Longtemps étouffée, la guerre de leadership qui traverse le mouvement Ennahdha réapparaît au grand jour. Le député Abdellatif el-Mekki a eu la dent dure tout récemment contre la concentration du pouvoir entre les mains du président du parti, Rached Ghannouchi. «Il faut plus que jamais passer d'un mode de gestion du mouvement dans lequel la prise de décision est en grande partie concentrée entre les mains du président à un mode de gestion plus collégial», a-t-il déclaré dans un entretien accordé jeudi dernier à Mosaïque FM. «Il existe des divergences profondes à ce sujet. La volonté de changer de mode de gestion du parti qui trouve un écho grandissant auprès des militants rencontre une farouche résistance de la part des partisans de Rached Ghannouchi», a-t-il ajouté. Ancien ministre de la Santé publique, Abdellatif el-Mekki a également fait remarquer que «Rached Ghannouchi doit comprendre que la situation actuelle ne favorise pas la démocratie interne». Les bisbilles autour du leadership au sein du mouvement Ennahdha ne datent pas d'hier. Les germes de la grogne grandissante contre la mainmise de Ghannouchi sur le parti se sont déjà fait sentir lors du 9ème congrès du parti quand le leader historique n'a été réélu que par 74 % des délégués, et lorsque son pouvoir a été contrebalancé par l'élection de l'ultraconservateur Sadok Chourou à la tête du Conseil de la choura. Lors du dernier congrès tenu en mai 2016 il a été aussi réélu à environ 75% des voix en obtenant 800 votes. Les deux autres candidats, le président sortant du Conseil de la Choura (la plus haute autorité du parti) Fethi Ayadi, et Mohamed Akrout, un responsable du parti, ont respectivement obtenu 229 et 29 voix. Avant le dernier congrès, des divergences profondes avaient aussi éclaté au sein du Conseil de la Choura au sujet de la restructuration du mouvement et plus particulièrement les modalités d'élection du président et du choix des membres du Bureau exécutif du parti. A l'époque, de nombreux cadres avaient proposé l'élection du président du parti par les membres du Conseil de la Choura, arguant que cette instance consultative doit rester la plus haute instance dirigeante du mouvement et l'autorité suprême entre deux congrès. « Je n'ai pas d'objection contre la réélection du cheikh Rached Ghannouchi à la tête du mouvement mais nous avons aujourd'hui besoin d'une bonne dose de démocratie, de transparence et de libre compétition», avait alors argumenté le vice-président du parti Abdelhamid Jelassi. Les cadres appartenant à cette aile du mouvement, qui comprend aussi des durs à cuire à l'instar de Sadok Chourou et Habib Ellouze, ont aussi tenu, lors de la dernière session du Conseil de la Choura, à ce que les membres du Bureau exécutif ne soient plus désignés par le président du parti comme cela a toujours été le cas depuis la création du mouvement en 1981. Cette guerre de leadership trouve, selon les observateurs, son origine dans une vieille ligne de fracture qui traverse le parti. Il s'agit du conflit entre dirigeants forcés à l'exil pendant plus d'une vingtaine d'années et les cadres restés au pays dans les geôles de Ben Ali ou sous étroite surveillance de sa police. Sous couvert du respect des pratiques démocratiques, les anciens prisonniers ne cessent ainsi de manœuvrer pour limiter le pouvoir du tout puissant Rached Ghannouchi dans une première étape, et peut-être pour l'évincer ultérieurement de la présidence du mouvement. Cette aile qui a pour chefs de file Abdellatif el-Mekki et Abdelhamid Jelassi est aujourd'hui favorable à une promotion des quinquagénaires qui avaient rejoint les rangs islamistes dans les années 1990 via l'Union générale tunisienne des étudiants (UGTE). Ses membres écartent cependant l'idée d'une scission et préfèrent continuer à tenter de faire bouger les lignes de l'intérieur.