Par Dr Mohamed Ali BOUHADIBA On parle beaucoup ces derniers jours sur les chaînes de télévision tunisiennes d'un livre inquiétant appelé «La gestion de la barbarie». L'auteur, du nom de Abubakr Naji, un nom d'emprunt, est un homme recherché par toutes les polices du monde, car c'est probablement un des chefs d'Al Qaïda. Dans son livre il écrit comment convertir la planète entière à l'islam et à la charia, mais auparavant, dit-il, il faut passer par deux étapes. La première, qu'il appelle «humiliation et épuisement», consiste à saper le moral d'un pays par des attentats et des kidnappings, et à épuiser son économie en le poussant à faire de gros investissements dans la sécurité, puis vient la deuxième étape appelée « la barbarie » où le gouvernement du pays concerné n'a plus de pouvoir. Commencent alors la guerre des gangs et les règlements de comptes, bref s'installe le chaos. Les jihadistes arrivent alors en sauveurs pour assurer l'ordre et le ravitaillement. Les masses populaires, qui généralement n'ont pas de fortes convictions, les accueilleront à bras ouverts et se polariseront autour d'eux, tout auréolés qu'ils seront de leur force, de leur prestige et de leur argent. Alors pourra s'installer un émirat islamique. Ce livre, véritable Mein Kampf jihadiste, décrit un scénario qui me fait penser à un paumé qui, n'arrivant pas à séduire sa belle, organise une fausse agression pour la sauver en espérant que, pleine d'admiration pour son courage, elle lui tombera dans les bras. Il est cependant pris très aux sérieux et vous pouvez trouver l'intégralité sur les sites de l'Olin Institute de Harvard, ou le site de l'école militaire de Westpoint. Ben Laden avait créé Al Qaïda pour libérer les terres d'islam de la présence étrangère et protéger les musulmans. Dans la pratique, il n'a pas libéré ces terres, et ses jihadistes depuis le 9 septembre et l'attentat de Londres n'ont, en grande majorité, tué que des musulmans. Là où les jihadistes ont pris le pouvoir comme dans certaines zones d'Irak et au Mali, s'est abattue une main de fer, les mains étaient coupées, les enfants frappés sur le cou, les femmes martyrisées et les mausolées détruits. On a même vu des choses étranges comme le jugement et la décapitation d'une chèvre qui présentait une attitude indécente en levant la queue trop haute. Même Ben Laden, à un moment donné, avait présenté ses excuses pour les excès de ses hommes. A vrai dire, les révolutions arabes ont coupé l'herbe sous les pieds des jihadistes, les rendant quasi inutiles. Ceux-ci pensaient que seul le jihad et le terrorisme pouvaient amener le changement, ils ont donc été déstabilisés lorsque le changement est venu par des révolutions sans violence de la part des peuples. Certains ont approuvé, d'autres ont dit qu'ils préféraient attendre avant de se prononcer, d'autres encore n'ont pas compris. Ainsi on se souvient du discours d'Aymen Dhawahiri en plein milieu des révolutions, alors que des millions étaient dans la rue, lui critiquait Napoléon et l'empire britannique. Là où les jihadistes se sont véritablement retournés contre les révolutions, c'est lorsqu'ils ont vu l'Otan intervenir aux côtés des révolutionnaires. Par la suite, lorsque des millions d'Arabes faisaient la queue pour les premières élections libres de leur vie, le jihadiste Abu Yahya Al Lybi parlait « d'errements et de stupidité de la quête de démocratie car c'était la voie pour l'enfer ». Pour lui et ses semblables, c'étaît «un principe corrompu». La suite on la connait, ils se sont retournés contre les populations qu'ils étaient censés protéger. N'ayant aucun projet politique ou économique, ils ont amplifié les attaques terroristes pour profiter de la faiblesse du gouvernement comme on l'a vu en Tunisie, ce faisant ils se sont aliénés les populations. Ils se retournèrent même contre les mouvements islamistes qui se prêtèrent au jeu des élections, qualifiant leur victoire de « récolte amère » car elle n'avait plus rien à voir avec l'islam. Mais les peuples avides de liberté et de démocratie résistent, les sociétés civiles montent au créneau, la police démantèle les réseaux, l'armée encercle le mont Chambi. Au Mali, l'armée française agit en silence sans le témoignage des journalistes, les drones américains déciment les chefs d'Al Qaïda qui tombent par dizaines, en Syrie on a classé les jihadistes, organisation terroriste bref, sale temps pour les jihadistes qui sont très affaiblis. Le chercheur Abdelghani annonce déjà que les révolutions arabes ont sonné le glas de ces organisations jihadistes. Un signe qui ne trompe pas, la plupart des grands chefs jihadistes qui sont tombés ont été livrés par leurs proches ou leurs parents et non par les services secrets. La bataille, cependant, sera encore longue, car il faut maintenant faire face à leur nouvelle stratégie, celle du «loup solitaire», c'est-à-dire un individu isolé, donc plus difficilement détectable...Cela pose encore de sérieux problèmes de sécurité mais pour les jihadistes, leur avenir est plutôt derrière eux.