Catherine Stoll Simon qui dirige la collection « Carnets de voyages » au sein des Editions Sahar, vient de publier ses « Carnets tunisiens » dans lesquels elle raconte sa vision de la Tunisie qu'elle a sillonnée du nord au sud. Avec le sud tunisien, où elle a élu domicile, c'est une grande histoire d'amour qu'elle raconte à travers ses œuvres littéraires et photographiques. Catherine Stoll Simon est également l'auteur de « Le cercle intime » (2000), « Goût de lumière » (2005), « Mise en être, poèmes ontologiques » (2006), « Si Mahmoud ou la renaissance d'Isabelle Eberhardt » (2007), et un projet de livre dont elle vient de nous souffler le titre : « De l'autre côté de la mer ». Catherine Stoll Simon revient aujourd'hui prendre sa part de nourriture de lumière dans son cher sud tunisien, avant de regagner la région parisienne où elle vit une grande partie de l'année. Nous avons eu le grand plaisir de la rencontrer. Entretien. Le Temps : vous êtes diplômée de littérature française et vous menez parallèlement une carrière dans la communication et le journalisme. Vous êtes également artiste plasticienne et poète. Que dire de ce parcours pluriel ? Catherine Stoll Simon : j'ai effectivement un itinéraire pluriel. D'abord, une carrière dans la communication et celle-ci reste toujours quelque chose d'inscrit en moi. De même, Il y a quelques années, je voulais être médecin ; c'est une vocation contrariée, car j'étais beaucoup plus performante en littérature qu'en sciences. Mais cette question de soin est toujours restée ancrée en moi. Du coup, j'ai repris un cursus de formation médicale et je suis devenue thérapeute psycho- corporelle. A ce titre j'essaie de ramener ceux qui viennent vers moi vers l'équilibre par rapport à la question du stress qui est très importante en France et ailleurs. Cela rejoint en quelque sorte le yoga et toutes les techniques asiatiques et orientales, relatives à la relaxation et la sophrologie. En ce qui concerne mes autres activités, je dirai qu'elles sont en sommeil. Ma Dernière exposition de photos, je l'ai organisée en 2007 à l'occasion du festival de Douz. Il faut dire qu'actuellement, je me consacre entièrement à l'écriture ; je suis comme une nomade dans les arts, je passe d'un moyen d'expression à l'autre. Vous avez publié récemment chez Sahar Editions, s'agit –il d'une première expérience avec un éditeur tunisien ? Mes deux derniers livres, ce sont les « Carnets tunisiens » parus d'abord en arabe chez Sahar (avril 2010), puis en français, au mois de décembre dernier. Ils avaient été traduits par Salah Edems. « Carnets tunisiens » est le premier volet d'une collection de carnets de voyages que je dirige actuellement chez Sahar Editions, une collection ouverte à tous les auteurs tunisiens et étrangers qui ont écrit des carnets de voyages, qu'ils soient accompagnés de photos, illustrations ou peintures. Ces ouvrages sont mes carnets de route depuis avril 2002, date de mon arrivée à Douz, puis Tunis, Bizerte, Le Kef, Mahdia. J'en ai fait, ces jours-ci, une première présentation au musée de Douz, puis à l'école normale supérieure, ensuite à la librairie Al Kitab de Tunis, et enfin, à l'espace Art-Libris au Kram. Le second livre, « Nomade je suis », est un regard croisé sur Douz, entre Noureddine Bettaieb (originaire de Douz et vivant à Tunis) qui voit Sa ville natale sous forme d'un éloignement, et moi l'étrangère, qui porte un regard différent sur Douz, un regard illustré de photos que j'ai réalisées moi-même lors de mes nombreuses pérégrinations. Ce texte ne cherche pas l'objectivité, ce n'est pas un guide, mais une approche très personnelle sur ce qu'a représenté ce regard sur mon itinéraire personnel depuis quelques années, car du coup, il y a un axe très philosophique qui s'y lit en filigrane. Il y a notamment une partie qui s'intitule « Le désert pour maître spirituel », c'est à dire, que le désert n'est pas seulement une source d'éblouissement esthétique, mais un espace de sacralité. Vous avez souvent décrit le désert comme « un refuge loin des blessures de la vie » ou « l'un des derniers ailleurs de la modernité ». Que dissimule cette histoire d'amour avec le désert ? Je suis depuis longtemps quelqu'un en quête d'absolu au delà du religieux. J'ai goûté à beaucoup de choses en termes de religion, étant moi même issue d'une famille très chrétienne. Ensuite, j'ai eu un intérêt très profond pour l'Islam. J'ai fréquenté les milieux soufis à Paris, j'ai lu les maîtres spirituels comme Jalaleddine Erroumi, Ibn Arabi, l'Emir Abdelkader. Aujourd'hui, j'ai orienté Cela m'a amenée à m'intéresser à la philosophie bouddhiste et à tout le champ des travaux scientifiques sur la conscience humaine. Le désert est aussi un espace pour approfondir cette question de retour à notre être essentiel. Il s'agit, pour moi, d'un espace qui permet de revenir à son être intime et de comprendre ce qui définit le moi. Notre être intime est comme recouvert par des couches successives qu'il faut déconstruire pour retrouver l'être nu, le vivant qui est en nous. Le désert agit par conséquent, comme catalyseur pour provoquer cette alchimie. Je pense par ailleurs, que la modernité c'est d'abord l'abondance de tout. Ce qui caractérise le désert, c'est la frugalité, le dénuement. Or, je crois que l'Occident fait courir à chacun le risque de se perdre dans cette abondance. Nous travaillons tous comme des fous pour courir après cette abondance. En sommes- nous plus heureux pour autant ? Rien n'est moins sûr ! Il y a urgence pour l'homme occidental et pour l'homme des villes en général, à ralentir son rythme, c'est un cadeau que nous offre le désert ; pouvoir ralentir. Lorsqu'on ralentit le rythme, nous sommes plus proches du vivant ; à nouveau le ciel est un ciel, la fleur est une fleur… je prends le temps de le connaître l'autre être en face de moi, dans sa complexité, fragilité et force …La vitesse efface la vie. Je crois que c'est un grand secret du désert, de nous ramener à la lenteur et donc, de nous placer à la source du vivant. Je considère le désert , comme un maître spirituel et comme une clef pour demain. Etes-vous à l'image d'Isabelle Eberhardt à laquelle vous avez consacré un livre « Si Mahmoud ou la renaissance d'Isabelle Eberhardt », tournant le dos à la civilisation pour aller vers cet ailleurs, seul capable de répondre à votre quête d'absolu ? Isabelle Eberhardt était une désenchantée de l'Occident, c'est à dire, qu'elle avait senti le virage que prenait l'Occident à la fin du 19 ème siècle vers le matérialisme. Moi, je pense qu'il y a aujourd'hui quelque chose à construire à nouveau en Occident, qu'il y a à faire advenir à chacun, une conscience nouvelle. Compte -tenu de la modernité qu'il y a aujourd'hui en Tunisie et qui s'impose de plus en plus, il n'y a plus à opposer Occident et Orient, c'est une distinction qui est devenue artificielle. Il y a seulement à opposer l'homme dans tous ses conditionnements qu'il soit d'Occident, d'Orient ou du Maghreb et l'homme éveillé, c'est à dire, celui qui est capable de retrouver son être profond et de se libérer de ses conditionnements. Propos recueillis par Sayda BEN ZINEB