Ghannouchi rend hommage à tous les martyrs et blessés de la révolution, mais aussi aux victimes du parti qui ont péri en prison Le 6 juin 2014, Ennahdha a fêté ses 33 ans. Au rythme de ses festivités, ce mouvement politique à tendance islamiste tient à mettre sous les projecteurs son parcours militant, de l'opposition radicale à l'expérience du pouvoir à peine terminée. A cette occasion, Ennahdha a organisé un séminaire, hier à Tunis, sur « Les transitions démocratiques dans les pays du printemps arabe : la Tunisie comme exemple». La rencontre a été rehaussée par la présence de cheikh Rached Ghannouchi, fondateur et président du mouvement, aux côtés des leaders du parti et ses fidèles alliés pendant le règne de la Troïka 1 et 2, Ettakatol et le CPR. Y ont également pris part d'autres invités du Maroc et de Palestine, tous deux appartenant au courant des Frères musulmans. Sans pour autant oublier l'auditoire nahdhaoui représenté notamment par les députés du parti à l'ANC, ainsi que certaines figures ayant occupé de hautes fonctions dans les gouvernements de la Troïka. Accusant un retard de plus d'une heure, les travaux ont finalement commencé par la récitation de quelques versets du Saint Coran, avant que M. Houcine Jaziri, membre du parti et ex-ministre de l'Immigration et des Tunisiens à l'étranger dans le gouvernement de la Troïka, ne tienne à jouer l'animateur de la séance matinale. Prenant la parole, cheikh Rached Ghannouchi a commencé par rendre hommage à tous les martyrs et blessés de la révolution, mais aussi aux victimes du parti qui ont péri en prison, soulignant que l'histoire du mouvement est chargé d'épreuves difficiles et de victoires. Il s'est félicité de voir le peuple tunisien se tourner vers le développement, dans le respect de son identité arabo-musulmane. « Cette identité qui a été tant marginalisée doit son ancrage dans la société à Ennahdha ». La question de la crise d'identité, a-t-il indiqué, semble être tranchée, cédant la place à des conflits politiques autour des projets sociétaux, ce qui ne l'était pas dans les années 60 et 70, où même le langage du discours a été altéré par la francophonie. « L'Etat de l'indépendance ne consacrait, en fait, que le parti unique et la présidence à vie. Le régime de Ben Ali n'a fait qu'étouffer toutes les voix libres et se venger des islamistes, en les jetant dans les prisons. Mais, quand même, il y a une grande différence entre Bourguiba, le dictateur éclairé, et Ben Ali, le despote ignorant...». Leur point commun réside dans la marginalisation de l'islam et l'éradication de tout esprit religieux. C'est ce qui a poussé les islamistes à se tourner vers les écoles du Machrek (Said Kotb...). Cheikh Rached a énuméré les références dont se nourrit son parti. Depuis les années 80, Ennahdha n'a cessé d'enregistrer des bonds à plusieurs niveaux. Son parcours s'est inspiré de la doctrine des Frères musulmans, de l'islam tunisien et de la religiosité rationnelle représentée dans la pensée d'Ibn Khaldoun et d'Ibn Rochd, ainsi que d'autres philosophes tels que Descartes. D'autant que le mouvement d'Ennahdha s'est ouvert sur les mouvements sociaux et syndicaux, croyant en les causes de l'égalité entre les femmes et les hommes, la parité dans la Constituante, les valeurs de la démocratie. Le congrès du 18 octobre 2005, qui avait réuni à l'époque les différentes sensibilités politiques, a contribué à l'enracinement de la démocratie en tant que revendication sociale. Ce mouvement rassembleur a constitué le prélude à la révolution du 14 janvier. Pour conclure, il a souligné que la Tunisie ne peut être gouvernée que dans une logique de coalition et de démocratie. « Il n'est pas étonnant de céder au pouvoir pour que la démocratie s'impose comme la voie du progrès et du développement.. », résume-t-il. La parole a été donnée, ensuite, aux invités. M. Mohamed Yatim, vice-président de la Chambre arabe des députés et membre du mouvement marocain « El Islah », parti d'obédience islamiste, a évoqué l'exemple tunisien en matière de transition démocratique à travers l'expérience politique d'Ennahdha durant trois décennies. D'après lui, il importe aujourd'hui d'aborder son parcours militant et ses longs sacrifices au service de l'intérêt du pays à partir d'une vision à dimension maghrébine dont cheikh Rached Ghannouchi fut le précurseur. Ainsi, Ennahdha s'est inspiré de tant d'expériences comparées dans la région telles que celle du Soudan et de l'Iran, à la faveur desquelles elle a pu reconstituer tous les atouts de son renouveau. Le choc civilisationnel qu'elle a subi, au fil du temps, en a fait une école d'innovation à caractère religieux, moral et éducationnel. « Elle revêt aussi une vocation intellectuelle, donnant ainsi une nouvelle lecture contemporaine au texte coranique, ce qui a fait apparaître de nouveaux penseurs tunisiens en jurisprudence dont Rached Ghannouchi, à qui on doit les questions de la choura, de l'alternance au pouvoir, de la participation politique de la femme tunisienne... », a-t-il fait valoir. Dans le même ordre d'idées, Dr Azzem Tamimi, chercheur palestinien qui a mené des recherches sur la pensée du président d'Ennahdha en tant que figure illustre de l'islam démocratique, a précisé qu'«en dépit de la dictature de Ben Ali, Ennahdha demeure initiateur d'un projet créatif et générateur de valeurs. Ce projet a des retombées sur la pensée islamique en Palestine, ouvrant grandes les portes sur l'héritage culturel du Maghreb. «Il s'agit, somme toute, d'une pensée progressiste qui allie authenticité et modernité, islam et laïcité.. », avoue-t-il.