Par Ahmed HOSNY Dans son acception véritable, autrement dit quand elle n'est pas que le masque de l'arbitraire d'un tyran, la loi a pour fonction d'incarner l'intérêt général et, par là, loin de travailler contre mon bien, elle est au contraire ce qui le préserve; loin d'être présente pour ôter sa liberté et son devoir de réflexion à «l'agent libre et intelligent» que je suis, elle est au contraire ce qui m'invite à comprendre que je ne peux séparer mon intérêt de celui de toute la communauté, et qu'il n'y aura de ce fait pas d'exercice d'une liberté possible pour moi hors du cadre de la loi. Il ne saurait donc être question de rejeter la loi comme inutile et néfaste. Un bref raisonnement par l'absurde suffit à concevoir que, si les lois nuisaient vraiment au bonheur de chacun, il y a bien longtemps que les hommes s'en seraient débarrassés et qu'il n'y en aurait plus : Il faut donc croire que nous sommes «plus heureux» sous des lois que sans elles. Pourquoi ? Parce que la loi nous évite le pire et, qu'à ce titre, la réduire à une pure contrainte, c'est mécomprendre, son sens et sa fonction ? Le contraire exact de ce que l'on a tendance à penser communément. Les erreurs commises à propos de la loi consistent à croire qu'elle n'est là que pour faire entrave à notre liberté, alors que sa finalité réelle est au contraire de préserver et d'élargir la liberté,, au point que, pour les hommes, sans loi il n'y a même pas de liberté possible. La loi serait ainsi la condition de possibilité de la liberté : retirer la première, c'est supprimer la seconde. Qu'est-ce qui justifie un tel renversement de l'opinion commune? Ce qu'il faut bien comprendre ici, c'est ce en quoi consiste la liberté. L'erreur principale que l'on commet généralement, c'est de croire que la liberté consiste pour chacun à faire ce qui lui plaît. En effet, si c'était cela la liberté, alors nous ne pourrons jamais être libres : il suffirait de rencontrer plus fort que soi, ce qui ne manque jamais d'arriver, pour se trouver l'esclave des désirs d'autrui; or, nous ne pouvons être libres quand, le premier venu peut faire de nous le jouet de ses caprices et nous contraindre à l'obéissance. Au contraire, je suis libre quand, précisément, l'autre ne peut plus m'imposer ses «humeurs» par la force quand il en est empêché; or, c'est là justement ce qui fait la loi, et ce qu'elle seule est en mesure de faire à égalité pour tous : nous délivrer de la contrainte et de la violence exercées par autrui». Pour le dire autrement, quand la seule force règne, nul n'est libre car il y a toujours plus fort que soi, quand, au contraire, la loi se substitue à la force, alors tous peuvent être libres car plus personne ne peut être l'esclave de personne. Ainsi donc, n'en déplaise à l'opinion commune, la loi, loin d'être une contrainte, est au contraire ce qui nous préserve de toute contrainte et, par là, rend possible l'exercice de notre liberté. Malheureusement, la plupart des Tunisiens n'ont pas compris ce que signifie la liberté. Au nom de la liberté, ils se permettent de tout faire à tort et à travers, de l'homme politique au citoyen simple. Pour eux, la liberté, c'est faire ce que l'on veut. Non, la liberté doit être encadrée par des lois, mais surtout par une éducation, comme l'a si bien dit Rousseau : «Si vous voulez tout avoir, vous éduquez vos enfants dès qu'ils sont très jeunes, sinon vous n'aurez que de méchants esclaves en commençant par le chef de l'Etat...». Si la loi doit «guider» l'homme vers ses propres intérêts, cela suppose qu'il ne les voit pas d'emblée. En effet, spontanément, l'homme entend bien faire ce qui lui plaît et c'est même cela qu'il appelle liberté. On pourrait alors dire que l'homme cherche d'abord à satisfaire par tous les moyens ce qu'il croît être son propre intérêt : accomplir ses seuls désirs et caprices du moment. Pourtant, là n'est pas son intérêt véritable : si chacun confond son intérêt et l ‘accomplissement de son désir du moment, il n'y a plus là que des forces qui s'opposent et combattent jusqu'à l'asservissement ou la mort.