A l'occasion de la Journée internationale des Droits de l'Homme, l'Organisation tunisienne contre la torture, présidée par Me. Radhia Nasraoui, a organisé une conférence de presse sous le thème : «La lutte contre l'impunité». C'est en la présence du Secrétaire général de l'OMCT (Organisation mondiale de lutte contre la torture), M. Eric Sottas d'universitaires en sciences juridiques, militants, de militants et d'experts à l'instar de Dr. Ben Nasser, Dr. Hatem Achech, M. Bechir Ferchichi ou encore le Pr. Mondher Cherni, que la question de l'impunité en Tunisie a été décortiquée. Le décret loi 106 : zones d'ombre Lors des allocutions des intervenants, le décret loi 106 a soulevé beaucoup critiques. En effet, ce dernier a été promulgué et adopté la veille des élections, le 22 octobre 2011. La nuit du silence électoral. Une date que certains des présents critiquent pour son extrême sensibilité et jugent déplacée. Les conférenciers se posent d'ailleurs la question quant au choix de ce timing et laissent entendre qu'il y aurait anguille sous roche. Les experts ont, certes, énuméré les points forts du décret loi 106 et certaines rectifications dont il a fait l'objet, comme la suppression radicale de l'article 61Bis qui ciblait, du temps de l'ancien régime, les anciens militants. Ils ont souligné, néanmoins, les défaillances quant à la torture e sorte que ces dernières contribuent, indirectement, à exhorter à l'impunité. Juges et experts en jurisprudence ont insisté sur la valeur judiciaire du décret loi 106 en termes de respectabilité des conventions internationales et des droits de l'Homme. C'est aussi le cas du décret de loi 105. Toujours selon les intervenants, ces deux décrets présentent plusieurs lacunes légales et serviraient de portail pour laisser passer l'impunité. C'est dans ce sens-là que l'un des conférenciers reproche à la Société civile de ne pas dénoncer comme il se doit le manquement en termes d'impunité quant aux affaires de torture. Viol à la matraque, cas réels après la révolution On croyait ou rêvait de croire que les atteintes aux droits de l'Homme et les pratiques policières tortionnaires ont été bel et bien enterrées avec le régime dictatorial déchu. Or, les témoignages poignants qui ont été le sujet de la seconde séance de la conférence de presse de la lutte contre l'impunité, tire la sonnette d'alarme et prouvent, que les violations de l'Homme en sa dignité physique et psychiques jalonnent toujours notre système. Certes, ceux qui détiennent le pouvoir, aujourd'hui, sont d'anciens militants, d'anciennes victimes et ont purgé leurs peines durant des décennies dans des cellules sous la torture et les viols. Ce passé houleux et noir n'a pas empêché, malgré tout, la perpétuation de ces pratiques de nos jours. La violence, l'agression physique et le viol sévissent encore. Les auteurs sont toujours les mêmes et font partie du corps policier. Voici deux témoignages : Mongia Ferjani «Il s'agit de mon beau-frère, Ridha Riahi (31 ans, cuisinier). Il a été arrêté et violé alors qu'il n'a même pas assisté au sit-in qui a eu lieu à Dkhila (gouvernorat de la Manouba) le 23 aout 2012. Un sit-in pacifique qui a duré un mois et qui a eu lieu contre un investisseur tunisien. Les représentants de l'ANC et l'Etat étaient venus et ont promis de trouver une solution à ces jeunes chômeurs. Quelques jours plus tard, à 1h du matin, les agents de l'ordre sont entrés en force chez nous et ont kidnappé Ridha tout en le tabassant devant nous tous. Après quoi, ils l'ont pendu à l'arbre du terrain de l'investisseur, l'ont dévêtis, l'ont tabassé. Au final ils l'ont violé à la matraque. Ils étaient 4 agents de police. Après deux jours d'arrestation et de violence, on l'a transféré à Bouchoucha où on a refusé de l'accepter vu l'état dégradé de sa santé. Ils l'ont pris à l'hôpital de Charles Nicolle pour recevoir des soins. Mais les policiers lui ont confisqué le certificat médical l'ont menacé de relater ce qui lui est arrivé rajoutant qu'ils ont les bras longs pour le condamner à vie. Nous avons porté plainte mais mon beau-frère demeure toujours arrêté. » Latifa Riahi «Mon fils a été ligoté et séquestré. On l'a obligé à signer, mains menottées un document et dont il ignore le contenu» «Mon fils a été cruellement traité par les agents de police ! Pourtant, il n'a pas été dans la région quand le sit-in a eu lieu. Il était attaché. On l'a ligoté, puis séquestré et on l'a obligé de signer, mains menottées, un document qu'il ne voyait même pas. Il a été arrêté devant l'hôpital alors qu'il amenait son père handicapé pour sa séance quotidienne de massage. Il est toujours en détention. Même son certificat médical lui a été confisqué par les agents de police qui l'ont escorté à l'hôpital afin qu'il ne porte pas plainte contre eux. Jusqu'à présent, je ne sais pas quel sort l'attend et j'ignore comment le traite-t-on. C'est pire que ce qui se passait quand Ben Ali était au pouvoir ! De quelle révolution et dignité humaine peut-on se targuer aujourd'hui ??» «Le décret loi 106 doit rendre le crime de torture imprescriptible !» Radhia Nasraoui : «La justice ne remplit convenablement pas son rôle quant à la question d'impunité.» Le Temps : Où en est la Tunisie en termes d'application des droits de l'Homme et de la lutte contre l'impunité ? Radhia Nasraoui : On n'a pas encore mis fin à l'impunité en Tunisie puisque les plaintes qui ont été déposées, il y a longtemps, après le 14 janvier, se rapportant aux nouveaux cas de torture n'ont pas été toutes enquêtées. Nous avons, également, remarqué, que de manière générale, il n'y a pas d'arrestation pour ceux qui ont été soupçonnés de torture. Pourtant, les deux policiers auteurs du viol contre la jeune fille ont bien été arrêtés Il y a eu l'arrestation des deux violeurs de la jeune fille, chose que nous considérons positive. Il y a aussi l'arrestation des flics qui ont été soupçonnés d'avoir torturé à mort Abderraouf Khammassi. Donc vous voyez que c'est uniquement dans les cas les plus graves et difficiles. La médiatisation en est pour quelque chose mais, il faut le dire, les deux flics qui ont violé Mariem ont bien été arrêté avant que l'affaire ne soit médiatisée. Il faut bien le reconnaitre. Quel rôle joue la justice, selon vous, aujourd'hui, face aux soucis de l'impunité ? La justice n'est pas en train d'assumer ses responsabilités comme il se doit. L parquet renvoie, pas mal de fois, les plaintes pour enquête au poste de police où la victime a été torturée. Chose qui est inacceptable, parce que comment peut-on charger les policiers, où parfois ceux qui sont auteurs du crime de torture et leurs collègues, de faire l'enquête honnêtement et sans subjectivité ! Normalement c'est aux juges d'instruction de se charger de ce genre de plainte ! Ils sont les seuls à pouvoir être neutres et objectifs. En tant que militante des droits de l'Homme, comment vous expliquez l'usage d'armes interdits sur les émeutiers de Siliana ? L'usage de ces armes est infondé et absurde ! C'est un crime envers des êtres humains. Cette violence excessive est insensée. Il y a des procédures à suivre avant de passer à une étape aussi cruelle contre les manifestants. Pour disperser les émeutiers, il y a des étapes. On ne doit pas utiliser directement les armes ! Et quelles armes ! Les blessés seront éternellement marqués parce que ces armes se dispersent dans le corps et se divisent en mille particules. Les victimes de Siliana ne guériront jamais ! Comment l'Etat et la justice tunisienne peuvent-ils rendre à ces victimes leurs droits et punir les auteurs ? A mon avis, il faudrait qu'il y ait une enquête sérieuse. Que les gens qui ont donné l'ordre de tirer sur les citoyens et ceux qui ont appliqué cet ordre soient punis et passent en justice ! Ils doivent être jugés ! Il y a une violation des textes de loi ! Je ne parlerai pas des droits internationaux ou des conventions. Je parle de la loi tunisienne qui exige qu'il y ait une procédure avant de tirer ! Et encore ! On peut disperser la foule en parlant à haute voix avec un haut-parleur, ensuite avec de l'eau chaude. Au pire des cas, du gaz lacrymogène mais pas intensivement et des tirs en l'air ! De plus, il faut que ceux qui appellent les émeutiers à partir soient en tenue officielle. On n'est de même pas en guerre pour tirer sur les gens comme ça ! C'est criminel ! Revenons à l'impunité. Quelles sont les défaillances du décret loi 106 ? D'abord, il est inadmissible que le crime de torture soit prescriptible 15 ans après l'acte de torture. Il faut qu'il devienne imprescriptible ! Cela a été bien calculé parce que ceci arrange beaucoup de personnes qui ont été auteurs de crimes de torture sous Bourguiba et sous Ben Ali. Ceux qui ont été torturés durant les années 90 ne peuvent pas porter plainte aujourd'hui et c'est insensé et injuste!