Le Syndicat national des forces de sécurité intérieure reproche à sa tutelle des purges et des nominations d'«allégeance» qui ont permis au terrorisme de s'ancrer en Tunisie. Un bras de fer, qui s'apparente à une insubordination, est bel et bien engagé... Lors de sa conférence de presse tenue il y a deux jours, le bureau exécutif du Syndicat national des forces de sécurité intérieure qui organise, aujourd'hui, à 10 heures, une marche de protestation sur l'avenue Bourguiba, a mis le holà à ce qu'il considère comme «le ballet fou des nominations improductives ordonnées en dépit du bon sens par la tutelle dans les corps de la police et de la Garde nationale et dont le rythme s'est accéléré depuis la révolution». Le ras-le-bol a été tel, au cours de cette conférence au contenu d'une rare virulence dans l'histoire naissante du «syndicalisme sécuritaire» en Tunisie, que le patron dudit syndicat, Nabil Ayari, est allé jusqu'à citer nommément des cas de «victimes notoires». Il a parlé d'un certain Samir Tarhouni, tout en pointant un doigt accusateur à Ali Laârayedh «pour avoir été derrière cette vague de nominations controversées qu'il continue d'imposer, en dépit de son accession à la tête du gouvernement». Il est donc clair que le fait de s'exprimer avec une telle audace prouve parfaitement qu'on a quelque part perdu patience et que l'eau coule sous les ponts de la grande citadelle de l'avenue Habib-Bourguiba. Des choix contestés Il est vrai qu'au lendemain de la révolution, s'est opérée une purge d'une ampleur sans précédent dans l'histoire du ministère de l'Intérieur. Certes, il fallait épurer un appareil sécuritaire qui n'était pas au-dessus de tout reproche. Certes aussi, des têtes devaient sauter pour s'être empétrées à fond dans l'engrenage de l'ancien régime. Mais de là à opter pour des licenciements abusifs et hâtifs, à couper l'herbe sous les pieds des compétences et à sommer de hauts cadres policiers à l'innocence établie de... dégager la piste et de rester à la maison, voilà un... guet-apens dans lequel le ministère s'est bizarrement empressé de tomber au temps de l'ex-ministre Farhat Rajhi, avant que son successeur Ali Laârayedh n'enfonce le clou, sous la forme d'une nouvelle avalanche d'évictions, les unes aussi inexplicables et improductives que les autres. En effet, pas moins de 110 hauts cadres de la boîte auront ainsi payé les frais d'une lessive qui sentait une précipitation frisant le règlement de comptes ! Dernières victimes en date : Samir Tarhouni et Larbi Lakhal. Le premier a été curieusement muté au département de la formation, alors qu'il abattait, jusque-là, un travail fou à la tête de la BAT (Brigade antiterroriste) dépendant de la police, qui fut l'artisan de plusieurs coups de filet retentissants dans les rangs de la nébuleuse intégriste. L'auteur de l'inoubliable et audacieuse opération de l'aéroport soldée, le 14 janvier 2011, par l'arrestation des Trabelsi, était récemment bien parti pour porter d'autres coups durs aux jihadistes. Dans son entourage, on assure même qu'il n'attendait plus que le feu vert de Ali Laârayedh pour... arrêter Abou Iyadh et ses acolytes. En guise de réponse et de récompense, le voilà viré dans un poste... administratif. Ce qu'on appelle, dans le jargon policier, «tuer un homme de terrain» ! Idem pour Larbi Lakhal, autre pur produit de la très valeureuse école de Bir Bouragba montée par feu Mohamed Mahmoudi, créateur de la fameuse BAT. En effet, alors qu'il était lui aussi bien lancé avec sa brigade de la Garde nationale dans la traque des terroristes d'Ansar Echaria à laquelle il avait mené la vie dure, Lakhal a été tout bonnement autorisé, sans la moindre hésitation, à aller monnayer ses talents de grand policier en...Libye, au nom de la coopération avec l'ONU ! De ce fait, on aura perdu deux valeurs sûres, deux sources d'espoir qui auraient pu donner le plus dans la pénible lutte contre le terrorisme en Tunisie. «Samir Tarhouni et Larbi Lakhal et bien d'autres encore sont difficilement remplaçables et risquent de laisser un vide impossible à combler», nous dira visiblement désappointé un cadre de la Garde nationale qui affirme qu'il n'en revient pas encore depuis l'éviction de plusieurs patrons de ce corps, la plus récente étant celle des chefs des arrondissements de Kasserine et Ben Guerdane. Arrêtons l'hémorragie Pourtant, il est de tradition sécuritaire dans presque tous les pays du monde, qu'on ne change jamais une équipe qui gagne, et, à plus forte raison, un cadre qui a réussi, et cela quels que soient son âge et ses penchants politiques. Aux Etats-Unis, par exemple, un président démocrate ne vire pas forcément un patron de la CIA ou du FBI connu pour son appartenance à l'aile rivale, celle des républicains. Tout près de nous, l'Algérie le confirme encore, lorsque, dans le remaniement qu'il avait ordonné le 21 septembre dernier, le président Boutaflika n'a pas touché à la vieille garde des services de renseignements, d'espionnage et de sécurité intérieure. Pourquoi ne s'en inspire-t-on pas chez nous ? Quel mal y a-t-il à refaire confiance aux compétences de l'ancien régime, celles-là mêmes aux mains propres avérées et qui ne croupissent pas dans les prisons? A-t-on idée de l'ampleur des dégâts occasionnés par cette inexplicable (sinon l'allégeance, peut-être) politique d'exclusion déplacée et ruineuse, dans un pays pourtant englouti, la tête et les jambes, dans les sables mouvants du terrorisme, et qui a donc, plus que jamais, besoin de toutes ses compétences, indépendamment de leurs couleurs politiques (s'il y en a vraiment) pour espérer l'en sortir plus au moins indemne. Le Snsfi monte au créneau Passant la 5e vitesse dans ce qui s'apparente à ce ras-le-bol longtemps contenu, le syndicat national des forces de sécurité intérieure a remis sur le tapis, lors de sa conférence de presse tenue vendredi dernier et qui survenait dans le sillage de celle convoquée une semaine auparavant, le sujet des nominations, suite notamment à l'assassinat de membres de la Garde nationale et de la police. Pour Nabil Yaâcoubi, secrétaire général adjoint dudit syndicat, «plus question de se taire après les derniers coups durs adressés à notre appareil sécuritaire qui est en train de payer cher la forte instrumentalisation politique dont elle fait l'objet». Et d'annoncer d'un ton menaçant que «nous avons décidé de poursuivre en justice M. Ali Laârayedh, d'abord pour son mandat à la tête du ministère de l'Intérieur, et ensuite pour ses promesses non tenues depuis son passage à la tête du gouvernement, tout en revendiquant la démission, pour leur appartenance politique, du directeur général de la sûreté nationale, du commandant général de la Garde nationale et du directeur général de l'Office de la protection civile», réaffirmant, au passage, «la volonté et la détermination du syndicat de continuer à faire front, comme un seul homme, face aux sombres desseins visant à désarçonner nos rangs et à rudoyer nos structures sécuritaires de leurs compétences». Ras-le-bol aussi auprès d'anciens cadres et agents policiers, également virés depuis la révolution, qui affirment avoir l'intention de porter plainte contre l'ex-ministre de l'Intérieur Farhat Rajhi «pour les licenciements abusifs et injustifiés qu'il avait ordonnés durant son mandat». L'une de ces victimes qui faisait les beaux jours des services de renseignements au temps de Ben Ali nous indique qu'il avalise, les yeux fermés, la poursuite en justice dudit ministre sortant, en soulignant que «ce dernier s'était enhardi, avec une envie frisant le cynisme, à virer pour un oui pour un non, de grandes compétences, ce qui a porté, à l'époque, un coup fatal, voire désastreux, à l'appareil sécuritaire dans sa totalité, particulièrement à ses structures les plus sensibles dont les renseignements, la sûreté de l'Etat et la police des frontières, d'où l'installation ravageuse du terrorisme dans le pays». Pour une commission apolitique D'ailleurs, la vieille garde sécuritaire, remerciée par M. Rajhi, ne cesse de bénéficier d'un regain d'intérêt et de sympathie sous le toit du ministère de l'Intérieur. En ce sens que Nabil Yaâcoubi affirme qu'«on a sollicité son implication dans la commission de crise chargée de la lutte contre le terrorisme, proposée par notre syndicat et qui se veut neutre, apolitique et formée d'experts chevronnés en la matière dépendant des ministères de l'Intérieur, de la Défense nationale et de la Justice». En attendant, personne ne sait à quels lendemains est voué le déjà poignant bras de fer opposant la tutelle à ses différents départements sécuritaires, ce qui donne à penser que la désescalade n'est, peut-être pas, pour l'immédiat. Il suffit de se référer au dernier communiqué, assez virulent, du ministère de l'Intérieur (voir encadré). Mais d'ici la démission du gouvernement (dans 18 jours), risque-t-on d'avoir deux corps sécuritaires, l'un «allégeant» et l'autre agissant en électron libre ? A priori, impensable ! Mais sait-on jamais par les temps qui courent ?