Mardi dernier, c'était la 4ème fois que le griot africain Mory Kanté se produisait sur la scène de Carthage. Il chanta en malinké des airs connus sur la trahison en amour, sur les femmes africaines, sur la démocratie en Guinée, sur la pauvreté et la faim dans le monde et bien entendu il régala le public avec son tube de toujours « Yéké Yéké ». Personne parmi les spectateurs tunisiens ne comprenait les paroles de ces chansons. Parmi les quelques Africains noirs venus, avant-hier, applaudir Mory Kanté et danser sur sa musique métissée, pas un seul n'entendait un mot de son dialecte ghanéen. Au sein de la troupe du chanteur, même les deux belles choristes-danseuses qui répétaient pourtant les textes de ce dernier, n'en saisissaient grand-chose. En dépit de ce handicap, Mory Kanté et l'ensemble qui l'accompagnait sont parvenus à communier totalement avec les quelque 1500 spectateurs qui assistaient au concert. Spectacle fédérateur C'est que le groupe africain faisait prévaloir la langue universelle de la musique sur les dialectes locaux. Le spectacle de Moré Kanté se voulait, comme toujours, fédérateur, unificateur des hommes en dépit de leurs différences. Ce dessein humaniste justifie sans doute la clôture de la soirée par un au revoir émouvant que chanta dans plusieurs langues celui que la FAO désigna un jour comme l'un de ses ambassadeurs. Mory Kanté joua de son balafon ancestral et de la guitare électrique ; il dansa et chanta africain, américain, européen et un peu tunisien aussi ; sa troupe brassa à son tour les rythmes et concilia les styles ; le public lui-même se trémoussait à chaque air exécuté sans se soucier vraiment du type de danse qui s'accordait le mieux avec telle ou telle chanson. Le griot guinéen sut également lui faire répéter, à ce public généreux et enthousiaste en dépit de son nombre réduit, des bribes de malinké et des onomatopées étranges qui facilitèrent néanmoins la communication entre les artistes de la scène et les spectateurs des gradins. Le spectacle libéra finalement tout le monde et quasiment tous les corps ; ceux des enfants de six ans et ceux, magiquement revigorés, des plus de 50 ans. Il ne pouvait en être autrement face à (ou plutôt avec) ce Messie de la musique universelle qui pimenta un peu plus le spectacle en donnant libre cours à ses sympathiques et ingénieux instrumentistes et à ses choristes ô combien sensuelles pour que les uns et les autres improvisent les mélodies les plus emballantes et les déhanchements les plus suggestifs. Quelle merveilleuse soirée ils nous ont offerte ! Tant mieux pour nous autres qui étions là et tant pis pour ceux qui manquèrent un rendez-vous aussi exaltant et un spectacle d'une si haute qualité ! Badreddine BEN HENDA ------------------------- Les à-côtés *Mory Kanté était accompagné de 10 instrumentistes et de deux choristes-danseuses. Celles-ci, le trompettiste de la troupe et l'un des percussionnistes émergèrent du lot avec des « numéros » drôles et spectaculaires. *Le drapeau tunisien (une réplique en miniature) passa d'un musicien à l'autre mardi soir. Un bouquet de jasmin circula également entre les membres de la troupe composée dans sa majorité d'artistes noirs mais comptant aussi quelques musiciens blancs. Illustration supplémentaire de cette volonté unificatrice prônée par Mory Kanté et son ensemble. *Le fameux tube « Yéké Yéké » ne fut chanté qu'à la fin du spectacle. Il faut dire que du riche répertoire de Mory Kanté, le public présent ne retenait vraisemblablement que cet air mondialement connu. Même le présentateur du spectacle ne cita que cette chanson pour annoncer l'artiste. *Les journalistes purent, une fois n'est pas coutume, prendre place à l'intérieur de l'enceinte des chaises. Certains d'entre eux choisirent toutefois de rester sur les gradins pour mieux se mêler aux déhanchements de la foule en délire.