Par Samira DAMI Encore un temple du cinéma menacé de fermeture : la salle «Al Kawkeb», à Sfax, connaît, aujourd'hui, de sérieuses difficultés, son propriétaire ayant du mal à s'acquitter des importantes charges matérielles et salariales. D'où l'appel lancé, il y a quelques jours, par le bureau exécutif de la Chambre syndicale des producteurs de films exhortant le ministère de la Culture à intervenir d'urgence pour sauver la salle, en lui attribuant une subvention lui permettant de dépasser ce cap difficile. Mais ce qui est encore plus attristant et dramatique, c'est que la majorité des salles de cinéma connaissent la même déprime. Pourquoi donc ? La réponse est simple : la fréquentation des salles est à son plus bas niveau, aujourd'hui, depuis des décennies. Exemple: il y a quelques jours, lors d'une séance de projection au «Rio» du film Le Président de l'Iranien Mohsen Makhmalbaf, nous n'étions que 7 spectateurs dans la salle. Il est normal donc, vu la situation et la faible fréquentation du public que les salles, qui ne sont plus qu'une vingtaine dans l'ensemble du pays, vivent une crise sans précédent. Que faire? Etre contraint à fermer les salles, faute de public, ou opter pour le replâtrage ? Cela en comptant sur l'aide du ministère de la Culture, lequel depuis l'année 2000 a octroyé un bon lot de subventions aux salles obscures pour leur rénovation et leur entretien. Et si l'on ajoute les aides accordées, depuis 2012, à hauteur de 50% pour le passage au numérique et au DCP pour un montant maximum de 100 mille dinars, les subventions s'élèvent, ainsi, à 6 milliards de millimes. Pourtant, rien n'y fait, le parc des salles se réduit comme peau de chagrin et celles qui végètent n'arrivent plus à joindre les deux bouts. Or, la Chambre syndicale des producteurs de films a rappelé au gouvernement, dans son communiqué, appelant à sauver Al Kawkeb, les promesses électorales à «créer 100 salles de cinéma outre la rénovation et l'entretien des salles défectueuses». Admettons que le gouvernement actuel applique toutes les promesses électorales des uns et des autres, mais cela boostera-t-il pour autant la fréquentation et incitera-t-il le public à se déplacer en grand nombre pour voir des films qu'il peut louer chez un marchand de DVD ou regarder en streaming seulement quelques mois après leur sortie en Occident ou les voir une année après sur les chaînes de télé thématiques et même généralistes quelques mois plus tard? Franchement, non, car pour renouer avec la grande fréquentation telle qu'elle fut jadis dans les années 60, 70, 80 et 90, les subventions à elles seules ne suffisent pas. Ce qu'il faudrait, c'est mettre en branle et dès aujourd'hui toute une stratégie à long terme et une vraie politique de développement du secteur cinématographique accompagnées d'une batterie de mesures. Il s'agit d'abord d'ancrer, de nouveau, la tradition de la pratique culturelle et cinématographique par l'éveil à la culture et à tous les arts dès la tendre enfance et dès l'école primaire. Cela en assurant à tous une éducation et une initiation au 7e art. Il est nécessaire, ensuite, de restimuler et d'encourager la cinéphilie à travers la création de ciné-clubs scolaires et universitaires. Enfin, il faudrait assurer la sécurité et un environnement propices aux sorties en ville pour la fréquentation des salles de cinéma, de jour comme de nuit : la propreté des villes, le transport, cela compte aussi. L'important, au final, est de mettre en œuvre une politique de production, d'exploitation et de diffusion de films de qualité, en respectant la propriété intellectuelle et en sévissant contre le piratage qui s'avère, hélas, la norme et la règle aujourd'hui. Nous n'allons pas entrer dans les détails, mais disons que le ministère de la Culture et le gouvernement peuvent agir, également, à court terme en prenant des mesures urgentes pour venir en aide aux quelques salles qui subsistent aujourd'hui et cela devrait s'appliquer également à tous les espaces culturels. Cela en optant pour un régime de faveur pour ces salles, tel l'exonération de la TVA, l'application réelle des tarifs étudiés par la Steg et la Sonède, l'application des lois qui existent contre le pirage et autres mesures préférentielles. C'est, donc, en mettant en œuvre une stratégie globale pertinente et conséquente à court et à long terme qu'on pourra empêcher des salles de cinéma et des espaces culturels de fermer leurs portes. Le replâtrage et les mesures occasionnelles ne peuvent, en aucun cas, régler le problème et mettre fin à la crise que traversent nos salles de cinéma.