Les familles tunisiennes ne sont plus intéressées par la préparation et la conservation des aliments selon les méthodes traditionnelles, sans doute faute de temps Les traditions culinaires tunisiennes se sont effritées au fil des ans à la faveur du changement des modes de consommation. Désormais, la grande majorité des familles tunisiennes recourent aux grandes surfaces et aux épiciers du coin pour se procurer tout produit de consommation comme les pâtes, les tomates en conserve et autres épices. Le budget familial n'est pas, par conséquent, toujours en mesure de satisfaire les besoins et certaines familles sont obligées de contracter des crédits à la consommation ou d'acheter à crédit pour pouvoir joindre les deux bouts. Car les demandes sont devenues de plus en plus importantes alors que le revenu par ménage stagne ou évolue à un rythme très lent, en tout cas moins rapide que les prix qui connaissent un accroissement sans précédent. Mauvaises habitudes Le problème est qu'une grande partie de la nourriture, préparée à base de produits achetés au prix fort, est jetée dans les poubelles. Un tour nocturne dans les quartiers huppés et populaires nous permet de constater clairement que les poubelles sont remplies des restes de nourriture et parfois même de pain et de pâtes en grandes quantités. La mauvaise gestion du budget familial soumis de surcroît à une pression permanente cause bien des problèmes d'ordre financier à la famille toujours appelée à bien célébrer les fêtes et les rites locaux en y allouant l'argent nécessaire. Pire, certaines personnes - jeunes et moins jeunes - ne se contentent plus de manger les plats préparés à la maison mais exigent, surtout en été, d'aller se restaurer dans les fast food, pizzerias et restaurants, question de déguster des sandwichs, des pizzas et des crêpes même si les prix affichés sont chez certains traiteurs très élevés. Un tel choix ne se limite pas à la saison estivale mais s'étale désormais sur toute l'année. A la sortie de l'école ou du lycée, rien de tel pour un jeune que de se payer un bon sandwich arrosé de boisson gazeuse. Arrivé à la maison, il ne peut plus dîner, ce qui oblige la mère à jeter une grande partie de la nourriture. De mauvaises habitudes ont été adoptées par les jeunes et moins jeunes qui mangent à n'importe quel moment de la journée sans faire attention aux produits qu'ils consomment. L'essentiel pour eux, c'est de calmer leur faim avant de vaquer à leurs occupations. Ils ne prennent même pas le temps, parfois, de bien mâcher et semblent toujours pressés. Des maladies qui nous guettent Ce changement de mode de consommation peut avoir des conséquences fâcheuses sur la santé et les recherches dans les pays développés ont démontré cela : une obésité, un diabète, une hypertension et d'autres maladies qui nous guettent menaçant notamment ces jeunes qui optent pour une alimentation déséquilibrée et mal répartie dans le temps. Les bonnes habitudes culinaires tunisiennes ont bel et bien disparu même si dans certaines familles on essaye encore de préserver ces traditions de préparation des aliments à la maison. Dans plusieurs régions intérieures notamment en milieu rural, ces habitudes culinaires saines sont bien conservées dans la mesure où l'on prépare encore le pain en utilisant des moyens naturels. Ainsi le pain «tabouna» qui est apprécié pour son goût succulent est cuit dans un fourneau en plein air selon des méthodes ancestrales. Le retour à nos habitudes culinaires saines est fortement recommandé même dans les villes, car cela permet de réduire un tant soit peu la facture des produits alimentaires et de procurer à toute la famille des matières de qualité qui peuvent être conservées durant des mois. A l'occasion de l'Aïd el Idha, par exemple, plusieurs familles conservent des quantités de viandes selon la tradition (kadid). La viande est ainsi bien salée et étalée au soleil durant quelques jours avant de la mettre dans un bocal qui peut être rempli d'huile. Au besoin, la mère de famille a recours à cette viande pour préparer des plats délicieux comme le couscous, le riz... La viande conservée peut ainsi servir plusieurs fois sur une longue période sans avoir besoin d'acheter du faux-filet chez le boucher du coin ou du poulet plusieurs fois par semaine. En plus du couscous, on prépare d'autres aliments à base de pâtes comme le «mhames». Trop de temps au travail Nos aïeux ont appris également à préparer eux-mêmes le couscous en utilisant des matières premières à prix abordable. C'est peut-être la nécessité qui les a obligés à compter sur leurs propres moyens et les pratiques employées se sont avérées bénéfiques. Elle sont abandonnées, aujourd'hui, par les nouvelles générations qui ne veulent pas prendre la peine de préparer leur nourriture. Cela se comprend surtout si la femme moderne passe le plus clair de son temps au travail et ne trouve même pas le temps de s'occuper de ses enfants qui sont confiés à la garderie scolaire. Le jour de préparation du couscous, l'avant-cuisson était une vraie fête qui réunissait tous les membres de la famille et même les voisins. Sur la terrasse, les femmes s'entourent et préparent leur couscous en utilisant de la bonne semoule avant de l'étendre afin qu'il soit séché sous le soleil. La période estivale, très ensoleillée, est choisie comme période de préparation de ce produit qui sera ensuite conservé dans des bols ou autres conteneurs. On l'utilise durant toute l'année sans dépenser de grandes sommes chez l'épicier ou au supermarché. Le sens de l'économie n'est plus le fort de ces jeunes qui veulent tout acheter des points de vente. Les familles d'autrefois préparent également le piment fort et doux pour l'utiliser en tant qu'épice d'une grande valeur nutritionnelle. Au cours de la récolte du produit, les femmes achètent de grandes quantités vendues à prix abordables pour en tirer le meilleur profit. Les piments rouges sont ainsi séchés sur les terrasses ou les balcons avant d'être moulus. Aujourd'hui, on vend des piments asséchés et qui sont prêts à l'emploi. Certaines familles savent conserver les tomates et le thon comparable à celui qui est vendu sur le marché. Autant de produits conservés par les familles autrefois quand les revenus étaient maigres et les conditions de vie difficiles. Cela n'exige pas une technique très développée mais un savoir-faire traditionnel utilisant des moyens à la portée de toute famille tunisienne. Aujourd'hui, on utilise de moins en moins le tamis et les grands plateaux en aluminium dont la vente faisait le bonheur de plusieurs commerçants des souks. Il serait bon de valoriser les anciennes pratiques culinaires qui ont des avantages certains sur le budget de la famille et sur la santé.