Voici un chiffre que l'on pourra difficilement contester, tant il est proche de la réalité. On le doit à un économiste chevronné, enseignant depuis de longues années à la fac et très respecté par des collègues. Il affirme, sous couvert de l'anonymat car il ne veut pas avoir d'ennuis, que « les prix ont augmenté de 15% durant le mois de Ramadhan, malgré les promesses et les effets d'annonce des responsables de ce secteur. »
Et un petit tour dans nos marchés, dans la vraie vie, celle des ménagères de tous âges et de toutes conditions, loin des bureaux climatisés, confirme ce chiffre. Bien sûr, il y a quelques produits dont le prix a été officiellement bloqué et qui résistent à cette tendance inflationniste. Mais les 15% annoncés par notre économiste semblent bien réels...
Bien sûr, on vous dira que les brigades de contrôle économique, relevant de la direction, ont enregistré tel nombre d'infractions par ci, par là... Des infractions qui touchent aux domaines des fruits et légumes, des œufs et volailles, des viandes rouges, des boulangeries ou de l'alimentation générale. Des irrégularités qui touchent aux balances trafiquées, aux denrées périmées qui sont généralement confisquées, aux défauts d'étiquettes...
Bizarrement on n'a jamais entendu de communiqué affirmant que certains profitent de Ramadhan pour jouer sur l'offre et la demande, ni que des commerçants vendaient des produits plus cher que la norme et faisaient des bénéfices scandaleux, aux dépens des pauvres citoyens.
Quelques exemples pris au hasard : le poisson d'élevage, dont les stocks sont disponibles toute l'année et qui ne dépend pas de l'état de la mer, est injecté sur le marché par petites doses, afin de maintenir ses prix le plus haut possible. Le pain standard n'est fabriqué qu'en toutes petites quantités, alors que le pain « spécial », qui coûte deux ou trois fois celui des baguettes classiques, remplit les paniers des boulangers. D'ailleurs on a constaté une prolifération de boulangeries, pâtisseries dans diverses villes du pays, ce qui ne peut se faire avec le pain « normal », à 190 Millimes la baguette.
Un dernier mot sur un phénomène qui n'est pas nouveau, mais qui a proliféré cette année : le soir, juste avant la rupture du jeûne, vous trouvez un grand nombre de personnes installées aux terrasses de cafés. Ce sont en général d'hommes âgés de condition modeste, de jeunes dont la famille est restée là-bas, dans le village, ou d'adultes aux revenus si modestes qu'ils ne peuvent pas se payer un vrai repas. Ils vont juste prendre un café crème et attendre que les vendeurs de sandwichs sur brouettes, avec des œufs durs assaisonnés d'harissa ou de merguez grillés, fassent leur apparition pour se nourrir plus ou moins correctement.
Ces vendeurs de sandwichs merguez, eux-mêmes désargentés, ont envahi les rues de Tunis, du Passage à Bab Souika, en passant par la station de bus de Bab El Khadhra. La viande de ces merguez, vendus 200 Millimes pièce, est bien sûr de la viande d'âne, beaucoup moins chère que le veau et le mouton. Et bien sûr, pas de fruits, pas de légumes, pas de yaourt.
Une situation pénible qui se passe au vu et au su de tout le monde, dans l'indifférence générale !