Bon nombre de jeunes tunisiens, nés à l'étranger et notamment en Europe, retournent vivre au pays, soit par choix, soit par obligation familiale. Ce retour en Tunisie est certes facilité par de nombreuses mesures d'accompagnement proposées par l'Etat tunisien, mais sur le plan psychologique et celui de l'intégration et de l'adaptation, les choses ne sont pas toujours aussi faciles. Florilège de ce qu'ils vivent au quotidien... Nous en avons rencontré des dizaines de ces jeunes gens et jeunes filles, nés sous d'autres cieux et qui sont actuellement installés en Tunisie et souvent heureux d'y être... C'est le cas de cette jeune femme, une jolie brune de 26 ans qui, selon ses confidences a choisi de vivre en Tunisie parce que son mari gagne bien sa vie ici. " Sans être matérialiste, je pense qu'on vit mieux ici qu'en France où je suis née, car la vie est moins chère et les gens sont moins stressés, d'où une meilleure qualité de vie. "
Question de mentalités Mais lorsqu'on la pousse un peu, son discours varie : " malheureusement je sens un grand décalage entre les Tunisiens et moi au niveau des mentalités. Dans les rues de Tunis, le manque d'éducation et la grossièreté font que marcher à pied cela devient vite déprimant. Du coup je me sens mieux avec des Européens qui sont de passage ou qui vivent ici à l'année... Peut être que le problème vient de mon incapacité de m'adapter à la mentalité de certains Tunisiens et Tunisiennes, trop portés à mon avis sur le m'as-tu vu et les choses superficielles... " Du côté de Ben Arous, c'est une jeune fille de 20 ans que nous retrouvons. Elle est revenue au pays volontairement, mais elle a eu l'intelligence de s'adapter à son nouveau milieu. " Je suis née en Italie et je suis revenue vivre en Tunisie à l'âge de 14 ans. Au début c'était dur, mais avec le temps je me suis parfaitement intégrée à la mentalité qui me dérangeait beaucoup au début, car les garçons me considéraient comme une fille facile, puisqu'elle vit en Europe... Aujourd'hui, j'ai pu m'imposer ici et m'adapter à ce type de mentalité. Mieux encore, lorsque je vais en Italie, je me sens comme une touriste là-bas, bien que j'en ai la nationalité... " De nombreux jeunes nés et ayant vécu à l'étranger et qui ont fait le choix de revenir vivre en Tunisie se plaignent en effet de la vision que les jeunes tunisiens ont des émigrés et de leurs enfants. Un jeune père de famille nous a fait cette confidence : " pour mes proches parents, je suis une vache à lait qui doit leur rapporter des cadeaux et les promener dans de belles voitures. Cela reste supportable tant que l'on vit à l'étranger, mais si l'on s'installe définitivement ici, on ne peut plus leur offrir des cadeaux et leur prêter de l'argent, alors ils se fâchent car ils me prennent pour un millionnaire ! "
Retour à cause des parents Autre lieu, autres jeunes revenus en Tunisie à cause de leurs parents qui prenaient leur retraite : deux frères de 15 et 17 ans ont dû réapprendre à vivre en fonction de leur environnement inédit, du côté de Denden, entre ville et banlieue, une petite agglomération qui a su garder une âme. Ils en parlent en ces termes : " c'est dur au début car il y a beaucoup de choses à prendre en considération, ne serait-ce que la langue... Alors on a été obligés de faire une sélection et de vivre dans une sorte de bulle, afin de nous retrouver à plusieurs et de pouvoir partager nos expériences avec des gens qui nous ressemblent ou qui ont une mentalité plus ouverte. "
Accepter la différence Le jeune homme le plus " tourmenté " que nous avons rencontré est rentré volontairement pour monter une petite entreprise informatique et ça marche plutôt bien pour lui. Ce qui le dérange, ce sont les préjugés : " en France on se mélange à partir de notre plus jeune âge : Français, Arabes, Noirs africains, Espagnols, Chinois... En Tunisie on a encore beaucoup de mal à accepter la différence. Il va falloir réaliser que le monde change et qu'il faut l'accepter. On n'est pas meilleurs que les autres et on est même loin d'être parfaits... " Une vision des choses que partagent de nombreux jeunes, notamment une jeune fille originaire du sud : " j'ai fait mes études en France et je sais que je ne serais jamais comme une vraie tunisienne... Pendant les vacances, tout le monde est gentil avec nous, mais le jour où on s'installe, on se retrouve hors du cadre social et familial, rejetés, étrangers dans notre propre pays. " Le problème peut être inattendu, comme c'est le cas de ce père de famille fatigué par la vie, et qui nous confie son problème : " moi j'ai vécu plus de quarante ans à l'étranger. J'ai deux garçons qui sont mariés et qui ont des enfants. Mon retour en Tunisie eut lieu il y a deux ans et je me sens bien. Mais le problème c'est qu'il n'y a pas d'avenir pour mes garçons, car ils ne parlent pas l'arabe. " Un jeune homme de 21 ans nous fera la même réflexion. Après une année d'installation en Tunisie, il est retourné de l'autre côté de la Méditerranée. Son problème c'était bien sûr la langue et la difficulté à trouver du travail. Mais il y avait aussi les relations avec les autres, des gens auxquels il n'a jamais pu s'adapter, bien qu'il ait déjà vécu en Tunisie lorsqu'il était plus jeune. Le mot qui est revenu le plus souvent dans la bouche de nos interlocuteurs, c'est celui de solidarité : " là-bas, si tu es dans le besoin, personne ne te regarde ni ne t'aide, surtout depuis la crise économique. Il vaut donc mieux vivre chez soi que dans le pays des autres où les gens n'ont pas de cœur... " Et d'ajouter " en Tunisie il y a une grande solidarité familiale, c'est plus convivial, en un mot plus humain... " La nationalité française, ils la gardent pour les facilités qu'elle donne lorsqu'ils voyagent : " c'est juste pour le confort à la douane, pour pouvoir passer plus facilement dans les aéroports. " Revenir au pays n'est donc pas chose aisée et les torts sont partagés de part et d'autres des deux rives de la Méditerranée. Il faut apprendre à mieux accepter ces jeunes qui sont souvent pleins de bonne volonté et d'amour pour un pays qui reste celui de leurs parents, celui de leurs racines profondes. Et tout le monde sait que sans racines, aucune vie n'est possible...