Alors que la loi électorale est discutée au sein de l'ANC, des voix s'élèvent pour protester contre le blocage d'une instance capable d'apporter des réponses... L'Instance vérité et dignité chargée de concrétiser, dans les faits et la réalité, la justice transitionnelle tant attendue a-t-elle été reléguée aux oubliettes ? Depuis la mi-février dernier, date de l'annonce par la commission de tri des candidats à l'instance des dossiers de candidature aux ministères concernés pour vérification du passé de ces mêmes candidats, rien n'a filtré au sein de l'ANC où personne, dont en premier lieu les membres de la commission de sélection, ne sait quand les travaux vont reprendre, ni quand les candidats seront informés du sort réservé à leurs dossiers. Plus encore, la liste des candidats à l'Instance n'a pas été publiée sur le site web de l'Assemblée nationale constituante, comme le stipule la loi organique portant création de l'Instance votée en décembre 2013. Seulement, du côté de l'ANC, les choses semblent bouger, puisque l'on apprend qu'une pétition signée jusqu'ici par quelque 80 constituants appelle à l'accélération de la mise en place de l'Instance vérité et dignité. Les signataires de la pétition exigent que l'Instance entre en fonction avant l'organisation des élections présidentielle et législatives, prévues selon la Constitution avant fin 2014. Un deal en perspective Beaucoup d'observateurs n'ont pas hésité à poser la question de savoir si l'appel au parachèvement de la mise en œuvre de l'Instance vérité et dignité ne constitue pas une sorte de deal au bout duquel les partisans de l'exclusion renonceraient à leurs exigences, à condition que l'Instance dresse avant les élections la liste des personnalités rcdistes qui seront empêchées de se porter candidates aux prochaines élections. «Rien n'est plus clair, estime une source auprès de Tayyar Al Mahabba. Au cas où l'article de l'exclusion ne serait pas voté, c'est bien l'Instance vérité et dignité qui fixera la liste des candidats à exclure. Reste à savoir si elle sera instaurée dans les délais. Rien n'est sûr dans la mesure où la commission chargée de sélectionner les candidats est bloquée depuis près de deux mois et même ses membres naviguent dans le flou total». Une analyse presque entièrement partagée par Karim Krifa, membre de la commission de tri. Il souligne : «Nous avons l'impression que Mustapha Ben Jaâfar, président à la fois de l'ANC et de la commission, a oublié l'affaire. Nous ne savons même pas si les ministères et les institutions auxquels la commission s'est adressée pour s'informer sur le passé des candidats ont répondu à nos correspondances. Seul Ben Jaâfar peut répondre à cette question, mais il semble avoir d'autres priorités». Il va encore plus loin pour révéler : «Bloquée depuis la mi-février dernier, la commission de tri n'a pas examiné les propositions relatives à la mise en place d'une grille d'évaluation des candidats (ignorée par la loi portant création de l'Instance) qui nous ont été soumises par quelques associations spécialisées de la société civile. Le haut commissariat de l'ONU chargé des droits de l'Homme a tenu, avec les membres de la commission de tri, une réunion pour nous expliquer les mécanismes d'évaluation. Malheureusement, les recommandations issues de cette rencontre sont restées dans les tiroirs». En tout état de cause, les membres de la commission sont déterminés à soulever la question devant la plénière de l'ANC. «Demain, vendredi 11 avril, nous allons interpeller la séance plénière pour qu'elle décide d'accélérer la mise en place de l'Instance vérité et dignité dans les plus brefs délais, loin de tout calcul partisan en prévision des élections», souligne-t-il. On attend le Tribunal administratif Du côté de la coordination indépendante pour la justice transitionnelle, on attend, pour les jours à venir, l'ordonnance que va émettre le Tribunal administratif en réponse à la requête introduite par la coordination demandant la suspension des travaux de la commission de tri, qu'elle estime contraire à la Constitution. Me Amor Safraoui, président de la coordination, confie à La Presse : «Le Tribunal administratif doit se prononcer, selon la loi, au maximum au début de la semaine prochaine». En attendant, même les candidats ayant soumis leurs dossiers à la commission de tri sont dans le flou et ne savent pas s'ils ont été récusés ou admis.