Le Front populaire a manifesté officiellement son mécontentement auprès de la présidence du Parlement, et a menacé d'user «de tous les modes de protestation» au cas où la présidence de la commission des finances confiée à Iyed Dahmani ne lui reviendrait pas Depuis plus de trois ans, les formations politiques avaient brandi haut et fort le très élégant slogan : «La patrie avant les partis», pour justifier leurs différentes positions. Mais au vu de ce qui se passe depuis plusieurs jours à l'Assemblée des représentants du peuple, avec un Front populaire qui dénonce un «hold-up sur l'opposition», un Afek Tounès qui n'accepte pas d'être en dehors du bureau de l'Assemblée et une majorité qui court derrière un consensus utopique, il semble qu'il ne s'agit que d'une enseigne creuse de partis politiques voulant à tout prix que leurs vœux soient exaucés. Et peu importe si les projets de lois urgents s'empilent, pourvu que chacun ait une place au soleil, celui du nouvel establishment qui ne rayonne que sur ses membres. Le Front dénonce Le premier acte de la journée d'hier était prévisible. Depuis quelque temps déjà, la rumeur courait que les deux majorités (Ennahdha et Nida) au Parlement cherchaient à écarter le Front populaire de la présidence de la commission des finances. Des craintes dans ce sens avaient été soulevées par Nizar Amami, député frontiste. Mais jeudi, ces craintes sont finalement confirmées par la décision du bureau de l'Assemblée (composé en majorité des membres de Nida et Ennahdha) de confier la présidence de la commission à Iyed Dahmani, unique représentant du parti Al-Joumhouri, mais chef de file des sociaux-démocrates. La présidence du bureau avait proposé deux interprétations de l'article 46 du règlement intérieur (l'une plaidait en faveur des sociaux-démocrates, l'autre en faveur de la gauche), et c'est finalement les sociaux-démocrates qui ont eu gain de cause, au grand plaisir de Iyed Dahmani qui évite soigneusement toute déclaration aux médias, et au grand dam de Mongi Rahoui, candidat non déclaré de la gauche à la présidence de la commission. «Ce qui s'est passé est un véritable hold-up sur les commissions et leur présidence», dénonce le député Jilani Hammami lors d'une déclaration aux médias hier. La majorité parlementaire cherche à écarter le principal acteur de l'opposition». Les frontistes contestent le choix d'une démarche étrange, consistant à ne plus raisonner en termes de taille des blocs, comme cela a été le cas jusqu'à présent, mais en termes de nombre d'opposants. Fethi Chemkhi, autre député du Front populaire, va plus loin, et déclare à La Presse que la mise à l'écart de son bloc de la présidence de la commission des finances vient sur «ordre du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale». Quoi qu'il en soit, dans une interview accordée à notre journal le député Nizar Amami, n'a pas caché son hostilité aux orientations économiques du gouvernement, qui sont diamétralement opposées à celles du Front populaire. De ce fait, le gouvernement aurait été gêné de voir le Front populaire tenir les rênes d'une commission qui examinera la loi de finances complémentaire. Le Front populaire a manifesté officiellement son mécontentement auprès de la présidence du Parlement, et a menacé d'user «de tous les modes de protestation» au cas où cette décision ne serait pas révisée. De son côté, le président de l'Assemblée, Mohamed Ennaceur, n'a pas digéré l'ultimatum et les menaces du Front populaire en expliquant que les règles de la démocratie ont fonctionné et qu'il va falloir les accepter. «Nous tentons de trouver des consensus, il est vrai, mais dans le cas contraire, c'est la majorité qui décide», a-t-il déclaré. Une opposition de façade ? En tout cas, c'est ce que déplorent les députés de la gauche. Ils accusent Ennahdha et Nida d'avoir fait des pieds et des mains pour faire émerger une «opposition light», facile à manier, contrairement aux intransigeants de la gauche. « Ce n'est pas forcément vrai, rétorque la députée Meherzia Laâbidi. Les sociaux-démocrates peuvent s'avérer être de féroces opposants, et c'est ce que nous souhaitons d'ailleurs pour la démocratie ». Dans leur protestation, les frontistes bénéficient d'un improbable soutien, celui de Afek Tounès, membre de la coalition gouvernementale et qui dénonce une « pratique antidémocratique ». « Nous voulons pour la démocratie, d'un côté, une majorité, de l'autre une opposition réelle, explique Riadh Mouakher. Nous estimons que c'est au Front populaire que doit revenir la commission des finances ». Afek Tounès n'est pas en rogne uniquement par solidarité avec les frontistes. Ses députés sont également mécontents d'être la seule partie gouvernementale à ne pas être représentée au bureau de l'Assemblée. « Nous avons officiellement déposé un recours auprès de la présidence du Parlement pour que la composition du bureau soit revue et corrigée », a déclaré Karim Hellali, député de Afek Tounès. Bref, les priorités annoncées en grande pompe par Mohamed Ennaceur vont devoir attendre encore une semaine, le temps que les partis politiques parviennent à un juste équilibre.