Comme les deux vagabonds de la pièce de Samuel Beckett, qui ont en vain attendu Godot, censé leur apporter un espoir de changement, le justiciable attend avec impatience, de voir enfin une Justice indépendante, qui défendrait au mieux ses droits et sauvegarderait l'intérêt du pays. Finalement c'est le justiciable qui écope, car il ne voit rien venir pour l'instant. Les hommes de Justice, quant à eux, oeuvrent depuis la Révolution à faire le ménage dans leur maison, dans l'intérêt de l'indépendance de la magistrature, et dans le but de redorer la blason du pouvoir judiciaire, qui a souffert de l'ingérence de l'exécutif, alors que ces deux pouvoirs sont censés, avec le pouvoir législatif assurer l'équilibre démocratique auquel ils sont tenus, comme l'a affirmé Montesquieu, de travailler de concert dans l'intérêt général. Durant l'ancien régime, les magistrats, régis par un statut particulier, étaient sous la direction du conseil supérieur de la magistrature, présidé par le chef de l'Etat. Dans cette structure, l'ingérence de l'exécutif dans le domaine de la Justice était flagrante, le président de la République intervenant souvent dans le domaine de la magistrature, aussi bien pour des problèmes relatifs aux juges eux-mêmes, qu'à ceux concernant certaines affaires à caractère particulier. C'est la raison pour laquelle un projet de loi a été soumis depuis quelques mois à la Constituante, en vue de la création d'un instance provisoire de la magistrature, qui remplacerait le fameux conseil supérieur de la magistrature, et mettrait fin par là même à tous les abus et les dépassements dans le domaine judiciaire. En effet, avec une structure judiciaire indépendante, le magistrat ne sera lié désormais que par la loi, qu'il est tenu d'appliquer avec toute impartialité et en son âme et conscience. Mais depuis, ledit projet de loi soumis à la Constituante, a fait l'objet de réserves concernant notamment sa composition, prévue à l'article 6, laquelle constituerait selon certains, une entrave à l'indépendance judiciaire, et ce par la nomination de membres n'appartenant pas au corps judiciaire. Jamais plus grande polémique, n'a été autant suscitée, que par l'article 6 au sein de la Constituante. Cet article qui prévoit dans la composition de ladite instance, outre des magistrats désignés (5) ou élus (10) d'autres membres choisis en dehors du domaine de la magistrature. C'est ce qui a soulevé un tollé, notamment parmi les hommes de la Justice, qui tiennent à ce que cette instance soit constituée uniquement par les pros du domaine, et ne tolèrent aucunement qu'un étranger à la maison puisse gérer leurs affaires. Ingérence ou enrichissement ? Le syndicat ainsi que l'association de la magistrature ont commencé par défendre cette thèse à l'unisson et de manière catégorique, ne tolérant la, présence d'aucun membre étranger à la magistrature dans une instance qui les concerne de près. «On voit mal qu'un étranger au domaine de la magistrature, puisse se prononcer au sein de l'instance, à l'occasion concernant la nomination, l'avancement, la mutation ou la sanction d'un magistrat» a soutenu Raoudha Laâbidi, à plusieurs reprises. Cependant que certains autres membres de la composante civile estiment que la participation à la dite instance, de certaines autres personnes étrangères au domaine de la magistrature, constituerait plutôt un enrichissement, et contribuerait mieux à l'épanouissement du domaine judicaire. Ce qui consoliderait davantage, l'autonomie de la loi et par là même l'indépendance de la magistrature. C'est l'avis notamment de Ahmed Rahmouni, lui-même magistrat et président de l'observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature. Polémique allant crescendo Cette attitude a mené à la grève des magistrats, décrétée à deux reprises, et dont la dernière observée le 28 mars dernier a enregistré un taux de réussite de 100%. Le blocage reste toujours total, et les membres de l'assemblée n'ont pas avancé d'un iota depuis. Toutefois l'attitude de l'association des magistrats a enregistré ces derniers temps un revirement par rapport à celle du syndicat. En effet, Kalthoum Kennou, présidente de l'association, a proposé, que les membres désignés en dehors du domaine de la magistrature peuvent être remplacés par deux juges du tribunal administratif, et deux autres de la cour des comptes, ajoutant concernant les sanctions, on pourrait confier à l'inspecteur général le soin d'y faire opposition devant le tribunal administratif. Ce qui garantirait en plus le principe de la transparence dans les affaires disciplinaires, affirma-t-elle. La grève sera-t-elle largement suivie ? Quant à Raoudha Laâbidi, sa position n'a pas changé d'un iota. Pas de membre étranger au secteur judiciaire au sein d'une instance, à laquelle sera confié le sort des magistrats. De ce fait elle a incité à l'observation de deux jours de grève qui commencera aujourd'hui. Elle a ajouté que les juges iront, à l'occasion de cette grève jusqu'à cesser toute activité, consistant notamment à traiter les affaires en cours, rendre des décisions, ou faire le compte rendu des jugements. Pour sa part Klathoum Kennou, n'est pas d'accord cette fois-ci pour observer une grève, comme elle l'a annoncé hier, le plus important selon elle est d'accélérer l'adoption par la Constituante de la loi portant création de l'instance tant attendue. Et l'intérêt du justiciable ? En l'occurrence, c'est finalement le justiciable qui est le plus lésé. C'est ce dernier qui a le plus souffert de l'absence de l'indépendance de la magistrature. La justice est le reflet du degré d'épanouissement de la société, et du système pratiqué par ceux qui gouvernent. L'indépendance du magistrat en est tributaire. Plus il y a de dictature, plus les magistrats seront enclins aux abus et à la corruption. Mettre fin à celle-ci à tout prix est le but qu'il faut se fixer, pour la consolidation d'une justice indépendante, et la préservation des droits humains.