En 1958, le public découvre ce qui sera le film culte du cinéma arabe « Gare Centrale », film signé par un réalisateur au silence si entier qu'il frisait l'indifférence, voire un éloignement mortel pour ne pas parler de … mépris. Youssef Chahine est né dans une famille chrétienne d'Egypte (père et mère originaires du Liban). Son baccalauréat en poche, il quitte à 21 ans son Egypte natale pour aller étudier le cinéma du côté de Los Angeles… Cela le mènera aux cimes du succès puisqu'il obtient l'ours d'argent Grand Prix du jury au festival de Berlin pour son film « Alexandrie, pourquoi ? » en 1978 avant le Prix du cinquantième anniversaire du festival de Cannes pour l'ensemble de son œuvre en 1997. Mais c'est « Gare Centrale » qui demeure parmi une filmographie foisonnante (une quarantaine de longs métrages), l'œuvre qui marqua sa carrière et lui permit d'être reconnu comme l'un des grands cinéastes du XXè siècle. Ce qui n'aurait pu être qu'un simple fait divers, aller susciter l'engouement d'un public qui y percevra la représentation de plusieurs couches diverses du petit peuple qui trouvera dans cette gare un petit train auquel s'accrocher pour sortir des profondeurs désastreuses où il était cantonné ou mettre toute son énergie pour en faire la ville ou gîte et respect lui seront, enfin, accordés. Dans tous les cas, le but est le même. Cette gare ne porte pas son qualificatif par hasard puisqu'elle centralise les rêves et les déboires de tous ceux qui y ont élu domicile, d'une façon ou d'une autre. Parmi ce beau monde, il y a Kenaoui, un laissé pour compte recueilli par Medhbouli, le kiosquier de la gare. En une journée unique (comme au théâtre) ce vagabond solitaire, sans famille ni amis à part le brave Medhbouli, va vivre une passion qui le fera jeter dans l'univers de la folie furieuse. Il tombera amoureux de Hanouma, vendeuse de boissons clandestine, d'une beauté, d'un charme et d'un sex-appeal irrésistibles. Il rêve de l'épouser mais elle ne le trouve pas à son goût et lui préfère Abou Serib un porteur qui veut organiser un syndicat dans la gare. Frustré, boiteux, obsédé par un fait divers dont il découpe les articles qui le concernent et aveuglé par son penchant dévastateur pour la vendeuse de boissons gazeuses, Kanaoui tentera de la tuer mais il assassine une autre femme à sa place par mégarde… Kanaoui ne lâche pas pour autant son funeste projet. Il se saisit de Hannouma et tente de l'exécuter. Tous « les résidents » de la gare s'échinent à le détourner de sa terrible volonté mais rien n'y fit et il faudra attendre Medhbouli pour lui faire lâcher prise. Ce mélo social aux couleurs d'une période rongée par la misère, en fera pleurer plus d'un. Tout y est : amour, impossibilité d'aimer, militantisme, rêve d'émancipation, frustration et folie… Après « gare centrale », la sortie de chaque film de Chahine était attendue comme un message divin. Tous les cinéphiles l'attendaient avec impatience et des discussions, débats et désaccords les accompagnaient jusqu'à la sortie du prochain film. Je n'ai vraiment aimé – quant à moi – que « La terre » l'autre chef-d'œuvre de Chahine et ne prêtais que très peu d'intérêt aux « le vendeur des bagues », « le choix », « Le moineau », « Le retour de l'enfant prodigue », « L'émigré » et autres « Le destin ». « Gare centrale » demeurera jusqu'au bout le film qui marquera indélébilement la carrière de Chahine du sceau du succès.