Le département chargé de l'enfance compte sur les citoyens pour combler le déficit d'information sur les abus et les structures anarchiques A l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de la femme, la secrétaire d'Etat chargée de la femme et de la famille a déclaré avoir signé un grand nombre d'ordres de fermeture de jardins d'enfants non conformes aux dispositions du cahier des charges et aux normes pédagogiques fixées par son département (La Presse du 08-03-2014). Favorisé par l'affaiblissement des institutions de l'Etat, le nombre de ces structures a explosé depuis 2011 et l'on a vu surtout une nouvelle catégorie d'espaces d'accueil pour enfants voler la vedette aux structures préscolaires classiques. Ces espaces qui ont été assimilés à des écoles coraniques en raison du programme religieux enseigné et le port du niqab, porté autant par les éducatrices que par les petites filles, ont poussé comme des champignons dans les quartiers aussi bien populaires que huppés. Cette floraison a vite suscité l'inquiétude générale en raison de l'opacité qui entourait certains espaces fermés à une clientèle bien déterminée et le climat de tension particulier empreint de violence politique qui sévissait à cette l'époque. Rien à voir avec le «kouttab» Parmi les jardins d'enfants anarchiques concernés par ces ordres de fermeture, il y aurait des écoles coraniques, mais Mme Neila Chaâbane se garde, sans doute par devoir de réserve ou par prudence, de les nommer voire de donner leur chiffre exact d'autant que le recensement effectué par le département englobe aussi bien les écoles coraniques que les jardins d'enfants classiques. «Ce qu'il faut savoir, c'est que les écoles coraniques ne portent pas officiellement cette appellation ; pour les identifier, il faut donc les connaître», justifie la ministre. A ce titre, un appel est lancé par la secrétaire d'Etat aux parents, proches, voisins, société civile, structures de proximité... de dénoncer les abus et alerter le département pour que soient prises les mesures nécessaires. «Nous avons la responsabilité de contrôler ces structures mais lorsque nous ignorons leur existence nous ne pouvons rien faire», ajoute-t-elle. Ces écoles coraniques peuvent, en effet, passer entre les filets du département chargé de l'enfance quand elles sont créées par des associations soi-disant humanitaires mais d'obédience religieuse. Comme toutes les autres associations, ces dernières sont régies par la loi sur les associations et les partis, elles ne dépendent pas du département de l'enfance qui peut ignorer jusqu'à leur existence. Ce qui reste à faire dans ces cas-là, c'est alerter les autorités et dénoncer. La consigne reste valable pour les autres structures de l'enfance, non coraniques, qui ne respectent pas les règles et les lois en vigueur. Pour éviter les amalgames et, de ce fait, les polémiques inutiles, il importe de ne pas confondre les écoles coraniques anarchiques où les enfants sont soumis à un endoctrinement idéologique, que d'autres appellent manipulation mentale, et les traditionnels «kouttabs» que tous les Tunisiens connaissent et ont, pour la plupart, fréquentés dans leur prime enfance. Ces «kouttabs» sont des institutions religieuses sous tutelle du ministère des Affaires religieuses dont la mission est d'initier les enfants, entre trois et cinq ans, à l'apprentissage du Coran ainsi qu'à écrire, lire et compter. Réhabilitation des jardins d'enfants municipaux Les dépassements constatés durant les trois dernières années ont amené le département de l'enfance à réfléchir sur les moyens de renforcer la capacité d'accueil des jardins d'enfants afin de répondre à une demande croissante et de plus en plus exigeante. Ce département s'oriente, semble-t-il, vers la réhabilitation des jardins d'enfants municipaux qui, jadis, affichaient des tarifs très accessibles aux couches sociales défavorisées. Le renoncement des communes à ces espaces a engendré un vide dans les régions et les quartiers que des structures anarchiques ont vite fait de remplir pour satisfaire des visées mercantiles et d'autres idéologiques. Mme Chaâbane annonce, à ce titre, l'existence d'un programme national de réhabilitation de 49 jardins d'enfants municipaux, financé par l'Union européenne. Et pour mieux cerner le profil et les objectifs des futurs promoteurs de jardins d'enfants, le département de l'enfance envisage également de réinstaurer la demande d'agrément pour tout futur projet de création d'un espace public pour enfants, outre la condition de respect du cahier des charges. Reste au secrétariat d'Etat chargé de la femme et de la famille, qui continue à fonctionner comme un ministère à part entière, de trouver les moyens humains et matériels pour marquer ses actions du sceau de l'efficacité, célérité comprise. A noter que le budget de ce secrétariat d'Etat ne dépasse pas 86 MD (fonctionnement et investissement), soit moins de 1% (0,29% précisément) du budget de l'Etat et qu'il compte parmi les institutions de l'Etat les moins nantis en moyens humains. Les jardins d'enfants anarchiques et les décisions de fermeture, en chiffres et par gouvernorat (juillet 2013) : Tunis : 167 espaces et 111 décisions de fermeture. Sousse : 125 espaces et 9 décisions. La Manouba : 64 espaces et 35 décisions. Ben Arous : 46 espaces et 13 décisions. Monastir : 11 espaces et 1 décision. Zéro décision de fermeture dans les gouvernorats de Nabeul (32 espaces), Zaghouan (8), Bizerte (28), Béja (13), Jendouba (14), Le Kef (3), Siliana (30), Sfax (25), Mahdia (11), Kairouan (6), Sidi Bouzid (7), Kasserine(14), Gabès (5), Médenine (14), Tataouine (8), Gafsa (7), Tozeur (11), Kébili (8). Sur un total de 702 jardins d'enfants anarchiques recensés, 169 ont fait l'objet d'une décision de fermeture.