Par DR M.A.BOUHADIBA Je ne suis pas caricaturiste et donc je décrirai ma caricature plutôt que la dessiner. Imaginez deux falaises face à face, aussi hautes que l'Himalaya, aussi verticales qu'un fil à plomb aussi raide que la justice. Sur l'une s'entassent tous les monuments d'Europe, sur l'autre tous les minarets du monde arabe. Au-dessus des monuments un phénix pourpre à la queue azurée, sur son torse écrit en grand « liberté d'expression ». Sur l'autre falaise le plus haut des minarets porte une plaque sur laquelle est écrit « blasphème ». Entre ces deux falaises deux petits personnages, l'un grassouillet, se gratte la tête avec un crayon et dans la bulle au-dessus de sa tête un grand point d'interrogation. L'autre, petit et teigneux, barbu, avec des yeux concentriques hypnotisés et sur la bulle au-dessus de sa tête le mot « sang ». Cela résume-me semble-t-il, les univers parallèles d'incompréhension entre les deux cultures. La caricature si elle date des anciens grecs n'est devenue ce qu'elle est aujourd'hui qu'au 19ème siècle en France. C'est un art typiquement français, elle montre un mélange de satire, de parodie et de pastiche dont la subversion provocatrice et je dirais même cynique, est elle aussi typiquement française. Pour être honnête, elle montre en résumé tout ce que nous apprécions chez les Français, à savoir la culture, le trait d'esprit, les jeux de mots et les associations d'idées plus loufoques les unes que les autres. On peut parcourir un journal sans lire certains articles mais l'œil sera toujours attiré par une caricature, elle nous soutirera un sourire et l'espace d'un instant nous fera oublier une vie sans exubérances, saturée de conventions et de devoirs. Elle ne représente, à vrai dire, rien car elle n'est pas la réalité et s'en éloigne, elle n'est pas non plus la vérité, bien au contraire, elle masque la vérité par un rideau d'humour qui la rend plus acceptable. Elle n'impose ni morale, ni symbole, elle est comme un ami intime qui par un clin d'œil nous fait comprendre qu'il a compris ce que nous avions déjà compris. Les caricaturistes, le saviez-vous, sont une race en voie de disparition, ils étaient 52 en 1974, et 54 seulement aujourd'hui, à ceux-là il faut retrancher, dans un décompte macabre, les disparus, tués par la violence aveugle. Ils sont en fait de grands enfants, des gens débonnaires qui prolongent une passion de jeunesse. Ce qu'ils aiment avant tout c'est dessiner, ils aiment tellement cela qu'ils font parler leurs dessins sur tous les sujets en y ajoutant des plaisanteries de potaches. Ils sont naïfs, de cette naïveté généreuse qui ne peut qu'entraîner avec eux les gens communs à l'humour épais que nous sommes. Comment expliquer aux Français qui ont eu la révolution de 1789, qui contestent tout et qui sont passés maîtres dans l'art de l'humour grinçant qu'une caricature peut bouleverser la planète ? Aujourd'hui, la France est triste, elle est confuse, elle balance entre l'autoflagellation et l'islamophobie. Les musulmans aussi sont dans le désarroi hésitant entre la honte et la justification de l'injustifiable. Déjà les intellectuels des deux bords crient à l'unisson comme une portée d'oisillons: « Il faut réformer l'islam, il faut réformer ». Réformer quoi? Les textes sont ce qu'ils sont et il y aura toujours des différences d'interprétations. Allez expliquer l'islam des lumières à un salafiste obtus... Il y aura néanmoins un grand débat sur l'islam mais soyons lucides, ce débat aura lieu en Occident entre Occidentaux, même si certains intellectuels arabes et certains imams éclairés pourront y participer. Pour nous, si nous ne voulons pas être marginalisés, il est important de montrer notre totale solidarité avec la France, de condamner sans équivoque aucune la violence jihadiste et de nous amarrer solidement au paquebot Europe pour développer ensemble nos valeurs humanistes communes.