Les bailleurs de fonds multilatéraux pressent régulièrement la Tunisie de réduire ses dépenses publiques faramineuses. Des mesures, dont l'allègement des effectifs de l'administration, ont été déjà prises dans ce cadre. Mais le chantier auquel aucun gouvernement n'a jusqu'ici osé s'attaquer frontalement est celui de la réforme de la Caisse générale de compensation (CGC). Quelques actions ont été certes entreprises ces dernières années, dont la suppression des subventions pour les industries énergivores notamment l'industrie du ciment et les verreries ainsi que l'augmentation des prix pour les grands consommateurs d'électricité et l'ajustement des prix du carburant. Mais les dépenses de subvention restent importantes. Le budget de la CGC) est passé de 730 millions de dinars en 2010 à 1605 millions de dinars en 2017. Il représente ainsi 1,7% du PIB, 5% du budget de l'Etat et 26% des dépenses de l'investissement, ce qui grève les équilibres généraux du pays. Le problème majeur de l'actuel système de subvention concerne les inégalités dans le bénéfice des interventions de la Caisse générale de compensation. Les ménages pauvres, qui représentent 15,5% de la population tunisienne, ne bénéficient que 12,2% des subventions, qui profitent aux riches plus qu'aux familles nécessiteuses, selon une étude réalisée par la Banque africaine de développement (BAD) En effet, le Tunisien défini comme pauvre ne perçoit individuellement que 64,8 dinars par an, alors que le Tunisien riche perçoit, quant à lui, perçoit 86,9 dinars par an, selon cette même étude intitulée «Subventions alimentaires et aides sociales directes, vers un meilleur ciblage de la pauvreté monétaire et des privations en Tunisie». Cette analyse de l'impact des subventions alimentaires et des transferts sociaux directs vers la population pauvre et vulnérable souligne ainsi que le caractère universel des subventions alimentaires nuit gravement à l'efficience de ce mécanisme de lutte contre les inégalités. Difficultés d'identification des couches cibles Bien que tous les acteurs socio-économiques considèrent la réforme de la CGC comme étant une priorité absolue pour remettre les finances publiques à flot, les mesures prises n'avancent pas à la vitesse souhaitée par les bailleurs de fonds, Banque mondiale et Fonds monétaire international en tête. Le gouvernement envisage depuis quelques années de mettre en place un «identifiant social unique» destiné à orienter le soutien de l'Etat vers les catégories sociales les plus vulnérables à travers la réallocation du budget de la CGC aux transferts sociaux directs. Le passage d'un système de subvention généralisée à un système de versement direct pour les couches nécessiteuses se heurte cependant aux difficultés d'identification des couches cibles. Par ailleurs, ce système requiert un suivi régulier de la mobilité sociale qui nécessité des moyens humains et logistiques considérables, ce qui a contraint plusieurs pays qui l'ont appliqué à l'abandonner rapidement. Pa ailleurs, la réforme du système de compensation des produits de base n'est pas sans risque et pourrait déclencher des conflits sociaux majeurs. Une étude de l'Institut Tunisien de la Compétitivité et des Etudes Quantitatives (ITCEQ) a fait ressortir que la seule suppression des subventions aux produits énergétiques a se traduirait par une augmentation du taux de pauvreté qui passerait de 15,5% à 19,9%. En même temps, l'élimination totale des subventions aux produits énergétiques génèrerait une grande mobilité des classes sociales vers des classes plus basses. La part des classes à bas revenus qui passerait dans le cadre de cette hypothèse de 21 à 26% et celle des classes moyennes inférieures passerait de 39 à 43%. Pour rappel, la Caisse générale de compensation est un établissement public dont l'objectif est de stabiliser les prix des produits de base. Elle subventionne les hydrocarbures et des produits comme les dérivés céréaliers (le pain, la semoule, le couscous et les pâtes alimentaires), l'huile de graine, les papiers destinés à la fabrication des cahiers scolaires, le lait stérilisé demi-écrémé, le sucre et le concentré de tomates.