La Révolution a abouti grâce à deux piliers porteurs : d'un côté les laissez – pour compte et les internautes. Il est donc dans l'ordre des choses que ces deux facteurs envahissent les champs de créativité artistique à court terme. Pour le petit peuple ce ne sera pas une innovation, il a toujours été plus ou moins présent malgré les aléas d'un pouvoir d'essence populaire, certes, mais qui a vite fait de se métamorphoser en ogre mangeur de sa propre progéniture… le champ du virtuel est, par contre, une nouveauté avec laquelle on ne peut pas ne pas composer. Le premier secteur culturel qui sera touché par les apports de la révolution est, en tenant compte de son essence d'art de « l'Ici et Maintenant », le théâtre. Si le petit peuple a été de toutes les sauces vers la fin des années 60 et durant toute la décennie 70 comme vecteur de remise en cause d'une bourgeoisie aux membres à peine développées, son espace d'investigation va être de plus en plus réduit pour finir par être réservé à quelques têtes « couronnées » du quatrième Art qui seront seuls à être dotés par une « licence » pour l'exploitation de ce filon (Parmi ces élus : Jaïbi, Mokdad, Nehdi et quelques autres). Le mouvement a commencé à s'essouffler à partir des années 80 et avec la venue à la tête de l'Etat de la Smala de Ben Ali, qui a surtout brillé par sa grande culture et la finesse incommensurable de son flair artistique, tout va être ramené au niveau des petites babioles chinoises qui ont envahi les trottoirs des villes et des villages. Le petit peuple est ramené à une fonction auto-destructrice qui est l'auto-critique primaire (pour ne pas dire primitive) qui ne fera que justifier le fait qu'il se trouve au fin fond des ténèbres et que cela n'est que justice. La carte du petit peuple ne paye plus. On se retourne alors de nouveau vers une bourgeoisie qui a creusé son petit bout de chemin depuis en ayant pris pour modèle l'exemple euro-américain. Mais cela ne peut tenir le coup trop longtemps et c'est au moment où les créateurs cherchaient du côté d'un soufisme mal ingurgité et d'un salafisme nouvel étendard de la résistance contre cet Etat qui les nourrissait tout en avalant leurs concurrents potentiels (surtout ceux issus des nouvelles générations) que, sans crier gare, la révolution a débarqué, arrêtant net toute recherche subalterne. Le théâtre a changé de scène et de propriétaire d'un coup. Les jeunes qui n'avaient le droit d'approcher les planches que s'ils étaient dans les bonnes grâces de leur vieux Caïds soixante huitards suceurs de cervelle et de sang, vont envahir les scènes d'Internet où ils n'auront ni Dieu ni Maîtres, ni commission de lecture, ni commission pour les subventions, ni aucune autre forme de censure morale ou matérielle. Musique, scénographie, chorégraphie et jeux de guignols ou de comédiens seront libérés de toute pesanteur et mettront à rude épreuve les discours surupeux et opportunistes de ceux qui – sous prétexte d'être opposants au pouvoir – ont fait main basse sur toute forme d'innovation théâtrale depuis quarante ans. On observe des liens qui sont en train de se tisser entre des plus ou moins jeunes comédiens et les nouvelles stars de la création sur Internet. On verra sûrement ces derniers occuper les devants de la scène alors que les autres passeront – si ce n'est déjà fait pour certains – les écrans infinis monde virtuel. Ce jeu dialectique va imposer ses rythmes. Un nouveau langage, des nouvelles morphologies, vont voir le jour. La majorité des pièces théâtres de la saison prochaine donneront dans le politique pur et dur. La privation ayant ses torts et ses travers, on s'attend quant à quelques bijoux au milieu d'une surproduction populiste. Mais cela ne vous fera pas trop mal. Nous étions habitués à mille fois, pire.