Le gouvernement français aborde les législatives dans une composition qui tranche nettement avec la pratique politique traditionnelle du parti socialiste. L'équipe de Jean-Marc Ayrault est le reflet de la complexité politique, culturelle et ethnique de la société française telle que François Hollande veut la mettre en avant. La nomination au gouvernement, à côté des ministres « Français de souche », de Valls l'Espagnol, Filippetti l'Italienne, le Breton Jean-Yves Le Drian, les Guadeloupéens George Pau-Langevin et Victor Lurel, Benguigui l'Algérienne, Christiane Taubira la Guyanaise, et Fleur Pellerin la sud-coréenne, montre un souci, au-delà de la compétence reconnue, de la réhabilitation des « origines ».
Mettre au gouvernement de la France une équipe multiculturelle, c'est confronter le pays profond avec l'image réelle de la société française. Longtemps travaillée par des campagnes nauséabondes contre l'étranger, le foulard et la burqa, l'opinion est mise face à son image réelle telle que composée par l'intégration de populations différentes dans le tissu social français. Par-delà le dosage politique entre mitterrandiens, jospinistes, deloristes, strauss-kahniens et écologistes, nécessaire à l'équilibre d'une coalition politique dessinée pour vaincre les prochaines législatives, la décision du couple Hollande-Ayrault de mettre en avant des hommes et des femmes issus d'origines diverses, mais tous unis dans et par les valeurs de la République, consacre l'ouverture d'une ère nouvelle dans la politique française.
Cette dimension multiculturelle de la France a longtemps été niée, marginalisée, refoulée, et même combattue et stigmatisée. Ce ne sont pas uniquement les prises de positions et les discours du Front national depuis plus de trente ans qui l'attestent, mais c'est aussi le dévoiement de la droite républicaine lors de la dernière campagne présidentielle lorsqu'elle a adopté les thématiques de l'extrême droite rejetant sur l'Autre tous les maux de la société (chômage, délinquance, violence, crise) qui le confirme. Alors que la France est le premier pays d'Europe en termes de mariages mixtes, et qu'une large partie de sa population vient de l'Outre-mer, certains politiques n'ont cessé de développer un discours xénophobe, islamophobe et raciste à l'encontre de leurs concitoyens.
François Hollande a donc choisi la rupture, une rupture tranquille. Chrétiens, juifs, musulmans, agnostiques, athées cohabitent dans son premier gouvernement. Ce geste politique engage la France dans la restauration des idéaux des Lumières et de l'universalité des droits de l'homme. Les mois qui s'ouvrent nous diront à quel point l'opinion française est perméable à cette offre politique.
Trois figures gouvernementales illustrent ce virage. D'abord, Christiane Taubira la guyanaise, qui fait l'objet, depuis sa nomination, d'une attaque sans merci de la part de la droite et de ses thuriféraires. Après Rachida Dati, c'est la seconde Garde des sceaux « issue de la diversité ». Mais c'est surtout l'ancienne indépendantiste qui réclamait le divorce d'avec la France qui se retrouve à la tête d'un ministère régalien. N'oublions pas que son nom est lié à la fameuse loi du 10 mai 2001 qui reconnaît l'esclavage et la traite des noirs comme crime contre l'humanité. Et c'est cette dimension humaniste et républicaine qui se dégage de sa nomination.
La seconde figure est celle de Najat Vallaud- Belkacem. Par sa nomination en tant que porte-parole du gouvernement, François Hollande consacre l'idée, sans la claironner mais de façon magistrale, que la société française est désormais multiculturelle. Sa voix vient d'ailleurs. NVB a été naturalisée à l'âge de 18 ans. Franco-marocaine moderne, issue d'une famille musulmane laïque, elle a choisi la France. Son choix au poste de porte-parole est d'autant plus significatif qu'elle est, en plus, en charge des droits de la femme…française.
La dernière figure est celle du sémillant Arnaud Montebourg, compagnon de la journaliste martiniquaise Audrey Pulvar. C'est probablement lui qui illustre le plus ce que Montaigne appelait « la substantifique moelle » du Français multiculturel. Comme sa collègue du gouvernement Marisol Touraine, fille du sociologue Alain Touraine, dont la mère est chilienne, lui descend d'une mère algérienne dont la mère est… normande. Cette mixité génétique est aussi culturelle. Le soir du 6 mai, une vidéo a fait le buzz sur le Net montrant Arnauld Montebourg en compagnie de femmes en costume kabyle dansant et festoyant la victoire de la gauche.
Le parti socialiste semble emboîter le pas de Hollande en réservant 25 postes éligibles à des personnalités « issues de la diversité » sur les listes électorales. L'Assemblée sortante est quasi « blanche ». Cela montre la volonté de s'ouvrir à d'autres richesses et de bénéficier, par la même, du vote de communautés longtemps désemparées et qui constituent un réservoir de voix pour la gauche.
Toutefois, en politique ce ne sont pas les revirements qui manquent. Sarkozy, lui aussi, a promu la diversité avant de la renvoyer et de lepéniser son discours. Attendons pour voir comment cet attirail novateur va évoluer au grès des crises et des soubresauts de la vie politique. De notre correspondant permanant à Paris : Zine Elabidine HAMDA