Hier, dans l'après-midi, une vingtaine d'assistants contractuels ont manifesté devant le rectorat de l'université de la Manouba. Si le Secrétaire Général du rectorat, M. Imed Hdiri, a été compatissant et coopératif, le recteur, M. Chokri Mabkhout était d'une humeur maussade et a intimé, sur un ton intransigeant, les doctorants et les docteurs à quitter les lieux. Comme nous l'avons précédemment annoncé dans notre dernier numéro, ce sit-in protestataire n'est qu'un maillon d'une chaîne syndicaliste nationale de la part de plus de 6000 assistants contractuels. Une cascade qui a commencé depuis le début du mois de février et qui atteindra son paroxysme le 28 du même mois devant le ministère de l'Enseignement supérieur. Gardant leur calme, après l'intervention du recteur, jugée «blessante» et «humiliante» par les enseignants, les assistants contractuels ont affiché des banderoles résumant leurs revendications. Ces laissés-pour-compte de l'enseignement supérieur, réclament la régularisation de leur situation et de leur statut, la couverture sociale, un contrat en bonne et due forme qui soit renouvelé automatiquement durant les quatre ans de leur exercice.
Enseigner dans la galère
Aucune motivation notoire. Les salaires ne sont versés que chaque 6 mois ou plus. Pour cette année, ils auraient dû être payés depuis le mois de décembre. On est à la mi-février, toujours rien. A chaque fois, on leur promet que c'est pour bientôt. Ils paieraient de leurs propres poches les photocopies et les recherches à faire pour leurs étudiants. Comble de l'ironie, après quatre ans de bons et loyaux services, ils sont mis à la porte, si jamais leur thèse n'est pas achevée ou même pis encore ! Sur place, nous avons rencontré des docteurs qui ont eu leur doctorat mais n'ont malheureusement pas eu le «privilège» d'avoir l'assistanat. Aujourd'hui, ils sont à leur quatrième et dernier contrat, et si jamais les choses ne changent pas, ils seront au chômage ! Malgré leur Bac plus 8 ou 9 et les 4 années d'enseignement, des enfants à charge, ils sont tout simplement congédiés.
Néziha Mesbeh, Doctoresse en sociologie, 42 ans, mariée et deux enfants «Je suis doctoresse avec 7 ans d'expérience dans l'enseignement supérieur, et je suis menacée de chômage l'an prochain !
«Notre situation va de mal en pis. Non seulement, nous avons une thèse à préparer, des cours à préparer, des examens à corriger, des surveillances à effectuer, mais en plus des concours à la limite inaccessibles à passer pour pouvoir avoir un statut fixe et être titularisé ! Aujourd'hui, j'ai 42 ans t je suis mère de famille. J'ai eu mon Doctorat il y a deux ans et pourtant, je suis menacée de chômage l'an prochain ! J'ai passé deux fois le concours d'assistanat ; or vu le nombre de candidats et les postes accessibles, ce n'est pas demain la veille qu'on le réussisse. N'en parlons pas des conditions dans lesquelles on passe le concours ! Un jury qui nous donne rendez-vous à 13h et qui ne vient qu'à 16h au beau milieu du mois de juillet ! Des docteurs venant de toutes les régions auxquels ont demandé de revenir le lendemain et j'en passe. Cette année, il n'y a même pas de postes de maîtres assistants. Avec mon doctorat et 7 ans d'expériences dans l'enseignement supérieur, je suis exposée à l'inactivité !
Baysem Trimèche, Juriste, doctorante, spécialité Droits de l'Homme «Notre dignités est beaucoup rapetissée !»
«Je suis juriste et j'enseigne les Droits de l'Homme. Je suis à mon troisième contrat. Notre problème dans cette spécialité, c'est que l'on n'a pas le droit d'avoir un contrat annuel, contrairement aux autres disciplines. C'est désolant dans un pays où l'on parle de l'instauration des Droits de l'Homme et de la paix dans les programmes scolaires et universitaires ! On me contacte au début de l'année en me parlant de contrat annuel. Au second semestre, on m'annonce que les 6 premiers mois ne seront considérés que comme vacation ! Pour la question du paiement, c'est une autre paire de manche. Voilà maintenant un an et demi que j'attends toujours ma paie du premier semestre de l'année universitaire 2010. D'ailleurs, même pour le premier semestre de cette année, on attend encore nos salaires ! Tout le monde a été payé, sauf les assistants contractuels de l'ISAMM ! La lenteur et la fainéantise administrative en est la raison! Est-ce dans des conditions pareilles que l'on pourra poursuivre notre recherche et se donner corps et âme dans notre tâche d'enseignant ? Notre dignité est beaucoup rapetissée ! On est tout de même de gens qui ont sacrifié leur vie à leurs études, on des familles à charge ! On a besoin d'être respecté !»
Walid, doctorant et assistant contractuel à l'ISAMM «Nous travaillons sans couverture sociale ! Est-ce plausible et rassurant ?»
«Dans notre discipline, on ne peut avoir qu'un demi contrat. Du coup, on ne peut pas être couvert. Pourtant, sur les salaires que l'on a, on nous enlève tous les impôts. On est considéré comme faisant partie du travail public en ce qui concerne les charges, mais on ne peut avoir les mêmes droits à commencer par le contrat ou la couverture sociale comme tout employé de la fonction publique. Avec mon Bac plus 7, je travaille dans la précarité, dans l'insécurité, si jamais il m'arrive un malheur, je ne serais indemnisé. On n'a même pas de carnet de soin ! On est réellement démotivé. Si un doctorant ou un docteur est traité de la sorte, il ne faut pas s'étonner que la qualité de l'enseignement soit en chute ! C'est frustrant ! On ne peut même pas avancer dans notre recherche. On a besoin de moyens pour le faire. On nous prive de la bourse, on nous paye avec des mois de retard, on n'a pas de couverture sociale ! Comment arrivera-t-on à achever nos thèses dans ces conditions ? il faut que ça change !»
Une élite à la quête de la dignité
Les manifestants étaient tout ce dont la nouvelle Tunisie pourrait être fière. Des jeunes, âgés entre 24 et 40 ans, ayant à leur actif un minimum de Bac plus 6, des thésards, des docteurs en ingénierie, en Multimédias, en informatique et des juristes. Et pourtant ! Aucun statut professionnel digne de leurs compétences intellectuelles et pédagogiques. Le flou autour de leur situation, ils ne sont ni assistants, ni chercheurs, ni contractuels, est outrancier et inexplicable. Cette ambiguïté frustre notre élite et la déstabilise dans la poursuite de sa recherche. Le secrétaire général du syndicat des assistants contractuels de Tunis, Karim Kammoun, nous explique : «Il est impératif aujourd'hui que la situation des assistants contractuels soit réhabilitée. On réclame un statut précis et clair pour pouvoir travailler dans les règles de l'art. Il n'est plus excusable qu'un doctorant ou docteur soit menacé de chômage après quatre ans d'enseignement supérieur. Nous avons tout tenté avec le ministère depuis 5 mois. Aucune réponse ne nous est parvenue. Nous sommes passés à la vitesse supérieure mais toujours de manière pacifiste et civique. Nos revendications sont légitimes. On demande à être payé à temps. On a besoin de nos salaires pour poursuivre notre recherche et pour vivre. Nous avons aussi le droit d'avoir des contrats de travail réels, dignes et respectueux de la loi de tout fonctionnaire étatique. Il est impératif aussi que tout assistant contractuel soit titularisé après les 4 contrats car c'est illégitime qu'un thésard ou docteur soit au chômage, quatre ans plus tard! On fera une manifestation nationale le 28 février devant le ministère de l'Enseignement supérieur. On sera des milliers d'assistants contractuels venus de toute la Tunisie réclamer notre droit la dignité. » Durant une heure de temps, les chercheurs ont manifesté en silence dans le hall du rectorat de la Manouba, affichant leurs revendications. L'arrivée du Secrétaire général du rectorat de la Manouba, M. M. Imed Hidri a été un souffle d'espoir. Durant plus de trente minutes, ce dernier s'est entretenu avec les assistants contractuels. Sur un ton compatissant, compréhensif et sérieux, M. Imed Hidri a su entendre et se faire entendre par les présents, tentant de trouver une solution à cette élite marginalisée. Coup de théâtre, et pendant que les discussions allaient bon train, on entendit une voix qui surgit de nulle part, intimant aux présents de quitter les lieux et d'aller quémander leurs besoins ailleurs que dans le hall du rectorat. En vérifiant, il s'est avéré que c'était le recteur de l'université de la Manouba en personne ! Sur un ton sarcastique et hautain, il a ordonné les manifestants de porter leur litanie au ministère de l'Enseignement supérieur parce qu'ils dérangeaient, selon lui, le travail de l'administration… Outrés et indignés, les enseignants poursuivirent leur débat avec le Secrétaire général, tout en demandant au recteur de respecter les éducateurs qu'ils sont.