Après des débuts prometteurs, les négociations sur la réforme des régimes de retraite ont marqué le pas. A l'heure où l'administration se déclare, à tout bout de champ, prête à reprendre le dialogue sur ce dossier d'actualité et à en accélérer la cadence, l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) marque un bémol. La centrale syndicale, qui s'était montrée favorable au relèvement de l' âge du départ à la retraite à 62 ans lors de sa commission administrative tenue en juillet dernier, semble avoir changé son fusil d'épaule. Elle boude depuis plus d'un mois les réunions avec les autres partenaires sociaux et pose le débat sur les causes réelles du déficit des caisses sociales comme préalable à la discussion du projet de réforme présenté par le gouvernement. La dernière réunion en date entre un comité ad hoc constitué par l'UGTT, composé de quatre membres du Bureau exécutif national (MM. Ridha Bouzriba, Abid Briki, Mohamed Chendoul et Mohamed Sehimi) et des représentants du ministre des Affaires Sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l'étranger remonte au 12 octobre dernier. Il s'agit de la deuxième réunion entre les deux parties depuis le démarrage des négociations, le 14 septembre dernier. Le calendrier initial des négociations prévoyait, pourtant, la tenue d'une réunion par semaine, au moins, entre les représentants des divers partenaires sociaux. Que cache, donc, ce revirement dans l'attitude de l'UGTT qui fut, pourtant, la première à avoir tiré la sonnette d'alarme sur la détérioration des équilibres financiers des caisses sociales il y a environ cinq ans ?
Considérations électorales
De nombreux observateurs avertis estiment qu'un «conflit syndical interne » serait derrière la nouvelle attitude de la centrale syndicale. «En ce moment, l'UGTT a d'autres chats à fouetter. Tous les regards sont, en effet, fixés sur le prochain congrès», note Belgacem Jomni, secrétaire général du syndicat des caisses de sécurité sociale, indiquant que les enjeux du congrès national, prévu en 2011, «ont relégué le débat sur la réforme des retraites au second plan». Les nombreux tenants de cette analyse estiment que la direction centrale syndicale chercherait visiblement à «gagner du temps et à reporter le débat sur la restauration des équilibres financiers des caisses sociales» jusqu'à la tenue du prochain congrès. La position initiale du Bureau exécutif de l'UGTT au sujet de la réforme des retraites semble corroborer cette thèse. «L'UGTT est prête à examiner toutes les propositions à même de pérenniser les régimes de retraite. Et c'est dans ce sens que les syndicalistes ne voient pas d'inconvénient à prolonger l'âge d'activité à 62 ans pour éviter de toucher de manière sensible aux cotisations», avait notamment déclaré M. Ridha Bouzriba secrétaire général adjoint de l'UGTT chargé de la couverture sociale, lors de la commission administrative nationale de l'organisation tenue en juillet dernier.
Solution globale et durable
Du côté de la direction de l'UGTT, on réfute catégoriquement la thèse selon laquelle l'attitude de l'organisation est guidée par des considérations électorales. «Nous avons tout simplement estimé qu'il est primordial d'identifier les causes réelles de la détérioration des équilibres financiers des deux caisses sociales avant de débattre des réformes à mettre en œuvre pour remonter la pente» précise, M. Bouzriba. Pour la centrale syndicale, les employés ne devraient pas subir seuls le poids de la réforme. «La recette prévoyant l'augmentation des cotisations et le prolongement de la durée de la vie active a été appliquée à plusieurs reprises sans donner les résultats escomptés », indique M. Bouzriba, notant que ces solutions «risquent d'avoir des répercussions néfastes sur le pouvoir d'achat et la santé physique et psychologique des salariés ». Selon lui, une solution globale et durable à la détérioration des équilibres financiers des caisses sociales passe par le traitement des causes profondes ayant conduit à l'apparition du « trou de la sécu». Parmi ces causes profondes du déficit constaté au niveau de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et de la Caisse Nationale de Retraite et de la Prévoyance Sociale (CNRPS), le responsable du département de la couverture sociale à l'UGTT cite «la mauvaise utilisation des ressources de ces deux caisses ( octroi de crédits sans garanties solides, octroi de pensions importantes à des personnes à revenus limités …etc) , la diffusion à large échelle des emplois précaires et l'octroi d'exonérations des cotisations sociales à un grand nombre d'employeurs dans le but de les inciter à investir». Le ministère des Affaires Sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l'étranger justifie, en revanche, la santé financière chancelante des deux caisses sociales par la baisse du ratio actifs/ retraités sous l'effet des facteurs démographiques. Il y a environ un peu plus d'une décennie, on comptait 6 actifs pour un retraité (Ndlr : les cotisations de 6 actifs financent la pension d'un retraité). Ce ratio est passé actuellement à 4 actifs pour un retraité, selon le ministère. En 2030, ce ratio devrait s'établir à 2,3 actifs seulement pour un retraité. Le ministère précise également que «la réforme se fera sur la base du consensus de la progressivité et du dialogue responsable avec les partenaires sociaux». Walid KHEFIFI
Et l'UTICA ?
Rien n'a encore filtré sur la position de l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA) relative à la reforme des retraites. L'organisation patronale s'est limitée à annoncer la mise en place d'un comité chargé d'étudier les propositions du gouvernement au sein de sa direction des affaires sociales, présidée par M. Hamadi Ben Sedrine. Une source proche du Bureau exécutif nous a, toutefois, révélé que «le projet de réforme aura certainement un impact négatif sur les employeurs puisque l'augmentation des cotisations entrainerait une hausse des coûts de production pour les entreprises». Il est à rappeler que le projet de réforme prévoit le relèvement de l'âge du départ à la retraite de 60 à 62 ans à partir de 2012. Entre 2016 et 2020, l'âge limite de l'activité devrait être porté à 65 ans. Le projet prévoit aussi une augmentation des cotisations sociales à la CNRPS de l'ordre de 5% entre 2012 et 2016 (3 % payés par l'Etat et 2 % par les salariés du secteur public). Pour la CNSS, l'augmentation sera de 3 %. (1,8 % versés par les employeurs et 1,2 % payés par les salariés du secteur privé) Entre 2016 et 2020, l'augmentation sera de 3% pour la CNRPS (1,8 % payés par l'Etat et 1,2 % par les salariés). Durant la même période, l'augmentation des cotisations versées à la CNSS sera de l'ordre de 4% (2,4 % versés par les employeurs et 1,6 % payés par les salariés du secteur privé).