Par Myriam Errais Borges (*) Présentée lors d'une rencontre qui a eu lieu récemment à l'initiative de l'Association de sauvegarde de la médina, autour du projet « Medneta », la communication qui suit analyse les réquisits d'une médina vraiment vivante... Les industries culturelles dans nos médinas arabes : comment créer une synergie entre ces deux mondes a priori opposés ? Comment développer des liens entre la vieille ville historique et le public, sinon en créant des événements culturels et en incitant les jeunes à se réapproprier les lieux ? Pour étayer notre propos sur l'incidence positive d'une introduction des industries culturelles au sein de la médina de Tunis, nous partirons du modèle français, puis nous nous arrêterons sur la médina de Tunis, ses enjeux et problématiques pour un assainissement des lieux. Mais, pour commencer, une petite définition de l'industrie culturelle s'impose. L'industrie culturelle concerne les domaines de l'édition, de l'audiovisuel, de la communication ou de l'événementiel et tout ce qui, dans le secteur culturel, est mis en place avec l'aide du secteur industriel. Pour situer les industries culturelles dans le temps, nous avons choisi de remonter aux années cinquante. C'est en effet en Angleterre que naît, en réaction à l'industrialisation et à l'exode rural, et par le souhait de personnes influentes comme William Morris (1860), le design. En réintégrant l'artisanat dans la vie moderne, des écoles avant-gardistes verront alors le jour. Nous citons «l'Art and Crafts», le «Bauhaus» ou le «Jugendstil» et «l'Art total». Des courants poussés, entre autres, par le monde du théâtre et des arts et leurs nouveaux outils de communication, comme l'affiche publicitaire. Toulouse Lautrec ou Alfons Mucha sont précurseurs en la matière. L'émulation autour de l'art industriel et du design naîtra du souci d'humaniser les modes de vie et de démocratiser l'art. Les bouches du métro parisien réalisées par Hector Guimard sont représentatives de cette période. Parallèlement à la naissance du design, et après la Seconde Guerre mondiale, André Malraux fera évoluer le monde de la culture par la création d'un ministère de la Culture. La culture deviendra alors l'une des priorités de l'Etat et comprendra un budget et une administration. De ses séjours en Asie, Malraux retiendra l'importance de la conservation du patrimoine archéologique et sera à l'origine de l'ouverture de musées pour leurs conservations. On parle alors de la «gestion du patrimoine culturel». Un patrimoine qui, il faut le dire, conforte les identités culturelles des nations et incite au développement des mentalités et à la tolérance : moteur de reconstruction des pays détruits par les guerres. Ville lumière, Paris deviendra, quelques décennies plus tard, le lieu d'événements culturels incontournables comme la «biennale de l'art», la «fête de la musique», «lire en fête» ou la «journée du patrimoine». Elle sera également le théâtre d'expositions éphémères, derniers crus de «l'Art business». Ces rendez-vous ont été mis en place pour redynamiser la ville et ses richesses monumentales et culturelles, dont le principal bénéficiaire est bien entendu le public local et international. La France en effet tire près de 500 millions d'euros tous les ans des actions qu'elle mène autour du patrimoine culturel. Les secteurs du tourisme, des bâtiments et des métiers d'art récupèrent, derrière, des millions d'euros. Seulement voilà! Pour générer de tels bénéfices, la qualité est indispensable! C'est la condition sine qua non de l'industrie culturelle. Qui dit qualité dit moyens et commanditaires choisis parmi les gens de pouvoir et les décideurs. De même, la qualité est l'affaire des artistes, poètes, artisans, créateurs ou designers. Elle a pour cible le public proche ou lointain. Pour faire revivre les villes historiques comme notre médina, il faut qu'elles soient fréquentées, qu'elles deviennent un lieu de «consommation» et, aussi, de réflexion. Il ne suffit pas de miser sur la réappropriation de son patrimoine architectural. Il importe en fait de militer pour voir émerger une politique nationale de gestion des industries culturelles. «Dream city», des frères Rouissi ; «Tous à nos balais», de Ness el Fen ou «Rouh el Amber», de Hirfa et l'Isbat sont des projets à succès qu'il faut reproduire. Malgré les désagréments causés sur la place de la Kasbah depuis 2010, le public n'a en effet pas manqué ces événements et d'autres encore, menés par les activistes de la médina. Si les réalisations de réhabilitation de l'Asm, fondée à la faveur de feu Hassib Ben Ammar, et auxquelles ont participé toutes les équipes de passionnés qui ont travaillé ces dernières années in situ et dont nous saluons ici l'immense labeur, n'avaient en fait pas été menées, la médina de Tunis aurait était désaffectée. Grace aux efforts menés par l'Asm et ses «supporters», la vieille ville est restée un lieu de resourcement culturel. S'il est vrai que ses animations et leurs bénéfices demeurent infimes, il n'en reste pas moins que sa fréquentation, voire ses investissements, sont importants et témoignent du maintien de sa «cote de popularité». La médina a enfin une propriété qui fait l'objet de ce séminaire et sur laquelle nous voulons conclure : ses corporations artisanales. Ces métiers, nous l'avons vu et dénoncé en tant qu'Association à travers «Rouh el Amber» en 2013, sont menacés de disparaître, suite à l'envahissement des échoppes par les attelages de fortune ou par les étals « made in China ». Aujourd'hui, il faudrait agir par des décrets afin d'assainir la médina et, notamment, les prestigieux souks d'El Attarine et des Chawachis, devenus à 80% des magasins de pacotille artisanale. Sans dynamique conjointe soutenue par l'Etat, nous imaginons mal comment «désintoxiquer» et rentabiliser les lieux. De même, et comme nous l'avons constaté avec l'exemple français, seule une succession d'actions culturelles de qualité autour d'un rendez-vous grandiose tel que le «Forum d'Avignon»(*), ou bien l'ouverture d‘une école de design et de gestion de projet culturel, pourraient donner le coup d'envoi d'un tel programme. La Tunisie compte une dizaine d'écoles publiques ou étatiques d'art. Ses jeunes diplômés sont souvent à la recherche de projets culturels, persuadés que leur équilibre dépendra de leur liberté d'expression et de créativité. Réfléchir à un «laboratoire» de recherches et d'actions venant pallier les difficultés des secteurs artisanaux, universitaires, et répondant au chômage actuel, ne pourrait-il pas réanimer la médina et notamment ses corporations artisanales? Myriam Errais Borges Enseignante universitaire Isbat- Cofondatrice de Hirfa - Atps (*) Réunion annuelle autour de la Culture, comprenant décideurs, artistes, universitaires du monde entier et agissant pour et avec le secteur culturel dans la vieille ville papale. Son et lumière, marché et événements de taille en bénéficient.