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Les «Salafistes jihadistes» n'ont pas d'avenir en Tunisie et la vraie menace vient des «ligues de protection de la révolution»
L'invité du dimanche Alaya Allani, chercheur à la Faculté des lettres et des humanités, spécialiste des mouvements islamistes
Publié dans Le Temps le 23 - 12 - 2012

Il est enseignant chercheur à la faculté des lettres et des humanités de la Manouba spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb. Nous l'avons invité pour vous pour jeter de la lumière sur l'opération terroriste de Kasserine qui a coûté la vis à l'un de nos vaillants gardes frontières et nous éclairer sur le « Jihadisme » dans notre pays et dans la région.
Dans le premier cadre, il nous a édifiés sur les affinités existant entre « Ennahdha » et les « Salafistes », ce qui serait de nature de nous permettre de mieux nous représenter le paysage social et politique.
Le Temps : quelle est la réalité des groupes armés qui viennent d'être appréhendés sur nos frontières ouest ?
Mr Allani : suivant des informations, il y a l'empreinte de « Al Qaïda », en ce sens qu'il est probable qu'ils en soient les cellules endormies, on ne peut pas être très affirmatif là-dessus, car les investigations ne l'ont pas encore prouvé. Par contre, ce qui est sûr c'est que ces groupes terroristes ont voulu profiter de la grève générale du 13 décembre dernier décrétée par l'UGTT dix jours avant cette date comme l'exige la loi. Alors, ils ont vu dans cette durée une grande opportunité pour réaliser une opération armée, ils s'attendaient à ce que le pays soit embrasé et les forces de l'ordre soient occupées par la protection des établissements publics, ce qui leur offrirait un terrain favorable. Selon des rapports non officiels, ils seraient partis de la Tunisie vers l'Algérie et non pas le contraire. Des armes introduites à partir de la Libye seraient en leur possession après la chute de Kadhafi, le ministre de l'intérieur tunisien en a parlé lors des événements de « Bir Ali Ben Kalifa », il a précisé que des quantités de ces armes restaient, encore, introuvables. Ces groupes, qui auraient des relations avec les « Salafistes jihadistes » en Tunisie, étaient sur le point de passer à l'Algérie à travers Kasserine pour acheminer ces armes vers le nord du Mali.
La nature et la culture font de la Tunisie
un pays farouche à l'extrémisme
Vous pensez qu'ils pourraient traverser le territoire algérien sans encombre ?
L'organisation de « Al Qaïda au Maghreb islamique » repose sur des émirats, l'un est installé dans les maquilles de la Kabylie, l'autre à l'est du côté de Constantine, Skikda et Tébessa qui est sur nos frontières, le troisième au sud où se trouvent les « phalanges des masqués » et le quatrième, qui vient d'être créé, à l'ouest. Donc, ces groupes auraient prévu de faire transiter par l'est et le sud algériens les armes en provenance de la Tunisie vers le nord du Mali.
Et comment est la situation dans cette région ?
Les groupes armés qui l'occupent veulent déménager à cause de la menace très sérieuse que représente la force de frappe africaine constituée de 3500 soldats qui menace d'une intervention militaire, mais l'Algérie, dont la stratégie consiste à jouer la carte des négociations, s'y est opposée. Elle mise sur ce moyen pour trouver une solution avec ces organisations « jihadistes » qui cherchent un endroit sécurisé qui pourrait être entre le Mali et le Niger, et il faut se rappeler qu'il existe des difficultés logistiques pour surveiller les frontières dans cette région saharienne immense. Et quand on parle de ces groupes, on ne doit pas oublier « Al Qaïda au Maghreb islamique » constituée en 2007 est qui une organisation, essentiellement, algérienne, puisqu'il s'agit, en fait, de l'ex « Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat ». 90% des chefs de cette organisation paramilitaire qui a annoncée, la même année de sa conversion, sa loyauté à « Al Qaïda » sont devenus les nouveaux maîtres de la nouvelle structure maghrébine et dont le chef est « Abou Mossab Abdelwadoud » qui en a pris les commandes à l'âge de 30 ans. Leur financement provient des rançons qu'ils perçoivent contre la libération des otages étrangers, de la contrebande d'alcool, de drogues... C'est là où réside l'influence financière des émirs qui connaissent, parfois, des conflits et dont l'un vient de démissionner, il s'agit du dénommé « Abou Abbas », celui de la « phalange des masqués » qui a déclaré qu'il se rendrait aux autorités algériennes qui profiteraient de la grande quantité d'informations sur « Al Qaïda ». Toutefois, ces données sont à prendre avec une certaine réserve, car celle-ci change, constamment, de tactiques, elle n'a ni une direction centrale, ni institutions. Elle est contre la constitution d'un Etat et l'installation dans des régions urbaines, ils ont refusé de fonder un émirat quand on le leur a proposé. Ils vivent de contrebandes et de luttes et s'adonnent même au trafic d'armes : ils en vendent à l'opposition soit au soudan, soit au Tchad. Leur qualification des Etats Unis de « grand Satan » est un slogan creux, la vérité c'est qu'ils se disputent le pouvoir, il existe entre eux un conflit d'intérêt. Donc, comme vous le voyez, « Al Qaïda n'est pas une organisation qui défend les principes religieux, elle est infiltrée par les organes d'espionnage américains, européens et même arabes, par exemple, l'Algérie a ses antennes au Mali et ceci est tout à fait normal et légitime. Par conséquent, une infime minorité des composantes de « AlQaïda » pourrait être indépendante.
Des « Salafistes jihadistes » tunisiens seraient les complices de « Al Qaïda »
On comprend à travers ce que vous venez de dire que la Tunisie est une passoire en direction du nord du Mali.
Il n'existe pas en Tunisie une infrastructure favorable au terrorisme, j'entends par là l'absence de terrain vallonné approprié et de climat intellectuel permettant la propagation des idées « salafistes ». Les « jihadistes » de « Al Qaïda » en sont parfaitement conscients, ils savent très bien que la Tunisie manque de zones montagneuses pouvant leur servir d'abris, ce qui ne pourrait en faire un centre d'attraction et de stabilité. Leur nombre aussi est insignifiant. Des rapports en recensent quelques dizaines, dans les meilleurs des cas, ces cellules endormies ne dépasseraient pas les 30 individus, mais pourraient-ils collaborer avec les « Salafistes jihadistes» ? C'est une question qui reste posée, les enquêtes vont déterminer la nature de ceux qu'on vient d'arrêter. Les journaux parlent de l'arrestation de personnes appartenant à ces groupes à Béja et à Jendouba impliqués dans cette relation avec « Al Qaïda » qui, visiblement, travaille sur deux vitesses : elle a ses propres membres et les partisans qui lui assurent le ravitaillement en nourriture et leur fournissent les informations nécessaires pour leur faciliter le déplacement d'une région vers une autre. Tous ces éléments militent en faveur de la thèse selon laquelle notre pays ne peut être qu'une passoire et jamais une base pour ces groupes terroristes. Cela se vérifie par les déclarations de « Abou Iyadh » qui dit que la Tunisie est une terre de prédication et non pas de jihad.
Est-il vrai que l'Occident nous envoie des fondamentalistes religieux qu'il hébergeait à travers l'organisation d'un mouvement migratoire inverse ?
Je prends cette version avec toute réserve, cependant, je crois que, jusqu'à maintenant, les Occidentaux ne projettent pas de pousser la Tunisie dans une grande spirale d'instabilité. Peut-être qu'ils ont une autre conception relative à l'avenir du régime politique, et en particulier, les Américains parmi eux auraient une préférence pour un pouvoir varié où l'Islam modéré aurait une place sans être majoritaire. Personnellement, je pense qu'aux prochaines élections le parti de « Ennahdha » ne dépasserait pas le seuil des 25% des suffrages, et par conséquent, le gouvernement serait composé de cette composante et des forces centristes telles que « Nida Tounes », « Al Jomhouri », quelques courants nationalistes et de gauche d'une manière limitée. Voilà l'image que voudrait instaurer l'Occident en Tunisie dont il fait un laboratoire pour l'ensemble des révolutions dans la région arabe, c'est un laboratoire surveillé de près par les Européens et les Américains et dans lequel ils étudient la cohabitation entre l'Islam politique et les forces libérales, ils veulent savoir si la démocratisation du premier pourrait avoir lieu. Le choix a porté sur la Tunisie, parce que l'expérience des Islamistes a atteint une année, contrairement à l'Egypte et la Libye. De plus, notre pays présente une harmonie au niveau ethnique, culturel et religieux, ces atouts favorisent l'accès des Islamistes au système démocratique. Donc, les Occidentaux tiennent à savoir si l'Islam politique est compatible ou pas avec la démocratie ? De mon côté, je considère qu'au regard de cette expérience d'une année cette compatibilité reste difficile à réaliser, peut-être qu'il le soit dans l'avenir, mais le bilan actuel nous laisse sceptiques. Je parle d'Islamisme et non pas d'Islam, car, lui, il a fait ses preuves à travers les réformateurs tunisiens et égyptiens de la fin du 19ème et du début du 20ème où le monde arabe était arriéré, ce qui a favorisé sa colonisation par les puissances européennes. Ces réformateurs parlaient de la nécessité d'emprunter à l'Occident son savoir et ses règles relatives à l'organisation politique, et les voix se sont élevées pour réclamer la limitation et la séparation des pouvoirs tout en prétendant que cela ne s'opposait pas à l'Islam qui est venu défendre les intérêts des hommes. Ils réclamaient des principes et des droits et développaient des idées progressistes qu'on appelle, aujourd'hui, le système démocratique et dont on trouve les traces dans la déclaration des droits de l'homme universels. Parmi les réformateurs tunisiens, plusieurs étaient des « Zeitouniens », c'est la preuve que l'Islam légitime l'ouverture sur les civilisations et qu'il a une vision moderniste de la culture. Ce sont les vrais « Salafistes » qui n'étaient pas fanatiques et qui ont participé au mouvement de libération nationale, mais ceux qui existent, maintenant, sont les « néo-salafistes », exactement, comme les néoconservateurs aux Etats Unis, ils n'ont rien à voir avec nos ancêtres. La plupart d'entre eux n'ont ni culture religieuse, ni culture jurisprudentielle profonde, ils viennent de milieux déshérités et marginalisés, aussi, ne peuvent-ils pas constituer une école de pensée.
Le « Salafisme» et l'Islam politique sont importés de l'Orient
Existe-il des différences entre nos « Salafistes » et ceux de l'Orient ?
La référence intellectuelle des « Salafistes » tunisiens se trouve en Arabie Saoudite et en Egypte, elle est alimentée, principalement, par le « Wahabisme ». L'orateur et théoricien « Al Idrissi » de Sidi Bouzid dont la formation est très modeste ne représente aucune référence pour eux. Ce qui nous permet de dire que le courant « salafiste » en Tunisie est importé et n'a pas de rapport avec celui du 19ème siècle où le qualificatif n'était pas péjoratif et signifiait le retour aux sources de la religion. Il existait les « Salafistes éclairés » et les « Salafistes conservateurs » et la plupart d'entre eux étaient apolitiques. L'islam local tunisien n'a pas de conflit avec les Soufis, ni avec les idées réformatrices. En 1803, le bey de la Tunisie a rejeté une demande provenant de Mohamed Abdelwahab et dans laquelle il le sollicitait d'inscrire notre pays dans le courant « Wahhabiste ».
Quand ce que vous appelez le «néo-salafisme» est-il apparu en Tunisie ?
Sa première apparition était timide avec un acte terroriste isolé perpétré dans des hôtels à Sousse et au Monastir, en 1986, à l'occasion de l'anniversaire de Bourguiba et où Mahrez Boudagga et Boulbaba Dekhil, les présumés auteurs de ces crimes, étaient condamnés à mort. Cette organisation et d'autres, qui accomplissaient des opérations isolées et limitées, étaient presque absentes de la scène islamique qui était dominée par « Al Ittijah Al Islami », l'ancêtre de « Ennahdha ». A l'époque de Ben Ali, ces organisations se sont, à nouveau, manifestées en 2002 à « Al Ghriba » de Djerba et en 2007 à Soliman, ce qui veut dire que la fréquence des opérations de « Al Qaïda » était lente. On en conclut que la Tunisie était le cercle le plus faible, ce qui pourrait s'expliquer par la politique intransigeante à l'égard de ces extrémistes, mais en Algérie et ailleurs, c'était pareil et pourtant ils ont pu s'implanter. En réalité, ce qui les a empêchés de prendre racine chez nous c'est, comme je vous l'ai dit, l'absence de maquilles et d'assise fanatique, la nature et la culture assume une double fonction : elles sont un handicap pour eux et un rempart pour nous. L'opération qu'ils viennent de commettre sur nos frontières avec l'Algérie est favorisée par la conjoncture, elle est l'une des retombées de la situation qui sévit en Libye, et si nous n'avions pas une forte sécurité, les dégâts auraient été pires. Toutefois, le gouvernement actuel devrait revoir, partiellement, ses plans sécuritaires et moderniser son matériel militaire et logistique, car l'agent qu'on vient d'assassiner ne portait pas de gilet pare-balle et les équipements ne sont pas assez développés. Les législations, également, devraient être révisées en vue de garantir les droits des forces de l'ordre d'autant plus qu'on vient de découvrir que les primes de 10d qu'ils perçoivent sont insignifiantes, elles datent des années soixante. Il est inconcevable qu'un agent s'aventure et se sacrifie pour la patrie et que la collectivité nationale ne lui rende pas la pareille en récompensant ses efforts.
Quelle est la taille du « jihadisme » en Tunisie?
Leur nombre est trop amplifié et leur importance trop exagérée, alors que d'après un rapport officiel rendu public par Mr Touhami Amdouni, il deux mois, les « Salafistes scientifiques » sont de l'ordre de 3000 individus et le « Salafisme jihadiste » compte, seulement, 800 membres dans ses rangs. Malgré les attaques commises, notre pays n'est pas vu comme un modèle par les dirigeants de « Al Qaïda » ? C'est ce qu'a affirmé « Addawahri » quand « Ennaddha » a décidé de ne pas intégrer la « charia » dans la constitution, il a considéré que les Islamistes en Tunisie ont dévié de la voie de l'Islam authentique. Et même si « Ennahdha » avait adopté la « charia », « Al Qaïda » ne penserait pas faire de notre pays une base arrière. Au niveau du Maghreb, cette organisation, dont les Algériens constituent 90% des membres, connaît une refonte : les mouvements « jihadistes » dans ce pays émettent des avis d'évaluation et procèdent à des révisions au niveau de leur manière de penser. De son côté, le président Bouteflika a ouvert la porte à ce qu'on appelle la réconciliation nationale. Toute cette agitation touchant le corps a, à coup sûr, un impact sur les membres dont la Tunisie. La Libye représenterait un avenir pour ces mouvements « jihadistes », et la récente décision prise par son gouvernement de fermer ses frontières avec quatre pays africains montre que les responsables libyens ont pressenti le danger, en fait, ils étaient avertis par le mouvement du va-et-vient des personnes et des marchandises. Je pense que les 950 km de nos frontières avec l'Algérie sont bien gardées, alors que les 450 avec la Libye ne le sont que d'un seul côté, le nôtre. D'ailleurs, deux jours après l'attaque de Kasserine, une voiture chargée d'armes était entrée dans notre territoire par Remada. Le danger que représente « Al Qaïda » dans notre pays plane toujours, car cette organisation ne demande l'avis de personne quand elle décide de commettre un acte terroriste, et son action pourrait toucher même des pays européens comme on a vu à Madrid, par exemple.
L'approche sécuritaire seule n'est pas capable d'éradiquer le danger du « Salafisme »
Existe-t-il des moyens de prévention contre ce fléau, selon vous ?
Si. Tout d'abord, il faut commencer par bien connaître le paysage « salafiste » en Tunisie qui est constitué, comme on le sait, du « Salafisme scientifique » et du « Salafisme jihadiste ». Les revendications des premiers consistent dans l'application de la charia et l'instauration de l'Etat islamique même sur des étapes. Sa foi en la démocratie reste très faible, et il croit que le « jihadisme » est une affaire de quelques uns qui combattraient pour toute la nation (fardh kifaya), et là, on trouve des recoupements avec « Ennahdha » sur lesquels nous reviendrons. Le « Salafisme jihadiste » revendique l'établissement immédiat d'un grand Etat islamique qui ressemblerait au khalifat, il considère que les régimes démocratiques sont infidèles, puisqu'ils ne sont pas bâtis sur la loi divine, et c'est pourquoi « Abou Iyadh » a refusé de créer un parti. D'autre part, pour lui, le « jihadisme » est obligatoire pour tout musulman (fardh ayn), ce qui veut dire que les 11 millions de Tunisiens sont dans l'obligation de le faire et dont on devrait, toutefois, en extraire les femmes, car pour ce type d'extrémisme le jihad est une affaire de mâles. L'influence exercée sur les « Jihadistes » tunisiens par les chaînes de télévision est assez importante, les prêches des cheiks saoudiens et égyptiens, dont certains ont rendu des visites à notre pays après la Révolution, ont occasionné des dégâts. Le prédicateur « wahabite » Béchir Ben Hassen qui était invité au palais de Carthage dans le cadre d'un dialogue organisé par le président de la République avec ce courant « salafiste », a prononcé son prêche et puis il est parti. Ce prêcheur est connu par ses positions vis-à-vis de la femme qui ne doit pas, selon lui, aller d'une ville à une autre sans être accompagnée. Ce sont des idées qui nous sont, totalement, étrangères, elles nous viennent du Sahara saoudien. Il existe un moyen très efficace pour lutter contre le danger que représentent ces fondamentalistes. On peut procéder comme les Algériens qui ont développé le sud limitrophe du nord du malien et amélioré le niveau de vie de ses habitants, car il ne faut pas oublier que la plupart d'entre eux sont issus de milieux défavorisés qui constituent un terrain fertile pour le terrorisme. L'approche sécuritaire seule ne résout pas le problème, elle devrait être doublée d'approches sociale, culturelle...
Donc, vous ne croyez pas que les « Salafistes » représentent un vrai danger ?
Il faut savoir qu'il ya de faux « Salafistes » qui seraient embrigadés par certains éléments de l'ancien régime et qui sont impliqués dans les agressions et les attaques contre des personnes et des institutions. Ces derniers ne trouveraient plus un terrain favorable pour mener des actions déstabilisatrices le jour où on réussirait à récupérer ces extrémistes. Les « Salafistes » en Tunisie ne sont pas nombreux et ne sont pas tous agressifs et il est possible de les récupérer et de les persuader de rester en dehors de la sphère de la violence. Par contre, ceux qui représentent une vraie menace ce sont les « ligues de protection de la révolution », et personnellement, je ne comprends pas pourquoi « Ennahdha » refuse de les dissoudre. Ces groupes violents risquent fort d'entraver le processus démocratique en perturbant les prochaines élections, c'est pourquoi j'adresse un appel à la société civile de s'unir afin de leur barrer la route.
Vous avez parlé d'affinités entre le « jihadisme scientifique » et « Ennahdha », pouvez-vous nous éclairer davantage sur cette question ?
Ils sont l'un et l'autre importés, et « Ennahdha » n'aura pas d'avenir, s'il n'est pas « tunisifié ». Ce ne sont pas les « Frères » qui vont changer le destin de ce pays qui a, toujours, été réfractaire à tous les mouvements étrangers et l'histoire est édifiante à ce propos : les Fatimides n'ont pas réussi à y fonder un Etat chiite, les Kharijites de même et ils étaient obligés de s'installer ailleurs et de réaliser leur projet dans un Etat voisin (les Idrissides). La Tunisie n'a connu, à travers l'histoire, qu'un seul Islam : l'Islam modéré qui a, toujours, respecté la nature humaine, il a une empreinte locale. Les Berbères ont adopté l'Islam en l'an 50 de l'hégire avant même l'Egypte et plusieurs autres pays et c'est à cette époque qu'a été construite la mosquée « Okba », c'est-à-dire 30 ans après le décès du prophète. Nos ancêtres aghlabides avaient du respect pour la femme, ils ont refusé un second mariage à un abbaside qui s'est marié avec une femme des leurs et qui n'a pu se remarier qu'à la mort de cette dernière. Alors que les « Salafistes » et certains leaders de « Ennahdha » veulent revoir le code du statut personnel en matière de monogamie, ils prônent, ardemment, la polygamie. Donc, ce ne sont pas ces « néo-salafistes », ni ces néo-islamistes qui vont nous apprendre l'Islam. Notre pays n'est pas saharien, mais côtier, ce qui lui a permis d'accueillir plusieurs civilisations qui se sont fondées en lui depuis Carthage. Notre géographie et notre histoire rejettent l'enfermement et préconisent l'ouverture, la tolérance et le droit à la différence. Jamais en Tunisie la religion ne s'est mêlée à la politique, ni n'a essayé d'avoir la mainmise sur ce domaine, il existait une complémentarité entre elles, mais chacune d'entre elles gardait son indépendance à l'égard de l'autre. Donc, comme nous le voyons, l'Islam politique pose, actuellement, une question qui n'a jamais été évoquée à travers l'histoire. Ghannouchi prétend que tous les secteurs de la vie doivent avoir une référence religieuse, selon lui, la foi doit intervenir pour régler la vie des gens. Cette conception de Hassen el Banna, qui risque d'engager le pays dans une turbulence, échouera même si elle est supportée par les Américains et les Européens, elle ne réussira ni en Egypte, ni en Tunisie.
La base idéologique de «Ennahdha» est antidémocratique et flirte avec le « Salafisme »
Vous insinuez, alors, que les Islamistes dans les deux pays partagent les mêmes options.
Il est vrai qu'il existe une légère démarcation des Islamistes tunisiens vis-à-vis des « Frères » égyptiens concernant la nécessité de s'organiser en parti politique dont ces derniers n'ont été convaincus que récemment et da la laïcité procédurale à propos de laquelle Ghannouchi dit qu'elle ne s'oppose pas avec la religion, et là, il parle de la laïcité anglo-saxon, qui n'intervient pas dans la religion ni positivement, ni négativement, et non pas française qui est proche de l'athéisme. La différence entre les deux parties bien que minime est une réalité, et peu importe que cette ouverture soit tactique ou stratégique, car en politique, ce qui compte c'est l'état de fait. En dépit de ses relectures positives de certaines questions, Ghannouchi ne peut pas se départir de ses convictions relatives à la nécessité d'amalgamer religion et politique, ses efforts restent insuffisants.
Partagez-vous le point de vue qui dit que le parti de « Ennahdha » est divisé et qu'il est « salafiste » à la base?
Le problème chez « Ennahdha » c'est le double langage, il n'y a pas de concordance entre quelques uns de ses leaders, d'un côté, et la base et certains de ses dirigeants, de l'autre, qui divisent la société tunisienne entre laïcs et islamistes pareillement que les « Salafistes » qui la découpent en deux, infidèles et islamistes. Cette manière de concevoir la société reste une menace tant que ces parties ne sont pas convaincues de la notion de citoyenneté. « Ennahdha » a voulu neutraliser «les « Salafistes » et fermait les yeux sur leurs agressions contre des individus et leurs attaques musclées contre des établissements publics et privés, Ghannouchi les considérait comme leurs enfants et évitait de les affronter jusqu'aux événements de l'ambassade américaine. Cela laisse entendre que le sang des Tunisiens est beaucoup moins cher que celui des étrangers. « Ennahdha » a accordé le visa à trois partis « Salafistes » et à un parti islamiste radical (Attahrir) qui n'ont croient, aucunement, ni au régime républicain, ni à la démocratie, prétextant qu'il vaudrait mieux qu'ils travaillent sous le projecteur que dans l'ombre. Cependant, ces partis « salafistes » ne représentent aucun poids, et je prétends que s'ils participaient aux élections, ils n'obtiendraient pas plus que 6% des voix. Leur vraie force se trouve dans les associations dominées, principalement, par « Abou Iyadh », pour les « Jihadistes », et « Béchir Ben Hassen », pour les « scientifiques »
La vraie force des «Salafistes» réside
dans les associations
Pensez-vous que « Ennahdha » a évolué sur le plan idéologique vers la démocratie ?
Je pense qu'ils voteront tous pour « Ennahdha » comme les « Salafistes » égyptiens qui ont donné leurs voix à Morsi et se sont coalisés avec lui à l'occasion du référendum sur la constitution. C'est pourquoi, après les événements de l'Ambassade et de « Douar Hicher », Ghannouchi a envoyé ses émissaires, Ellouze et Chourou, aux « Salafistes », il veut désamorcer la crise entre eux. Il y a un autre indice politique : selon certains journaux, Hamadi Jebali a organisé des consultations avec vingt parties politiques en vue de l'élargissement du gouvernement, mais aucune d'entre elles n'a accepté la proposition. Ce qui veut dire qu'il ne reste que les « Salafistes » pour « Ennahdha » dont une large partie de sa base partage les idées des premiers. Cela s'explique aisément lorsqu'on se rappelle que lors de son dernier congrès, le parti au pouvoir n'a pas touché à la base idéologique qui flirte, beaucoup, avec celle des « Salafistes », il n'a fait que réimprimer l'ancien règlement qui est, complètement, éloigné de la pensée démocratique qu'il adopte, seulement, au niveau du discours. Ils disent que si le texte s'oppose à la raison, c'est lui qui l'emporterait, ce qui est une négation pure et simple de la démocratie. Il se peut que « Ennahdha » n'ait pas changé sa base idéologique pour ne pas choquer les « Salafistes » qui risquent le la traiter comme infidèle si jamais elle faisait correspondre cette base à son discours politique ouvert. Cette ambiguïté a occasionné, une grande appréhension dans certains milieux, vu qu'on ne sait pas quelle est la vraie idéologie de « Ennahdha ».

Interview conduite par Faouzi Ksibi


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