A l'occasion de la Journée internationale des Nations Unies pour le soutien aux victimes de la torture, une kyrielle d'activités a été organisée, hier, par l'OMCT (Organisation Mondiale de lutte contre la Torture) et l'OCTT (Organisation contre la Torture en Tunisie) à la maison de culture Ibn Rachiq et à l'Avenue Habib Bourguiba au centre ville de la capitale. La Journée a commencé par une conférence de presse durant laquelle les deux présidentes respectives des deux dites organisations, Mme Radhia Nasraoui et Mme Gabriele Reiter ont tenu à rendre hommage à toutes les personnes qui ont été torturées et celles qui ont perdu la vie sous la torture. Il s'agissait, notamment, d'une exposition de portraits de 34 personnes victimes de la torture depuis la colonisation jusqu'à nos jours. Intitulée «Sous le Jasmin», l'exposition a commencé à une date clé, le 8 mai dernier, qui coïncide avec la Journée nationale de lutte contre la Torture, pour s'achever hier à Tunis pour partir vers plusieurs autres villes de la Tunisie, à commencer par Béja. L'auditoire de la torture sort de son silence Ce qui était frappant durant la conférence de presse, c'était la présence massive des plusieurs victimes de la torture sous le régime de Bourguiba et celui dictatorial de Ben Ali. Ces personnes, hommes comme femmes font partie de celles qui ont payé très cher leur militantisme pour une opinion, une vision ou une idée qui va de pair avec les droits de l' Homme, la démocratie, le droit à la dignité et l'équité sociale. L'on reconnait sur certaines figures, des portraits figés et marqués à jamais dans les photos-portraits prises par le photographe Augustin Le Gall, dont le choix de la couleur noire comme seule et unique fond du tableau est révélateur d'une douleur intense longtemps confinée et condamnée au silence. Un noir de la misère cachée et oubliée de ces êtres qui rappelle, notamment, l'obscurité de la cellule, ultime demeure pendant des années à des gens qui ont osé se révolter contre un colonisateur et un dictateur. On y voit des têtes pensantes, préoccupées, visages ridés, blêmes et errants, souvent effarés, rarement souriants enveloppés par le noir des ténèbres et des maux. D'ailleurs, pour cette occasion, un catalogue de ces 34 portraits résume en quelques lignes sous chacun d'eux, l'aventure malheureuse, souvent choquante et humiliante durant les temps obscurs. Militants, activistes et fervents défenseurs des droits de l'Homme, ils partagent avec le peuple tunisien, à travers ces portraits, les moments les plus cruels et dégradants qu'ils ont supportés durant les années sombres. Hier, ils ont eu l'opportunité de sortir de leur silence, de relater sans réserve, ni gêne devant des personnes qui leur sont complètement étrangères, une partie cruelle de leur vie. Le 14 janvier 2011 a brisé le mur du silence et a incité ces victimes de la torture à s'affranchir, parler de leurs maux dans les cellules bourguibiennes et benalinienne sans tabou ni crainte. Certes, aujourd'hui, ils sont libres mais les spectres du passé les hantent pour la simple raison que l'impunité sévit encore et que leurs bourreaux courent toujours en liberté. Quant aux victimes de la torture post-révolution, c'est une autre paire de manches. «La torture sévit jusqu'à nos jours» Mme Radhia Nasraoui parle de «150 victimes recensées depuis le 14 janvier dont certaines ont été martyrisées du temps de Ben Ali. Elle dénombre 3 cas de décès survenus à des prisonniers à cause du mauvais traitement et de la violence physique dans les postes de police et les cellules. Elle a, notamment, parlé du cas d'une prisonnière de 15 ans qui vient d'être inhumainement traitée et torturée. Elle a rajouté que plusieurs arrêtés et détenus ont été violés à la matraque ces deux dernières années et que jusqu'à présent aucune poursuite judiciaire n'a été engagée malgré les cris de détresse de la part des familles des victimes et la pression de la société civile des droits de l'Homme. Elle a rappelé, notamment, que plusieurs détenus sujets à des maladies dues à la torture et aux mauvais traitements, sont privés de soin et sont tout simplement abandonnés à leur propre sort. Le trépas n'est pas loin et elle cite l'exemple d'anciens prisonniers Kabil Ben Ali, Ibrahim Chmayset et Mohamed Ali Neji qui ont succombé à la maltraitance et aux maladies contractées suite aux mauvais traitements et à l'absence des soins. Selon elle, tant qu'il n'y a pas eu de décision radicale des hauts responsables politiques, du ministère de l'Intérieur et Chef du Gouvernement pour punir toute tentative ou crime de torture, certains agents ou bourreaux poursuivront leurs pratiques tortionnaires, parce que d'abord, c'est devenu un réflexe et un outil de travail pour eux, ensuite, parce qu'ils ne font qu'exécuter les ordres qui leur sont donnés par leurs supérieurs. La conférence a été suivie d'une tente de sensibilisation installée au cœur de l'Avenue Habib Bourguiba et à laquelle une centaine d'association luttant pour les droits de l'Homme et luttant contre la torture ont répondu présents pour sensibiliser les passants quant à la gravité de cette cause. S'en est suivie, une pièce de théâtre à la maison de culture Ibn Rachiq : «Le dernier jour d'un condamné». En début de soirée, un concert a été donné en plein air devant le théâtre municipal, théâtre de tous les chamboulements politiques et protestation citoyenne depuis le 14 janvier 2011.