Toute la Tunisie a retenu son souffle le 19 mai dernier, à l'occasion de la tenue à Kairouan, du très controversé troisième Meeting d'Ansar Achariaa, un groupuscule salafiste interdit, qui est parvenu quand même à réunir ses disciples à deux reprises par le passé. Campant sur des positions, idéologiquement antirépublicaines et antidémocratiques, et faisant fi de toutes les législations positives ante et post révolutionnaires, le groupuscule a tenu la dragée haute au pouvoir en place, accusé de connivence vis- à -vis de la mouvance salafiste du temps du gouvernement Jebali et de son Laarayedh de vizir. Entretemps, un juge qualifié, d'indépendant et d'intègre, pris ses quartiers à la fourmilière du ministère de l'Intérieur, déterminé à redorer un blason terni par la gestion chaotique de son prédécesseur ,et les luttes intestines voire fratricides au sein de ce département dont l'opacité n'a jamais été déflorée, même pas, après la révolution. La confrontation devint alors inévitable. Les salafistes, la crête dressée, déchainés, et dont les velléités takfiristes et les agressions au quotidien se font au nez et à la barbe de la police. Ceux- là payèrent, même, un lourd tribut avec le lâche assassinat du policier Sboui, un père de famille, accusé, séance tenante, d'être un impie, et dont le seul tort avait été de se retrouver au mauvais endroit et au mauvais moment. Un crime qui émeut les Tunisiens et qui sonna le glas pour le peu de sympathie qu'avaient certains pour le triste passé d'une frange de salafistes dans les geôles de Ben Ali. Dans le massif d'Echaambi, on nous signale la présence du spectre de quelques salafistes takfiristes, inféodés désormais, au macabrement célèbre AQMI. Les bruits de bottes et les clichés des mutilés parmi les éléments de nos forces armées augurent du pire et scellèrent le sort des salafistes. Toute l'opinion publique semble acquise à la cause de la république et aux lois qui la régissent. La fin de la recréation a bel et bien sonné. Petits meurtres entres amis Le ministre Ben Jeddou, resté à Tunis dans une cellule de crise, lâché par tout l'Establishment, partis à la queue leu leu , qui au Qatar, qui, au Japon, qui en Belgique, pariant que le fusible ne résistera pas à tant de tension .Seuls ses subalternes sont restés aux commandes, conscients de l'affront subi dans les événements de l'ambassade américaine et déterminés à en découdre avec la menace salafiste. Le bras de fer tourna à l'avantage de la police, aidée dans sa tâche par les éléments de la défense nationale, qu'on ne saluera jamais assez la bravoure et la détermination. Le plan sécuritaire a été une réussite totale, à mettre à l'actif d'un ministre novice et peu rodés aux plans d'urgence, ainsi qu'à ses agents. Un pamphlet de plus à ceux qui défendaient un ministère de l'Intérieur « politisé ». Tout le territoire tunisien fut passé au peigne fin et lorsque la bataille a changé de lieu pour s'installer dans un faubourg de Tunis dans le but d'embourber les forces de l'ordre dans une guerilla urbaine, ces derniers ne se sont pas laissé prendre et la riposte a été sans appel. Bilan : un mort et 274 arrestations parmi les salafistes, dont le porte- parole d'Ansar Achariaa. A des milliers de kilomètres de la Tunisie, dans une presqu' ile désertique dans la péninsule arabique, le premier ministre traite le groupuscule salafiste d'un groupe hors la loi, ayant des liens avérés avec les terroristes d'el Qaeda. La condamnation est sans équivoque, nette, claire et précise. Un palier venait d'être franchi. Qu'est ce qui peut expliquer, dès lors, le changement de la lune de miel en une lune de fiel ? D'aucuns ne doutent que les événements du 14 septembre 2012 ont affecté la relation entre le pays de l'oncle Sam et la Troïka au pouvoir. Les Américains, tuteurs de l'automne arabe, ont bel et bien tapé sur la table devant le saccage de leur ambassade, opposant une fin de non recevoir aux arguments superflus avancés par la Troika, l'exonérant de la responsabilité, et dont la bravoure était telle, qu'ils avaient fait porter le chapeau, sans vergogne, aux forces de l'ordre restés sur le terrain. Trois jours auparavant, soit le 11 septembre, fut assassiné à Benghazi dans un attentat visant son domicile, l'ambassadeur américain accrédité en Libye , J.Christopher Stevens et trois de ses fonctionnaires. Un suspect au nom d'Ali Harzi, de nationalité tunisienne, semble en être l'instigateur. L'Histoire retiendra que les Américains, usant de menaces, ont obtenu des autorités tunisiennes que l'instruction et l'interrogatoire du suspect sur le sol tunisien, soient menées par des agents du FBI. Une première en Tunisie, sous le meilleur gouvernement de l'histoire, dixit, un ancien ministre des Affaires étrangères tunisien. Encore une atteinte à la souveraineté nationale digne d'une république bananière. Il faut juste rappeler que l'attaque a été revendiquée par un groupuscule islamiste radical en réponse à l'offense faite au prophète Mohamed(SAW), suite à la projection d'un film jugé attentatoire au prophète. Il ne fallait pas plus pour que les Américains demandent aux Nahdhaouis de prendre leur distance avec les salafistes, surtout que l'ambigüité de cette relation n'a d'égal que la complexité des rapports au sein même de la maison Nahdhaouie entre l'aile dure proche des thèses salafistes, et l'aile qu'on appelle modérée. Ceux-ci ne se sont pas fait prier pour sauver ce qui en restait de leur fonds de commerce politique dans la mesure où l'accointance avec les salafistes entamaient sérieusement leur label d'islamistes modérés. On frôle déjà l'oxymore ! Un Remake à la Ben Ali Bien plus intéressante en enseignements, l'étude de la scène politique tunisienne, démontre plus le filigrane de la répression des salafistes par le gouvernement en place avec la bénédiction, bien entendu, de Montplaisir, qui s'invite à toutes les sauces, celles sentant le roussi en premier. La Troïka, guidée par Ennahdha, semble taper sur les salafistes dans le but de réaliser un seul objectif : se maintenir indéfiniment au pouvoir. Si l'objectif ne fait plus l'ombre d'un doute auprès des Tunisiens, qui ont vite déchanté de cette révolution, mise à l'arrêt, après une sortie de piste délibérée. Force est de constater, que les moyens mis en place pour ce vil dessein, sont pour le moins sournois et insidieux nous rappelant un triste souvenir. Les victimes d'hier sont –ils devenus les bourreaux d'aujourd'hui ? En tapant sur les salafistes, à tort ou à raison, avec ou sans la connivence de ces derniers, le pouvoir en place s'arroge le droit d'appliquer ses prérogatives coercitives, légitimes par ailleurs pour imposer l'ordre républicain, mais O combien dangereuses pour la quintessence des libertés, du moment que le moyen de rétablir l'ordre se commue en moyen pour enfreindre les libertés, au nom de la sacro sainte préservation de la sûreté nationale des menaces extérieures. Un argument galvaudé par Ben Ali bien des années auparavant. Il convient juste de rappeler, pour ceux, qui ont la mémoire courte et ils sont nombreux dans ce pays, que Ben Ali, le 7 novembre après une rhétorique envoutante qu'a fait l'objet des éloges les plus flatteurs, ceux des islamistes en 1er, a utilisé le même subterfuge pour assoir son autorité sans partage après deux années d'un semblant de paix sociale et de libertés. Tiens, nous sommes bien dans les temps et l'impression est au déjà vu. D'ailleurs, les déclarations relevées aussi bien chez la partie gouvernementale (le ministère de l'Intérieur et celui de la Défense), au lendemain du bras de fer avec les salafistes, versent toutes dans le même sens. « La loi sera appliquée avec vigueur sur tous les citoyens quelle qu'en soit l'orientation politique ou idéologique ». Même son de cloche chez les élu(e)s de la Troika. « Nous répondrons avec la même véhémence contre l'extrémisme laïque ». On comprend mieux maintenant la battue faite et l'armada d'avocats réquisitionnée vis-à-vis d'une môme écervelée au nom d'Amina, dont le geste (condamnable par ailleurs) de tagguer une tombe, a mis la Umma en péril ! La louve est dans la bergerie, il faut assassiner cette môme, fut elle, une détraquée ! L'annonce de la Troika est solennelle et sans détours, elle me rappelle d'ailleurs Ali Ibn Abi Taleb, s'adressant aux Kharijites, qui ont refusé son arbitrage en évoquant celui de la loi divine : « vous revendiquez la vraie parole pour un faux dessein. » Cette interprétation de la situation, n'est pas sans fondements, et plusieurs signes avant coureurs la corroborent. La troïka est au plus bas dans les sondages. Sa gestion chaotique de la chose publique en est pour quelque chose. En revanche, certains partis de l'opposition lui dament le pion depuis quelques mois et leurs alliances la distancera certainement dans les prochaines élections, si élections, transparentes il y en aura, bien entendu. De plus, l'aversion d'Ennahdha et du Cpr pour les libertés est sans égal. Ils sont les plus virulents contre certaines libertés et le clivage entre progressistes et conservateurs se fait plutôt sur cette base. Le débat houleux au sein de l'ANC, que ce soit en commissions ou en plénière sur le chapitre relatif aux libertés dans la future constitution atteste de ces propos. En outre, Les tentatives de la main mise sur les rouages de l'administration, notamment sécuritaires, à travers les soupçons sur des appareils sécuritaires parallèles est une preuve de plus sur la volonté de certains d'apprivoiser la machine. D'ailleurs, le projet de loi sur l'immunisation des forces de sécurité contre les atteintes n'est pas étranger aux soucis de les amadouer et d'en faire un vassal obéissant. Sinon, comment expliquer ce blanc seing accordé à un appareil, en proie aux tumultes, et dont les éléments hier encore, taxés de sbires de Ben Ali par ceux même qui aujourd'hui, leur font cadeau de ce projet de loi si controversé ? La discussion de ce projet, au sein de l'ANC, démarquera sensiblement les belligérants politiques. Ceux qui l'ont proposé, recueilleront la sympathie de l'appareil sécuritaire, qui sera plus enclin à travailler selon les instructions. Les détracteurs, défenseurs des libertés, seront considérés comme rechignant à la consécration d'une police républicaine. Cherchez l'erreur ! Le peuple tunisien est désormais averti de ce qui se trame dans les coulisses. La citation de Benjamin Franklin selon laquelle : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'un ni l'autre et finit par perdre les deux », trouve toute sa pertinence, dans le contexte actuel. La troïka, à force de jouer avec le feu, risque de se brûler les ailes et sa contorsion risque de lui faire rompre l'échine in fine. «La profonde inquiétude » relevée dans le communiqué de l'ambassade des Etats unis le 28 Mai dernier, après la relaxation des assaillants, pourtant confrontés à des charges pénales bien lourdes, requises par le parquet, dans les événements de l'ambassade des USA, augurent d'une lombalgie gouvernementale promue à devenir une hernie dans les prochains jours.