Aujourd'hui, nous fêtons les trois années de la révolution. J'avoue que j'hésite. Quel est le plus grand acquis de ces trois années merveilleuses? La justice? La paix civile? La sécurité? La démocratie? Le décollage économique? Finalement, j'opte pour la Constitution, la plus avancée du monde musulman et l'une des plus avancées au monde. Une Constitution conforme aux objectifs de la liberté et de la dignité. Après le départ de Ben Ali, ce fameux vendredi 14 janvier, la Tunisie avait connu une période de grâce. Les responsables de la transition et tous les acteurs ont géré le pays par consensus ; la dernière frontière lorsque toutes les autres sources de légitimité sont tombées. L'instance pour la réalisation des objectifs de la révolution avec la société civile avait choisi de réformer la Constitution de 1959. Même les Kasbah 3 et 4 avaient fini par s'y ranger. Une réforme que les experts ont finalisée en quatre mois et dix jours! Le projet qu'ils ont soumis au référendum avait été enrichi et libéralisé par les acteurs politiques. Ennahdha avait surpris tout le monde à cette occasion : Rached Ghannouchi, l'un des hommes les plus populaires du pays, a insisté pour inscrire d'une manière explicite l'égalité totale homme-femme dans la loi et pas seulement devant la loi. Il était plus démocrate que tous les démocrates, répétant à chaque interview : «Nous devons prouver au monde que la Tunisie est un pays qui avance, que la démocratie n'est pas un simple slogan». Accusé de renier l'Islam, il répétait une phrase devenue culte : «l'Islam est dans les cœurs, personne ne peut l'en enlever». Accédant au pouvoir, les islamistes ont surpris tout le monde. Ils se sont avérés de vrais démocrates, plus libéraux que les libéraux, humbles et intraitables sur l'intérêt de la Tunisie, se fâchant avec quelques-uns de leurs anciens soutiens, situés sur le côté oriental de la mappemonde. La justice transitionnelle est mise en place en six mois. Une instance indépendante de la justice est créée. Rached Ghannouchi, qui a révélé sa stature d'homme d'Etat, est le premier gardien de la Constitution et des valeurs de la «dawla madania». Les chroniqueurs citeront pendant des générations, l'incident dans le nouveau Parlement, où le député Sadok Chourou, évoquant une grève, menaçait de mutilation et de crucifixion les protestataires. Dans la soirée, Rached Ghannouchi l'avait exclu du parti. Le même sort sera réservé à Habib Ellouze, pour incitation à la haine. La criminalité a baissé, le terrorisme totalement éradiqué. Abou Yadh est sous les verrous. Son mouvement, Ansar Charia, essayant de promouvoir le jihadisme, le peuple entier se mit debout et avec les autorités et le gouvernement, pour le mettre hors d'état de nuire. Les leaders de l'opposition, véritable contre-pouvoir, sont forts du soutien populaire. Le tourisme a connu un essor fulgurant, les hôtels affichent 99% de remplissage, un score qui rappelle le taux ridicule des votes en faveur de Ben Ali. Tout le monde veut visiter le pays du printemps arabe. Le gouvernement a pris l'heureuse initiative de convertir le mont Chaâmbi en parc touristique, au grand bonheur des villages riverains. Aujourd'hui tout le monde respecte les feux et le code de la route. Aujourd'hui l'administration travaille et planifie. Ni coupure d'eau, ni d'électricité. Les crises sociales, économiques et politiques sont désamorcées. Aujourd'hui, plus de grèves sauvages, les jours fériés sont réduits, car le pays a décidé de se mettre au travail. Aujourd'hui, le président Marzouki est invité aux quatre coins de la planète pour donner des conférences au sujet du modèle tunisien. Aujourd'hui, le dinar est devenu tellement fort qu'un dinar est égal à un euro. Les investisseurs étrangers se bousculent, les hommes d'affaires ne sont plus rackettés. La Tunisie est un dragon économique. Le pays brille, inspire les autres et fait des jaloux. Prospère, la Tunisie est devenue une terre d'immigration. Les Européens fuyant la crise dans leurs pays font la queue pour obtenir leur carte de séjour. En un mot, les Tunisiens sont fiers et heureux.