Par Khaled El Manoubi (*) « Témoignage» de Baccouche diffusé par une télévision du Golfe le 17 août 2014. Dans les témoignages précédents, Baccouche attribue à Saïda Sassi l'éviction de deux Premiers ministres, de la femme, du fils et du secrétaire particulier du président afin que la succession revienne à l'homme supposé de Saïda, Ben Ali. Baccouche, dans sa lancée, aurait dû ajouter: la preuve, c'est que Saïda soit tombée dans la trappe dès le 7 novembre. Et cette fois-ci Baccouche précise que Saïda est une femme «simpliste» (bassita). Sauf que Saïda n'a pas les incohérences de Hédi. Qu'on en juge. 1) Dans la soirée du 6 novembre à Carthage, raconte Baccouche, Saïda et Habib mènent Amor Chédli en bateau: Bourguiba se montre d'abord disert en matière de... croisades(!)puis, à onze heures, va se coucher pour que Chédli quitte le palais une heure avant l'heure H. 2) Le 27 octobre 1987, Saïda informe Ben Ali que Bourguiba songe à l'évincer, raconte Baccouche. Celui-ci est alors immédiatement convoqué par Ben Ali pour le mettre, ainsi que Mohamed Chokri, autre homme de Bourguiba — et bien sûr de Saïda — dans le secret du «coup d'Etat». Hédi est ainsi prêté par la bande des quatre recomposée et réduite à trois(Habib, Saïda, Baccouche relayant Ben Salah, les remplaçants M'zali et Sfar de Nouira étant supplantés par Ben Ali pour servir de comparse. Preuve 1: l'équipe politique ameutée par Baccouche a été en quelques jours congédiée par Ben Ali(Frej Chaïeb, Kamel Laârif et Larbi Azzouz). Preuve2: Baccouche n'a pas fait deux ans au Premier ministère, alors que ses successeurs ont fait chacun près d'une décennie. Preuve 3: Baccouche n'a servi qu'à rédiger la déclaration du 7 novembre que Ben Ali foulera aux pieds quelques mois plus tard. Le comble est que Baccouche affirme que «Ben Ali est incapable de parler ou de rédiger quoi que ce soit». Comment peut-il alors affirmer qu'il sert la Tunisie en contribuant à placer un ignare à la place d'un vieillard, certes, mais qui surclassait encore Ben Ali, et de loin, intellectuellement. Baccouche tente alors d'exclure «catégoriquement» les interventions étrangères. Non, monsieur Baccouche. Les Etats-Unis ont décidé d'adouber Ben Ali contre la vie sauve promise à Bourguiba. Un diplomate du département d'Etat et ancien ambassadeur à Tunis est venu tancer Bourguiba pour avoir tardé à mettre Zine sur orbite au Premier ministère. Dans l'ultime semaine, une délégation sénatoriale est venue à Carthage porteuse de la réaffirmation des garanties américaines quant à l'intégrité physique du déposé. Les Américains, trois ans avant le 7 novembre, ont chargé les renseignements italiens de la préparation technique de l'opération afin que Bourguiba ait le temps de balayer les siens pour leur propre intérêt. Et le vendredi 6 novembre, un avion italien a atterri à El Aouina du côté du général(!) Habib Ammar — préalablement nommé par Bourguiba à la tête de la Garde nationale — afin d'évacuer les «putschistes» en cas de pépin. Cela, Baccouche ne peut le nier. Dans une émission précédente, il a également lui-même précisé que des Algériens ont participé à la comédie orchestrée par Wassila depuis Paris pour faire croire à la farce de Sayah Premier ministre. Du reste, le même Baccouche confirme que Saïda «informe» Ben Ali que Bourguiba a ordonné de préparer le décret pour le... lundi 9 novembre ! Information quand même, mais déjà presque sans valeur, puisque Ben Ali a déjà retenu au ministère de l'Intérieur tout le staff sécuritaire ! N'en déplaise à mes collègues médecins, ces derniers n'ont pas le droit, hormis le cas de démence avérée et même en cas de réquisition par un juge véritablement indépendant, de déclarer inapte un président. Ainsi, dix ans après le 7 novembre et, logiquement parlant, Ben Ali a dû évoquer à l'adresse de ses maîtres américains un élément nouveau, quant au sort du déposé reclus: la longévité de celui-ci est devenue suffisamment grande pour mettre en péril la banalisation de l'arbitraire. Ben Ali a dû, toujours logiquement parlant, demander — et obtenir — des Américains que Bourguiba fasse à son tour expressément et publiquement allégeance. Et qu'a fait le «Jugurtha qui a réussi», le «combattant suprême», le «libérateur de la Tunisie et de la femme»? On l'a montré à la télévision en train de voter pour Ben Ali et déclarer en pleine possession de ses facultés : «Ce qu'a fait Ben Ali en dix ans, je n'ai pas réussi à le faire en trente ans»! En particulier, il n'a passé que huit ans dans les «geôles» de la France contre presque quatorze ans sous Ben Ali. (*) Ancien doyen, professeur émérite d'économie politique