'un Etat et que ses positions ne devraient pas être aussi radicales coupant ainsi tous les ponts de dialogue avec l'Egypte et se privant de toute opportunité de jouer un rôle de médiateur pouvant aider à la résolution de la crise. Si les partis politiques ont le droit de prendre des positions tranchantes, les gouvernements se doivent de prendre en considération les intérêts communs et les relations de coopération entre les peuples». Et notre interlocuteur de faire remarquer que «ce n'est pas la première fois que la diplomatie tunisienne prend une position aussi précipitée. Je me demande si ces positions hasardeuses sont devenues la marque de distinction de la diplomatie de la Troïka. Il suffit, dans ce contexte, de rappeler la position prise sur la crise en Syrie. Cette position a fait de la Tunisie l'une des parties prenantes dans le drame syrien». Des leçons à tirer Expert en relations internationales et enseignant universitaire, Abdelmajid Abdelli apporte le regard d'un observateur neutre en soulignant: «Un gouvernement issu de la révolution ne peut pas garder le silence devant un cas particulier à l'instar de ce qui se passe en Egypte. Le président de la République était dans l'obligation de prendre position d'autant plus que le vent de la contagion risque de souffler sérieusement sur la Tunisie». Le Pr Abdelli lance un clin d'œil à ceux qui parlent d'une deuxième révolution en leur disant : «Il est inadmissible que des démocrates cautionnent un coup d'Etat en essayant de le maquiller en une soi-disant deuxième révolution. Pour moi, même si Mohamed Morsi remportera les élections promises par les militaires, c'est toujours un coup d'Etat à dénoncer à tout prix». La destitution de Morsi aura-t-elle des incidences sur la Tunisie ? «C'est à la classe politique, opposition et pouvoir en place, d'en tirer les leçons appropriées. Les solutions ne relèvent pas de l'impossible. Il s'agit tout simplement d'adopter la constitution le plus tôt possible et de passer aux élections que tout le monde attend avec impatience», répond-il. Pour ce qui est de la contagion, le Pr Abdelli affirme qu'elle «est difficile pour ne pas dire impossible pour des raisons objectives dont en premier lieu la dépolitisation de l'armée tunisienne depuis sa création, la politisation excessive de l'armée égyptienne qu'on peut qualifier de parti politique n° 1 en Egypte et la position géostratégique du pays du Nil». La Tunisie n'est pas un donneur de leçons Hédi Ben Abbès, conseiller principal auprès du président de la République chargé de la diplomatie, aborde la problématique sur un autre ton en soulignant que la Tunisie a rappelé le 4 juillet «un principe universel qui consiste à dire qu'il n'est pas acceptable qu'un processus politique soit interrompu par l'armée et ce principe est valable pour n'importe quel pays au monde. Nous avons affirmé également notre souhait de voir le processus démocratique égyptien reprendre au plus vite. Notre pays est allé jusqu'à offrir ses services pour servir de médiateur entre les différentes parties en Egypte afin de favoriser le dialogue et le consensus». Le conseiller diplomatique du président Marzouki répond aux critiques des uns et des autres en clamant : «La Tunisie n'est pas un donneur de leçons. Nous respectons les spécificités de chaque peuple et nous n'avons nullement l'intention de nous ingérer dans les affaires intérieures de l'Egypte qui demeure au cœur du monde arabe et ce qui s'y passe affecte bien ce monde dans son ensemble de près ou de loin». Pour conclure, Hédi Ben Abbès est convaincu que la classe politique tunisienne doit «tirer les leçons de l'expérience égyptienne et assumer pleinement ses responsabilités en parvenant le plus tôt possible au consensus sur les questions qui demeurent encore en suspens».