Les nouveaux membres de l'Isie sont devant le choix de tout reprendre à zéro ou de puiser dans l'expérience et l'expertise de l'ancienne instance. L'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) est à plus de 90% mise en place à la suite de l'élection par l'ANC, de huit membres qui ne sont plus que sept à la suite de la démission, hier, de Kamel Ben Messaoud. Ainsi, aura lieu aujourd'hui l'élection des 8e et 9e membres de l'Isie. Il est légitime de se poser les deux questions qui taraudent, depuis toujours, les esprits de ceux qui suivent l'évolution de la vie politique nationale et attendent avec impatience et passion, les fameuses élections. D'abord, l'Isie sera-t-elle dans les délais et parviendra-t-elle à organiser les élections avant la fin de 2013 comme ne cesse de le promettre le gouvernement de la Troïka ? Ensuite, avec les pleins pouvoirs confiés au conseil de direction de l'Isie pour choisir les membres des instances régionales, la bataille ne risque-t-elle pas de migrer vers les régions dans la mesure où les candidats qui ne seront pas retenus n'auront pas la possibilité de s'opposer aux décisions qui seront prises par l'Isie centrale. Sur un autre plan, l'on se demande aussi, au sein de la société civile, plus particulièrement parmi les associations d'observation et de contrôle des élections, si l'Isie adoptera une nouvelle démarche ou si elle construira son action sur ce que l'ancienne Isie a déjà édifié et sur l'expérience et le savoir-faire acquis par ceux qui ont conduit les élections du 23 octobre 2011. Pas avant avril 2014 Pour le Dr Kamel Gharbi, président de la coalition «Ofiya pour l'intégrité des élections», «il est impossible que l'Isie puisse être dans les délais promis à répétition par le gouvernement qui oublie sciemment qu'il n'est pas de son ressort de définir une date quelconque pour l'opération électorale encore plus que la loi électorale n'est pas encore adoptée». Le président d'Ofiya étaye son analyse par les arguments suivants: «D'abord, le conseil de direction de l'Isie doit mettre en place son règlement intérieur. Ensuite, il est tenu de lancer un appel à candidature pour le recrutement du directeur exécutif et des membres de son staff administratif et financier, ainsi qu'un autre appel à candidature pour choisir les membres des 24 instances régionales soit une instance par gouvernorat. Enfin, l'installation de la logistique nécessaire pour entamer l'inscription des 4 millions d'électeurs que l'ancienne Isie n'a pas réussi à enregistrer sur ses listes, sans oublier ceux qui ont atteint entre-temps, l'âge électoral soit 18 ans. Toutes ces opérations demandent du temps. Au cas où les responsables de la nouvelle Isie commenceraient leur action effective en octobre 2013, ils ne pourraient être prêts qu'en avril 2014». Kamel Gharbi insiste sur une question qu'il juge «très importante mais malheureusement tout le monde ne s'y intéresse pas ou l'ignore totalement». Il s'agit de la future loi électorale sur la base de laquelle tout sera fait. Il est indispensable que les constituants s'y mettent dès aujourd'hui en collaborant avec les organisations de la société civile et avec les experts et en évitant surtout de rééditer l'expérience de la feuille blanche comme ce fut le cas pour la Constitution». «En tout état de cause, conclut-il, les associations de contrôle et d'observation du processus électoral seront toujours à l'affût pour repérer les erreurs à temps et sensibiliser sur les dérapages qui pourraient être commis par l'Isie ou par les Irie. Toutefois, il reste un problème qui pourrait perturber l'action de l'Isie ou faire planer le doute sur ses choix. Je parle de la compétence confiée à son conseil de direction de choisir le nombre de candidats aux instances régionales sans que les candidats récusés puissent s'opposer à leur mise à l'écart au cas où ils estiment que les normes exigées n'ont pas été appliquées à la lettre». Les délais seront respectés si... «Les délais fixés pour fin 2013 sont certes difficiles au vu du retard qu'a pris l'élection de l'Isie. Seulement, les nouveaux responsables ont les moyens d'être au rendez-vous au cas où ils préserveraient les structures montées par l'ancienne Isie ou ils prendraient la décision de recruter de nouveau ceux qui ont travaillé avec Kamel Jendoubi et ont acquis une certaine expérience et du savoir-faire en matière d'organisation des élections. Dans ce cas, j'ai la conviction qu'ils gagneront du temps et qu'ils réussiront à organiser les élections tant attendues dans trois ou quatre mois. S'ils choisissent de reprendre tout à zéro, ils ne seront jamais dans les délais», précise Salah Zghidi, porte-parole de l'Initiative nationale pour un front de salut de la Tunisie et connu pour être l'initiateur du premier Observatoire des élections présidentielle et législatives en 1994, formé sous la bannière de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh). Et notre interlocuteur de pousser encore loin son analyse ou ses conseils pour souligner : «Rien n'empêche, en principe, les nouveaux membres de l'Isie de recourir à l'aide ou à l'assistance de ceux de l'ancienne Isie en tant que consultants, l'objectif étant de gagner du temps et d'éviter les erreurs du passé. Quand aux instances régionales, le plus dur commence maintenant puisque ceux qui ne seront pas retenus, ne resteront pas les bras croisés et feront tout pour retarder les échéances. Sauf, qu'ils ne récolteront rien de concret puisque la loi sur l'Isie ne prévoit pas d'opposition ou de recours à la justice. Une solution me semble possible: pourquoi ne pas reprendre les membres des Irie du 23 octobre 2011 tout en y excluant les cas litigieux». Salah Zghidi appelle ceux qui se préparent déjà à attaquer l'Isie et à mettre sa crédibilité en cause avant même qu'elle ne démarre son action à arrêter «leurs manœuvres dont les vrais mobiles n'échappent plus à personne et qui ne font que faire perdre davantage de temps aux Tunisiens. L'essentiel n'est-il pas que tout le monde se mette au travail pour parer, dès à présent, à cette menace sérieuse de démission passive des électeurs qui risquent de boycotter les prochaines élections fatigués et déprimés qu'ils sont de la politique politicienne et de ces politiciens qui ont perdu leur crédibilité et la confiance des Tunisiens». Il est à souligner que le chef du gouvernement, Ali Laârayeh, s'est invité au débat sur les élections en soufflant, hier, dans une interview accordée à la Radio nationale, à Mosaïque FM et à Shems FM, l'idée «que les élections pourraient se dérouler séparément et en deux temps. D'abord, la présidentielle avant fin 2013 et ensuite les législatives début 2014». Le chef du gouvernement a même laissé entendre que cette idée est actuellement en cours d'examen par les parties prenantes et que beaucoup de ces mêmes parties y adhèrent.