Contrairement à d'autres membres de l'équipe gouvernementale de Mehdi Jomâa, elle est discrète et efficace. Sa nomination à la tête du secrétariat d'Etat à la Femme et à la Famille avait été accueillie avec satisfaction dans les milieux féministes, qui ont trouvé en elle une interlocutrice et un partenaire de qualité. A l'occasion de la Journée mondiale de la femme rurale, Neïla Chaâbane a bien voulu se prêter au jeu des questions/réponses. Elle évoque notamment ses vœux pour l'avenir. Qu'est-ce qui vous a choqué ou indigné le plus lorsque vous avez pris vos fonctions ? Face à l'ampleur des problèmes liés aux domaines de la femme, de l'enfance et des personnes âgées, je suis choquée par le peu de moyens que le secteur public consacre aux projets les concernant. Nous pouvons faire nettement beaucoup mieux si nous avions plus de moyens et si nous avions pris certaines bonnes décisions à temps, il y a dix ou quinze ans. Je suis également indignée de voir qu'après 60 ans d'indépendance on en soit encore à discuter de questions presque basiques relatives à ces trois secteurs. Nous avons pris du retard par rapport à ce qu'on aurait potentiellement pu faire. Est-ce que la femme rurale et la femme citadine ont un même combat ? Fondamentalement les problèmes sont les mêmes mais c'est l'ampleur et la possibilité de s'en sortir qui sont différentes. Il y a un problème de pauvreté aussi bien pour la femme rurale que pour la femme urbaine, de même que des problèmes d'illettrisme, d'abandon scolaire et d'accès aux services publics. Notre regard est différent sur ces deux femmes, mais fondamentalement les problèmes sont les mêmes. Si on prend comme exemple la violence à l'égard des femmes, nous constatons qu'elle est transversale, nous la retrouvons dans tous les milieux, quel que soit le niveau culturel. Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas un problème typique à la femme rurale. Vous prévoyez dans vos projets de renforcer l'employabilité de la femme rurale, comment allez-vous agir? Aujourd'hui, on parle d'autonomisation économique de la femme, on ne parle pas d'employabilité de la femme rurale, car celle-ci est suffisamment occupée du matin jusqu'au soir à travailler dans les champs, chez elle, et à se procurer une source de revenu. L'autonomisation économique de la femme rurale c'est lui permettre d'avoir un travail reconnu et salarié. Aujourd'hui, le travail de ces femmes rurales est invisible et non comptabilisé. Dans les statistiques nationales, son travail n'est même pas pris en compte. Est-ce que l'émancipation de la femme rurale passe forcément par une confrontation avec l'homme rural ? Peut-être, mais une meilleure compréhension serait plus juste. L'homme doit devenir un partenaire de la femme. Aujourd'hui, l'homme rural se considère comme le chef de famille incontestable, alors que dans la réalité, la femme contribue autant que l'homme au budget de la famille et au bien-être du foyer. Il faut que l'homme rural fasse un effort et accepte de considérer la femme comme partenaire. La législation est nécessaire mais pas suffisante, nous avons besoin d'un cadre législatif clair, mais il y a aussi un aspect culturel et comportemental sur lequel il faut agir en actionnant tous les leviers. La religion en est un ? S'il est bien compris et utilisé à bon escient. La première vocation de la religion c'est d'apaiser la société et de faire que toutes les composantes de la société arrivent à vivre ensemble. Avez-vous une stratégie pour faire face à l'abandon scolaire des jeunes filles rurales ? L'abandon scolaire est véritablement un drame, et la femme rurale est plus touchée en raison de causes objectives, l'école est loin de la maison, le collège encore plus loin et le lycée encore plus. Et s'il n'y a pas d'internat, les parents retirent la fille de l'école. Certaines filles refusent elles-mêmes d'aller dans un internat. Nous avons commencé à travailler sur la lutte contre l'abandon scolaire des filles en milieu rural en partenariat avec les différentes parties prenantes, conscientes de l'importance du problème. Il est de notre devoir à tous de donner à nos filles la chance d'aller au bout de leur scolarité si elles le désirent. Nous sommes donc en train de travailler avec différents ministères et associations locales pour lutter contre l'abandon scolaire en pensant au transport, à la cantine scolaire ainsi qu'à la gestion du temps inter-scolaire. Si on arrive à éliminer ces trois causes objectives d'abandon de l'école, je crois que raisonnablement, on pourra réduire d'une manière significative l'abandon scolaire chez les filles rurales. Vous serez peut-être partie d'ici quelque mois, est-ce que vous avez des recommandations pour celui ou celle qui prendra la relève ? Je souhaite la poursuite des bons programmes : l'autonomisation économique des femmes, la lutte contre l'abandon scolaire et surtout l'encadrement de la petite enfance, un projet sur lequel nous avons déjà entrepris quelques actions. Il faudrait les mener à bien parce que la phase des quatre à cinq ans est une phase très importante dans le développement de l'être humain. Je voudrais également que l'on poursuive le combat de lutte contre la violence à l'égard des femmes. Nous sommes en train de préparer le projet de loi intégral de lutte contre la violence et j'espère que celui ou celle qui prendra la relève portera le projet de loi devant la future Assemblée. Je pense qu'il faut parvenir à lever tous les tabous et légiférer sur tout, je pense notamment aux enfants nés hors mariage.