Par le colonel retraité Habib AZZABI* Depuis les campagnes électorales pour la Chambre des députés et la présidence de la République nous assistons autant dans les médias que sur les plateaux de télévision, dans les programmes annoncés des partis politiques et des candidats à la Présidence où la priorité, voire la condition de base, de toute relance économique est le renforcement de la sécurité. Cela est certainement rationnel et indiscutable. Mais ont-ils fait appel aux experts pour avancer des suggestions, voire des précisions ? Pratiquement et à quelques exceptions près, très peu l'ont fait, si ce n'est qu'en affirmant que les budgets de ces deux départements (ministères de la Défense et de l'Intérieur) auront une priorité puisqu'il s'agira d'augmentations d'effectifs et d'achats d'équipements modernes et sophistiqués. Le problème est beaucoup plus profond que cela et pour répondre au titre de cet article, il y a lieu : A) De déterminer les menaces autant intérieures qu'extérieures qu'encourt notre pays. C'est une décision politique à prendre avec l'aide des experts en la matière. B) Et à partir de cela découlera la doctrine — de guerre — que doivent élaborer ces forces, c'est le rôle des experts de défense et de sécurité pour son application et dans notre cas tunisien : – Soit une guerre antiguérilla (antidjihadiste) seulement. – Soit une guerre du type classique ou conventionnelle. – Soit s'organiser pour les deux types en même temps. Ces forces seront restructurées et organisées à partir de cette doctrine. De la restucturation des forces armées Depuis l'indépendance, notre armée qui a eu le mérite de se former avec ses propres cadres tunisiens (d'abord les anciens de l'armée française, de la garde beylicale et des jeunes St-Cyriens puis avec les cadres issus de l'Académie militaire, des écoles d'état-major et supérieures de guerre autant tunisiennes qu'étrangères) avait pour mission principale et priorité stratégique de «protéger le territoire national et garantir la continuité des fonctions essentielles de l'Etat». C'est une armée du type classique et cela a duré 56 ans, elle répondait à d'autres critères, surtout politiques. Aujourd'hui, avec la menace terroriste, la restructuration s'impose puisque la doctrine doit être révisée et cela aurait dû être fait depuis trois ans. Les attaques terroristes sont devenues réelles et majeures et elles le resteront encore pour un certain temps. Cette restructuration qui doit s'adapter à la menace nouvelle prendra à mon avis 4 à 5 ans, elle doit revoir les paramètres suivants : – Une réorganisation avec un seul état-major de l'armée unifié (terre, air, mer) comme par exemple celui des armées belges, suisses, autrichiennes et portugaises dont les effectifs sont semblables aux nôtres, ce qui aura pour avantage et permettra : – Une réduction des effectifs des logistiques, de l'administration (gains sur les budgets). – Surtout une coordination opérationnelle efficace. – Une formation et un entraînement à tous les échelons du type commando. – Une réorganisation des unités dans le sens de la légèreté et la réaction rapide. – Un système de renseignement opérationnel sophistiqué (cyber-électronique et autres). – Un armement et des moyens logistiques modernes. – Un recrutement adéquat des personnels militaires autant de carrière que du contingent appelé; le cas de l'armée de métier dont le coût est plus élevé restant à étudier. – Enfin, un statut et des avantages encourageants. Toutes ces dispositions citées brièvement nécessitent une étude détaillée et approfondie. Suggestions pour la lutte contre le terrorisme (applicables assez rapidement) En attendant la restructuration des forces armées et de sécurité, une volonté politique claire et bien définie. 1) L'unification opérationnelle du commandement de toutes les forces de sécurité et de défense : armée de terre, air, mer, Garde nationale, police, douanes, gardes forestiers et tous les autres organismes pourvoyeurs de renseignements sécuritaires. 2) Des salles opérationnelles avec les éléments cités plus haut : – Une centrale à Tunis ayant pour rôle de : A) filtrer et recouper tous les renseignements. B) prendre les décisions opérationnelles. C) rendre compte — rapport quotidien — de la situation, et ce, au président de la République, au Premier ministre et aux ministres de la Défense et de l'Intérieur. – 3 autres salles opérationnelles, annexes à la centrale, dans les régions «chaudes» du terrorisme, à savoir Le Kef/Jendouba, Kasserine et Ben Guerdane, dont le rôle sera d'adresser en temps réel, l'électronique aidant, tout renseignement concernant leur zone opérationnelle respective. Ce flux permanent entre la centrale et les annexes de va-et-vient continu du renseignement permettra de réduire grandement d'une part, la liberté et l'initiative de manœuvre des terroristes et des contrebandiers et de prendre, d'autre part, les décisions opérationnelles les plus efficaces. La lutte contre le terrorisme concerne tous les citoyens dont le devoir national est de contribuer par le renseignement Enfin, il est grandement souhaitable de créer l'Agence nationale du renseignement ainsi qu'une commission parlementaire de sécurité et de défense. Celle-ci fera appel aux experts des départements concernés (défense, intérieur, affaires étrangères, finances et budget, etc.) qui l'aideront à entériner la politique et les attributions de chaque organisme. D'autre part, elle doit exercer son rôle quant au contrôle démocratique de l'armée. *(Ancien de la 1ère promotion de SaintCyr, la promotion Bourguiba)