La Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH) a annoncé, hier, que les atteintes aux droits de l'Homme se sont poursuivies en Tunisie après le 14 janvier, date de l'effondrement du régime liberticide de Ben Ali. «L'ancien régime a été balayé par des mouvements de protestation populaires organisés autour des revendications de liberté, de justice et de dignité, mais les violations des droits de l'Homme se sont poursuivies après le départ de Ben Ali», a affirmé Me Abdessattar Ben Moussa, président de la ligue, au cours d'un conférence de presse organisée hier à Tunis, à l'occasion de la publication du rapport annuel 2011 de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme dans le monde. Citant notamment la répression des manifestants pacifiques, les arrestations arbitraires et les attaques virulentes contre les activistes des droits humains, Me Ben Moussa a estimé que la mission des défenseurs des droits de l'Homme en Tunisie sera désormais «plus difficile et très délicate». Et pour cause : l'Etat ne revendique plus le monopole de la répression et de la «criminalisation» des défenseurs des droits humains. Des partis politiques, des groupes religieux et même des lobbies financiers se sont engouffrés par la brèche ouverte par le vent de liberté qui souffle sur le pays pour taxer les gardiens du temple des libertés en général et les défenseurs des droits humains en particulier d'anti-nationalistes et les accuser d'être des espions étrangers, ou tout simplement d'être naïfs, élitistes, ou déconnectés de la réalité. « Il ya quelques semaines, je me suis trouvé sur le plateau d'une chaîne télévisée face à un dirigeant de la mouvance salafiste tunisienne qui affirmait sans détours que la démocratie est une hérésie et menaçait ouvertement de combattre ce qu'il qualifie de vices sociaux par le moyen de la prédication et le djihad», s'est inquiété le président de la LTDH.
Les syndicalistes et les féministes particulièrement visés
De son côté, Me Mondher Cherni, secrétaire général de l'Organisation de Lutte contre la Torture en Tunisie (OCTT), a noté que des détracteurs des militants des droits de l'Homme d'un nouveau genre ont pris la relève de l'Etat. « Après la révolution la répression policière et le harcèlement judicaire se sont presque estompés mais de nouveaux types d'intimidation sont apparus. Il s'agit essentiellement des campagnes de dénigrement orchestrées sur les médias ou sur les réseaux sociaux par des sectes religieuses ou des groupes de pression économiques», a-t-il précisé. Et d'ajouter: «les militants féministes et les syndicalistes sont particulièrement visés. Des lobbies d'affaires et des partis politiques au pouvoir vilipendent régulièrement les syndicalistes sous prétexte que la situation du pays ne tolère pas actuellement le déclenchement de grèves alors que les féministes, dont notamment les militantes de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates, sont la cible de certains extrémistes religieux». Me Cherni appelle de ses vœux, dans ce cadre, l'adoption d'un cadre règlementaire favorable aux activités des défenseurs des droits de l'Homme et l'abrogation systématique des lois qui limitent indûment les droits de la société civile. Par ailleurs, le rapport annuel 2011 de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme dans le monde dressé en collaboration avec la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH) et l'Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), appelle le gouvernement tunisien à démanteler de façon effective le corps de la police politique, qui continue d'opérer encore selon plusieurs rapports d'ONG tunisiennes crédibles. Intitulé «L'obstination du témoignage: les défenseurs plus que jamais menacés», le rapport souligne, toutefois, des avancées en matière de liberté d'association qui se manifestent notamment par la levée des restrictions sur les activités de la LTDH et du Conseil National pour les Libertés (CNLT). Walid KHEFIFI