Par Hamma HANACHI Il a fait le tour du monde, journaliste au long cours, reporter de guerre. Il a, à plusieurs reprises, côtoyé la mort et vu des morts. Et vient de publier un récit: Je n'ai plus peur (Ed. L'Iconoclaste). Il était invité à La Grande Librairie de François Busnel. Jean Claude Guillebaud défend et promeut ses idées. Sur le plateau, il y avait Roger Pol Droit, philosophe, auteur prolifique, intéressé par la pensée venue d'Orient, («Si je n'avais plus qu'1 heure à vivre » Ed. Odile Jacob), le philosophe Robert Misrahi, spécialiste de Spinoza,(La joie d'amour , éd. Autrement), toujours fougueux, agité malgré son âge avancé, et l'inclassable penseur Clément Rosset (Faits divers, PUF). Chacun à sa façon, ils ont planché sur un thème apparemment léger, distrayant, mieux, épanouissant : la joie, le bonheur, l'espérance. Le seul parmi les invités à ne pas être philosophe, qui évoque son expérience personnelle, c'est l'ancien journaliste, actuellement auteur, éditeur et accessoirement militant pour un « mieux vivre ». Je n'ai plus peur. A quoi correspond cette peur qui figure dans le titre ? Cela veut dire qu'on a eu peur, qu'on a rencontré la peur. Mais pas que cela, puisque, selon l'auteur, cette peur est génératrice d'espoir ou d'espérance. Celle-ci n'est évidemment pas une attitude béate, sans teneur : c'est un partage. Et Guillebaud cite un très beau texte d'Ariane Mnouchkine, commandé par le site Médiapart pour les vœux du Nouvel an. Un texte à écouter. Il pourrait nous être utile, dans la situation où nous sommes, préoccupés par les derniers troubles nourris de tentatives d'attentats, de morts et des discours angoissants des pessimistes relatifs aux événements de Raoued, du Châambi, noms qui entrent dans le lexique de la guerre entre semeurs de mort et apôtres de la vie. La guerre, raconte l'auteur, procure une sorte de jubilation, ou de plaisir répugnant : «D'après mon expérience, les hommes aiment la guerre, jusqu'à en être pétrifiés, dégoûtés, mais ils en tirent une leçon ». Et il aboutit à une conclusion heureuse : on a tort, dit-il, de croire que le mal, la violence sont seulement chez les autres. Il faut commencer à comprendre que le mal est en nous, il est intérieur. L'espérance ? Une forme de lucidité. Il faut avouer que nous vivons une époque désastreuse, dans une société inégalitaire, précaire : « Nous marchons comme des somnambules vers le désastre», dit Edgar Morin. Et c'est précisément quand tout va mal que l'espérance est nécessaire et indispensable. L'espérance, dit-il, ne se prêche pas, ne se recommande pas d'une manière professorale, elle se partage. Quitter la peur, entrer dans l'espérance, est-ce un pas facile à franchir ? Et comment le franchir ? Il faut se débarrasser de ses hantises, des lieux communs, de l'obsession de la réussite, de la gagne, de la convoitise, du vouloir à tout prix être plus fort que l'autre. Nous sommes en train de fabriquer une société où il n'y a pas de place pour un espace-temps habitable. Fatalement, avec le thème de l'espérance, du partage, le discours a glissé vers la notion d'égoïsme, de rejet et d'identité. L'identité, un thème qui occupe actuellement des espaces démesurés dans les médias. Guillebaud, natif d'Algérie, ayant fait le tour du monde et connu ses misères, défenseur des libertés et amoureux de sa ville (La Rochelle), de la maison familiale, répond : « Il nous faut un enracinement et le courage de le quitter ». Souvenir. C'était en mai, avant la chape de plomb des élections du 23 octobre. Un temps qui nous paraît loin. Le jury du Prix Albert Londres, présidé par la journaliste Annick Cojean, remettait symboliquement ce fameux prix à Tunis. Elle a lu la déclaration finale : «Nous, tous journalistes du prix Albert Londres, avons lu, entendu, observé, jour après jour, les révoltes, les manifestations, la conquête de la liberté et de la dignité». Comme c'est loin. C'était réjouissant, un rêve. En marge, une rencontre avec des journalistes, dont J.C. Guillebaud, enthousiaste, presque heureux d'être dans le pays qui a déclenché la révolution du Printemps arabe. Discussion, espoir d'une société émancipée, égalitaire. Plaisir partagé autour des propositions du mouvement internationaliste Slow Movement, né en Italie, un mode vie, une attitude, une philosophie, qui prône le ralentissement de la vitesse et qui a généré une multitude de tendances alternatives, le slow food, le voyage lent, la technologie lente, le jardinage lent et même les médias lents. Nos responsables technocrates y penseraient-ils un jour ? L'auteur en est adepte, il l'a rappelé à la fin de l'émission.