Par Hamma HANACHI En fin de guerres meurtrières, la négation a été maintes fois formulée, haut et avec insistance. Plus jamais ça ! Désormais personne n'y croit, à force, l'expression est devenue incroyable, ridicule même, des vœux pieux de circonstance. Cette locution a été encore une fois émise en début de semaine, à haute voix, à propos du chalutier naufragé en Méditerranée, dimanche 19 avril, transportant 800 migrants, embarqués clandestinement de Tripoli, un pays à gros trafic, incontrôlable, devenu la plaque tournante et le passage des migrants en quête d'un avenir meilleur. 800 candidats, 28 survivants. La Méditerranée, un horrible cimetière. Le beau temps approche, les trafics d'esclaves vont se multiplier, les naufrages aussi, la communauté internationale s'indigne, les pressions se font sentir. L'événement n'en finit pas d'enflammer les journaux et la Toile, un record, un record de plus à mettre sur le compte des troubles en Libye, des crises africaines. Les passeurs et leurs complices se frottent les mains, les malheurs des uns... Situation d'urgence, branle-bas de combat chez les chefs d'Etat, les eurodéputés et autres hauts responsables, le président du Conseil européen, Donald Tusk, annonce pour aujourd'hui jeudi, un conseil extraordinaire portant sur ce sujet brûlant. Pendant ce temps, chacun de nous imagine les dangers encourus par ces jeunes, le voyage, la mer, l'odyssée mortelle. Les crises, la guerre civile ont provoqué une misère sans nom, les populations n'ont plus d'autres solutions que de fuir. Où ? De l'autre côté de la Méditerranée, autrement dit au paradis. La Méditerranée de la paix s'est transformée, depuis quelques années, en frontière à passer, à franchir et à quitter. On fuit une terre pour une autre, poussé par la misère. Elle est l'objet de tous les risques, elle symbolisait l'avenir, elle est désormais la mort. 2013. Suite à un naufrage qui fait 366 morts, une hécatombe, un scandale, une surenchère d'indignations, une fragmentation de cris a explosé, tous les responsables et les médias ont dit «Assez !» L'Italie lance l'initiative Mare Nostrum, un programme de surveillance 24 heures sur vingt-quatre, mobilisant des navires capables d'intervenir pour sauver des chalutiers, des rafiots et des canots jusqu'aux côtes libyennes. En un an, il y a eu près de 600 sauvetages, 120.000 âmes secourues, et, l'essentiel, quelque 350 passeurs arrêtés. Le monde respire. Pas pour longtemps. Le programme Mare Nostrum est abandonné. Trop cher, l'Italie fait seule face aux drames. Conséquence directe : le trafic double, les passeurs profitent de l'aubaine, les candidats aux traversées suivent le mouvement. 700 morts. Un drame, plus jamais ça, crie-t-on sur tous les toits d'Europe. Le ministre des Affaires étrangères italien, furieux, tempête contre l'Union européenne : «90% des dépenses de la surveillance et des secours pèsent sur l'Italie». Il faut dire que chaque naufrage introduit une inflexion dans les tristes récits. Les régions italiennes sous contrôle de la Ligue du Nord (parti d'extrême droite qui joue sur le thème de la xénophobie) ont réagi au quart de tour. Elles refusent en bloc et en détail tout type «d'envahissement» de réfugiés, d'étrangers dans leur région. Et que peut-on faire face à cela ? Jean Raspail, écrivain, journaliste et grand voyageur, Grand prix du roman de l'Académie française (1981), auteur d'un ouvrage sulfureux, anti-immigration, «Le camp des saints» (1973), qui lui a valu un éreintement en bonne et due forme, invité mardi à Radio Classique, monte au créneau. Il répond à son intervieweur : «une grande partie de la population a une crainte intérieure des réfugiés, elle ne se sent plus chez elle, le gouvernement ainsi que l'Europe sont incapables d'y répondre». Plus sérieusement, l'Europe à travers sa Commission et ses chancelleries lance un plan pour renforcer celui en cours, plan Triton. Où il est question d'attaquer le problème en amont : surveillance renforcée des frontières libyennes, soudanaises, égyptiennes, nigériennes et tchadiennes, s'attaquer aux trafiquants avant même d'arriver sur les rives de départ, s'attaquer à l'économie de la migration (un candidat paie environ 7.000 euros pour le voyage et la traversée), interpeller et couper les ponts aux passeurs mercenaires, l'augmentation de l'accueil des réfugiés politiques, trouver une solution en Libye. Une autre inflexion, pernicieuse, s'est greffée sur le naufrage : un responsable de la police de Palerme a recueilli un récit invraisemblable, une rixe entre musulmans et chrétiens a dégénéré en grosse bagarre, les musulmans majoritaires ont jeté par-dessus bord les chrétiens, des survivants risquent plus de 20 ans de prison pour homicide aggravé. L'opinion publique, fortement nourrie par un flot d'articles et d'images sensationnels, est choquée, le récit est repris sur toutes les chaînes, les journaux, même sérieux se sont pliés à l'exercice. Il faut dire que le sujet Islam et violence ou Islam et immigration est vendeur, on achète sans regarder. A notre avis, ce récit est inventé de toutes pièces. Comment des clandestins d'origines très différentes, venus pour la plupart de pays sans conflits confessionnels, puissent s'entretuer, alors que le bateau chavirait ? Comment le responsable de la police s'est fié sans enquête fouillée à des aveux d'un survivant ? Des questions qui resteront, bien sûr, sans réponses.