Le Temps : Pourquoi ce choix de l'all inclusive par nos hôteliers ? Salah Rajhi : L'all Inclusive en tant que variante de l'offre hôtelière a vu le jour aux Caraïbes au milieu des années 80, et ce pour des raisons de sécurité, vu le risque que les touristes pouvaient rencontrer en quittant leurs unités hôtelières (pickpocket, vols et même kidnapping). En Tunisie, ce type de produit s'est développé au début de la décennie passée pour faire face aux récessions dont le secteur a été victime en 2001 et 2002 et qui ont entraîné une baisse considérable du taux d'occupation surtout celui des marchés classiques (allemand, français et sud méditerranéen). La crise de l'euro a aussi influé sur le comportement d'un consommateur moyen cherchant de plus en plus la formule « tout inclus » à des prix attractifs. Le client d'hôtel payait en moyenne un 20-25% de plus du tarif hébergement classique en demi-pension pour les « extras » : boissons aux bars et aux restaurants, déjeuner à la carte, location du coffre-fort, celle des serviettes piscine, du frigo bar, du transat, des courts terrain de tennis etc…. Le « All Inclusive » lui offrait la possibilité d'économiser sur le coût de son voyage en réglant tous les services d'avance avant même de partir. Ceci a permis à nos hôteliers, en quête d'une meilleure rentabilité, de s'aligner sur la concurrence directe (Turquie, Egypte, Bulgarie) d'améliorer les taux d'occupations de leurs unités et d'augmenter leur chiffre d'affaire annuel. Quant aux charges, elles n'ont augmenté globalement que par le coût moyen en achats consommés des boissons et les charges supplémentaires des repas de midi et des snacks / goûter. Ceci a eu un effet très positif sur les RBE (Résultat Brut d'exploitation) réalisés surtout que les frais relatifs au personnel, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ont bel et bien diminué du fait qu'aux bars et aux restaurants, les services sont devenus sous forme d'un « self-service » et que les boissons n'étaient plus à la carte mais des boissons standards. Il y a des hôtels dont la formule all inclusive a doublé le RBE. Ne pensez-vous pas que cette formule n'offre pas souvent la qualité exigée ? Tout dépend de la promesse faite au client au niveau du descriptif de l'hôtel lors de l'achat de son séjour. La notion du service « attendu » est très importante. Une bonne partie des touristes est attirée par les prix attractifs du séjour en formule « all inclusive ». Cependant, une fois à l'hôtel ils deviennent exigeants. Au début, la situation était un peu difficile à gérer surtout au niveau de la qualité des boissons offertes mais aussi concernant les restrictions et conditions assez incohérentes mises en place par certains hôteliers inexpérimentés et contraints par les procédures administratives que devait subir le client. Ceci a énormément gâché l'atmosphère de détente qu'on devait offrir aux résidents. Je citerais par exemple le fait de limiter le nombre de consommations aux bars, les restrictions horaires, le fait d'exiger au client de signer les tickets, ou de porter un badge avec des codes à barres qu'on passait à la caisse à chaque consommation etc.…Certains se sont rapidement rendu compte (grâce à une bonne gestion) qu'il ne s'agissait que de mesures d'économie de bout de chandelle offrant un coût de « Non Qualité » dont les dégâts étaient beaucoup plus importants que les gains. Les touristes s'amusent à faire des comparaisons des différentes destinations et nous ne jugent pas assez bien sur ce point. Ils nous comparent généralement aux Caraïbes, à l'Espagne et à la Turquie. Ceci dit, des efforts ont été également faits par les producteurs des boissons locales et on voit de moins en moins de réclamations touchant leur qualité. Reste le côté ressources humaines, extrêmement important et sensible en matière de « qualité offerte ». Ce volet continue à être malheureusement un point faible, surtout pendant la haute saison avec le recrutement massif durant les mois de juin, juillet, août et septembre du staff composé de diplômés mais aussi des stagiaires voire des saisonniers pour les Bars et restaurants,. Ce staff, étant parfois mal encadré sur place (par le management et par leurs chefs de service), oublie de se conformer aux notions de base de service (Sourire, amabilité, empathie, disponibilité, rapidité, tenue vestimentaire etc..) et ce même sans pourboire ! Ce personnel doit toujours disposer de « tuteurs » responsables et qualifiés en permanence ! Peut-on dire que cette formule a tué l'hôtellerie classique et le para touristique? Je ne le pense pas. Soyons réalistes. Personnellement je ne me rappelle pas avoir vécu des réclamations ou des rassemblements de touristes criant à haute voix : « Redonnez-nous l'hôtellerie classique» ! Par contre le client réclame haut fort le manque d'amabilité, le café de mauvais goût, l'utilisation de l'eau de la bâche pour le thé et les jus ainsi que le manque de soin des détails, pain quotidien du management. Il s'agit tout simplement d'une mutation conjoncturelle imposée par un client de moins en moins aisé, qui, gérée avec intelligence, confiance, générosité, savoir-faire et finesse, ne fera qu'étoffer l'hôtellerie classique et non pas la tuer. Dans certaines destinations on a réussi à très bien le faire. II faut parfois s'autocritiquer, faire du « Benchmarking » bien pointu, se surpasser et les résultats seront là ! Donc, tout dépendra du « service offert » et surtout des qualités « Extrinsèques » qu'on associe au service ainsi que de la culture managériale qui le fixe et qui le supervise. Pour ce qui est du Para touristique, il y en a deux :1-Internes : à savoir les fournisseurs des hôtels assujettis aux impôts : dont le chiffre d'affaire ne fait qu'augmenter considérablement à cause de la hausse des consommations dans les hôtels (boissons, repas supplémentaires, vaisselles, couverts, linge, produits de nettoyage, augmentation du nombre des nuitées …), ce qui est bénéfique à notre économie. 2-Externes : Les prestataires de transports, de loisirs, restos cafés etc.….qui ont tiré la sonnette d'alarme au début, mais qu'aucun d'eux n'a encore déclaré faillite et qui ont su progressivement continuer à tirer leur épingle du jeu en générant des profits peut être moindres qu'auparavant mais pas aussi mal que ça !! Faut-il établir des normes de classification des clubs all inclusive ? Oui et d'urgence. Il faut exiger des hôteliers le respect des normes de base afin de remettre les Tours opérateurs en confiance. Ensuite, il faut un suivi minutieux des prestations offertes par le biais de visites inopinées, de l'envoi de clients mystères, de check list etc.… Quelques TO puissants le font et d'autres non. En cas de non-conformité des actions d' «amélioration continue » doivent être travaillées avec humilité. Des sanctions (auxquelles il faudrait bien réfléchir) s'en suivront en cas de récidives injustifiées. -Et si on supprime cette formule de notre paysage touristique ? Pourquoi changer la roue ronde par la roue carrée ? C'est comme si on demandait aux compagnies aériennes de supprimer le low-cost. et de ne programmer que des vols réguliers. La suppression de cette formule, nous portera un grand préjudice économique avec une baisse des nuitées hôtelières pour les quelques années à venir. Nous sommes dans un marché concurrentiel et nous ciblons une clientèle bien déterminée dont les habitudes ne pourront pas changer si rapidement du jour au lendemain. Aux Caraïbes les touristes sont satisfaits par le All inclusive. Ils y retournent et laissent un tarif moyen annuel dépassant les 100 $ par nuitée à l'hôtelier. Il faut savoir très bien s'adapter aux exigences du marché. Ce n'est qu'avec une bonne préparation, des procédures de travail claires, un management confiant et une stratégie d'amélioration continue permanente que nous pourrons offrir un produit « All Inclusive » de bonne qualité, compétitif et rentable pour tous.