A moins que ce ne soit une autobiographie évidente et irrécusable aux yeux de tous ceux qui connaissent l'auteur, ce nouveau roman de Hassouna Mosbahi emprunte, à quelques exceptions près, le même thème rencontré dans cet autre beau roman de l'écrivain intitulé «Les hallucinations de Tarchiche », à savoir l'émigration qui prend l'aspect d'un long périple dans les ‘‘pays du froid'' pour finalement s'achever par un retour aux origines (le retour à Tarchiche ?). Ecrit à la manière des Mille et une Nuits dont le romancier semble très épris, « Les cendres de la vie » ne s'appuie pas, comme dans ces contes célèbres, sur un seul narrateur, mais sur deux. Il y a le narrateur initial, c'est-à-dire l'auteur qui s'éclipse derrière la troisième personne du singulier, et un autre narrateur, très connu dans certains pays arabes sous le nom d'El Fdaoui qui, celui-ci, manie avec art et subtilité des récits d'apparence rocambolesque mais qui nous amènent progressivement à la réalité, celle du héros central, Yassine, et, à travers lui, celle des Arabes en général et de la Tunisie en particulier. Incroyable talent que celui de Hassouna Mosbahi qui consiste à condenser en un roman mille et un contes tissés de sang noir et de mélancolies meurtrissantes. Des Califes bien Guidés, compagnons du Prophète, dont trois avaient été assassinés, en passant par Al Hajjaj Ibn Youssef face aux peuples de l'Irak ; Banou Abbas et le lynchage de quatre vingt dix éléments de la tribu des Banou Oummayya; Al Hallaj flagellé à mort ; Abou Tahar qui s'est déifié sur le pas même de la Kaaba; Mehdi Ibn Toumart; Ibn Zyed, etc. et jusqu'à l'exécution, un jour de fête religieuse d'un certain Saddam Hussein; mais bien auparavant, l'histoire de la Tunisie et de ses Beys tour à tour oppresseurs contre leur propre peuple et poltrons et couards sous le protectorat français, sans oublier un certain Ali Ben Ghdhahem et ses partisans faits prisonniers à El Karraka pour avoir tenté de tenir tête au colons dits protecteurs du pays; jusqu'à la Tunisie actuelle et ses littérateurs et ses intellectuels qui se dénigrent réciproquement et s'entredéchirent pour… un rien; sans perdre de vue ces nouveaux propagandistes d'un islam qu'ils veulent obscurantiste, ceux «ayant laissé pousser outre mesure leurs barbes, ayant enfilé d'amples jellabas, s'étant boudinés la tête de lourds turbans, ayant fait du monde une arène de guerre, et transformé le Coran en un livre exhortant au meurtre et au carnage » ; ni passer sous silence ces pauvres créatures rêvant d'une immigration clandestine au prix, souvent, de leur vie… Tantôt le narrateur initial, tantôt El Fdaoui, c'est mille et une nuits de la mélancolie auxquelles ils nous invitent le temps d'un spleen profond pour nous secouer de notre léthargie et nous permettre de braver les jours avec plus d'optimisme et de foi, tout comme Yassine qui, ayant perdu sa langue maternelle dans le froid germanique, est revenu au pays la retrouver telle quelle, mais petit à petit, non sans s'être épousseté d'abord des cendres de la vie. Mohamed TOUNSI (*) Editions Walidoff, 182 pages.