Par Khaled TEBOURBI Heureux, évidement, de l'hommage rendu à Essayyida Naâma. C'était tendre et festif. Et la diva y trônait, comme à ses heures de gloire, maîtresse des céans. Nullement un cadeau: son dû ! Heureux, mais vigilants. «L'affaire Naâma» (comme «l'affaire» Hédi Kallel) s'est déclarée inopinément, au gré des circonstances. Sans «la bourde» du Livre Noir et «les hasards» de la maladie, la chanteuse aurait probablement continué à «végéter», loin, dans la solitude et l'oubli. Pour Hédi Kallel, on se souvient, ce fut le comble de la «fortuité». A plus de 90 ans, l'idole des années 60 était quasiment abandonné à son sort, presque «à la rue». Un homme d'affaires et le syndicat des chanteurs y ont, Dieu merci, pourvu à temps. Vigilants, parce que dans le passé, aussi, il est arrivé que l'Etat et/ou les gens de la profession viennent en soutien à quelques artistes en difficulté. Sans suites toutefois. C'était tellement provisoire, tellement isolé, qu'il n'en a jamais résulté quoi que ce soit de réglementaire, encore moins de statutaire. De bonnes œuvres, «accidentelles», qui restaient sans lendemains. Là, il semble que le milieu des arts soit devenu nettement plus sensible au parcours des siens. Temps durs mais cœurs tendres? On va considérer qu'il en est ainsi de tout la monde, aujourd'hui. De la gent commune qui craint désormais pour son pécule de fin de mois, autant que des acteurs et des chanteurs qui subissent logiquement les effets de la crise, pour d'aucuns en pire, les revenus n'étant jamais garantis dans ces métiers. Autrement dit, la remise d'un logis à Hédi Kallel et l'hommage rendu à Naâma, mardi dernier, au Théâtre municipal, on préférera (et on n'est pas les seuls) les ranger parmi les toutes premières mesures annonçant une vraie prise en charge de la carrière et de la vie des artistes en Tunisie. Avons-nous raison ? Il y a des actes qui ne trompent pas : le regain syndical, les prises de position en faveur des rappeurs et des comédiens du one man show, le tollé contre le «Livre Noir», l'aide rapide à Hédi Kallel et à Naâma, la création de «La Maison du musicien», enfin. Importantissime réalisation, les musiciens ayant désormais «un repère» fixe et un lieu de rencontre «officiel», ce qui est une façon beaucoup plus sûre et efficace, de se réunir pour traiter des problèmes et trouver des solutions. On ne peut nier ces acquis. Mais l'édifice reste quand même assez fragile. Ces acquis, d'abord, ne reposent toujours pas sur un vrai socle juridique. On vient peut-être en aide aux artistes en difficulté, mais nos artistes ne bénéficient pas encore d'un véritable statut. On avait ce sentiment «d'inachevé», mardi, lors de l'hommage à Naâma. On était émus de tant de reconnaissance, de tendresse et de respect, mais une législation sur les retraites et une application rigoureuse des lois sur les droits d'auteur et «voisins», nous auraient autrement rassurés et confortés. La maison du musicien, non plus, n'est pas entièrement sécurisée. Pour l'heure, c'est encore une simple location. Si elle n'est pas vite dotée d'un statut associatif, elle risque, à court ou moyen terme, de se retrouver en manque de ressources. Il y a, pour finir, un point que nos amis du syndicat des chanteurs, peut-être aussi les gens du ministère, laissent à notre avis, quelque peu «en suspens». C'est le facteur affectif et psychologique des artistes, les anciens surtout, auxquels on veut apporter soutien. L'opération de prise en charge diffère selon les cas. Ce n'est pas une opération quantitative (donner un logis, ou organiser une collecte ou un gala), cela doit être une initiative personnalisée. Autrement, elle peut complètement faillir à son but, déboucher sur les pires résultats. On a déjà un exemple : Hédi Kallel, nous apprend-on, a quitté son nouveau logis de La Soukra. Ses amis témoignent : il n'en pouvait plus d'être éloigné de son «milieu complice» du Kram. Les «donneurs» n'y ont pas pensé, on ne comprend pas pourquoi. Il s'est même trouvé des personnes, mardi à la Bonbonnière, qui n'ont pas perçu de délicatesse dans le fait de réciter le répertoire de Naâma, comme pour «anticiper son éloge posthume». C'étaient leurs propos. C'est dur à entendre, mais ils avaient un peu raison. Mieux eût valu de recommander discrètement, à nos radios et à nos télés, de programmer avec un peu plus de fréquence les chansons de la Diva. Cela nous aurait évité la gêne de l'hommage «in vivo». Songeons-y, en tout cas, lors d'occasions futures. Il n'en manquera pas sûrement, c'est tout un art de savoir célébrer ses aînés.