Quelle drôle d'invention que celle du Facebook ! C'est grâce à ce réseau social qu'une artiste talentueuse comme Amel Mathlouthi s'est créé un fan club qui s'est déplacé en grand nombre mardi soir au festival international de Hammamet. Et pourtant cette jeune auteur-compositeur était là pour assurer la première partie d'une soirée tango proposée par Abir Nasraoui. D'ailleurs, cette dernière a tendu une perche à la benjamine, qui a bien su en profiter, et lui a même volé la vedette. Durant une heure, Amel Mathlouthi, haute comme trois pommes, pieds nus, et les cheveux en cascades, a sorti son plus beau jeu. Sa musique est à sonorité plutôt rock, sa voix bien trempée voltige dans différents registres, avec une interpétation qu'on qualifierait d'ethnique, usant de beaucoup de fantaisie ( qui gâcherait par moments la diction et la compréhension de ses textes, d'après certains avis puritains). Pourtant, cette artiste qu'on découvre probablement pour la première fois sur une prestigieuse scène tunisienne a conquis ceux qui ne l'étaient pas déjà. Très vite, la magie a opéré, les jeunes venus nombreux, chantaient avec elle presque toutes ses chansons, et elle a même réussi à entraîner les moins jeunes dans son univers. Sa recette est simple, diriez-vous : paroles poétiquement engagées, des compos fusion à dominance rock, des mucisiens de grand talent, une voix qui sait faire chavirer les cœurs et une belle présence sur scène. Une artiste qui s'inscrit à la croisée des chemins entre Joan Baez ou Jannis Joplin et Marcel Khalifa et Cheickh Imam. Drôle de cocktail ! Mais le résultat est étonnant ! Amel Mathlouthi serait-elle une des ambassadrices ( parmi tant d'autres : Baâdia Ourghi, Bendir Man…) de la nouvelle génération? Et pourquoi pas, avec une démarche tournée vers l'avenir, vers une musique plus ouverte sur le monde, qui parle le langage d'une jeunesse toujours à la recherche de repères « musicaux », une musique qui nous ressemble ! disait le jeune public de la soirée. Dommage que des artistes comme Amel et d'autres, qui sont dans l'alternative, n'arrivent à prendre une place qu'une fois partis en Europe. Et heureusement qu'une scène comme celle de Hammamet ose parier sur ces talents et miser sur une de ces nouvelles propositions. Et, cerise sur le gâteau, le public était au rendez-vous. Abir Nasraoui, le faux calcul ! Le passage de l'univers d'Amel Mathlouthi vers celui d'Abir Nasraoui était brutal ! Et c'est dommage. La proposition de cette chanteuse (universitaire et doctorante en musicologie) nous a paru étrange. Sa démarche consistait à chercher dans le répertoire arabe et maghrébin toutes les sonorités du tango argentin. Bien que cette recherche musicale ne soit pas du tout inédite (déjà vue à maintes reprises avec le groupe Hanine y Con Cubano), elle aurait pu intéresser le public présent (qui s'est défilé petit à petit ) si la première partie avait préparé le terrain pour la seconde. Du coup, la robe et la fleur rouge dans les cheveux, le couple de danseurs de tango, la communion inexistante, voire entre les musiciens et les reprises des chansons de Hédi Jouini, Ismahane, Lili Boniche, Farid El Atrach, mélangées aux rythmes latino-américains, n'ont pas eu d'effet. Mis à part ces détails d'ordre scénique et musical qui, dans un autre contexte et dans d'autres conditions, auraient facilement séduit, ne serait-ce que grâce à la beauté de la voix de Abir Nasraoui, le problème se place ailleurs, plutôt dans le fait de vouloir (allez savoir pour quelle raison, et c'est à la demande de Abir Nasraoui elle-même…) mettre dans une même soirée une proposition en plein dans son temps, qui pointe vers l'avenir, et une autre en plein dans le passé et la nostalgie. Amel Mathlouthi a réussi son challenge… Abir Nasraoui, croyant bien faire, y a laissé des plumes.